Si jamais j'oublie
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Chapitre 3 No.3

La culpabilité. Le revers de ta médaille. Ta merdaille. Bien sûr que nous avons eu des mots l'une envers l'autre. La belle rose que j'ai cultivée avec tant d'amour a mis quelques épines quand elle a poussé. Et je sais que tu peux t'en vouloir et que certaines phrases que tu as pu prononcer restent plus gravées que les théorèmes de Pythagore ou de Thalès.

La vie naturellement offre aux adultes la possibilité de se rattraper auprès de leurs parents, de leur pardonner et de se pardonner à soi. En vieillissant, nous tissons une relation d'égal à égal avec eux, sans toutefois jamais leur demander pardon. Un cumul d'échanges et de raisonnements leur montre que finalement, nous avons rejoint leur bord. Qu'on a quitté la rive de l'enfance pour s'amarrer à l'âge adulte, et que nous hissons les mêmes voiles de raison et d'abdication, voguant dans leur sillon pour mener nos propres enfants vers notre port, désormais commun. Le rivage familial. Mais toi mon enfant, tu n'auras pas cette chance. Nous ne parlerons peut-être jamais trop d'adulte à adulte.

Il manquera nécessairement une escale à ton voyage. Cela ne remet en aucun cas la destination finale en question, mais une sensation te fera défaut.

Blessée, j'ai pu l'être. Tu m'as fait peur. J'ai cru t'égarer parfois, j'ai perdu le cap souvent. Par moments, nous parlions toutes deux une langue différente. Comme si l'une de nous était restée au port précédent, ou était déjà passée à l'étape suivante, se rendant compte trop tard de l'oubli de l'autre, une fois seule sur le pont, ayant déjà quitté la rive. Nos intentions étaient là, les émotions également, les gestes, le non verbal... ne manquait que la compréhension finalement.

Je n'ai pas beaucoup de sujets de fierté dans ma vie, si ce n'est celui-ci : de ne jamais t'avoir lâchée ou brimée durant cette période. Du moins l'aurais-je tenté de toutes mes forces, et j'espère que ce sera ton ressenti également. Rien n'a plus d'importance pour moi que de te savoir aujourd'hui en sécurité sur la rive.

Et avec l'adulte que tu es devenue aujourd'hui, j'aimerais poursuivre la discussion que nous avions eue à tes cinq ans. J'aimerais pouvoir te dire que dans mon jeune temps, comme disent les vieux, je pensais aussi que le cœur était irrémédiablement sous la poitrine. En vrai, quand il saigne, il envahit tout le corps. J'ai pu l'expérimenter, comme il t'arrivera à toi aussi d'en faire l'amère découverte.

Quand mon cœur saigne, ma tête déflagre, mes épaules s'affaissent, mes mains s'agitent inutiles, mon ventre se tord, mon entrejambe pleure, mes cuisses tremblent, mes pieds souffrent de porter cet amas de cellules brisées. Mon corps est mon cœur. Alors je laisse échapper mes humeurs par mes extrémités, en peignant mes ongles des couleurs qu'il laisse entrevoir. Il peut y avoir de la philosophie dans la futilité, c'est pourquoi tu ne dois jamais juger les autres sur leur apparence.

Les gens peuvent croire que le pire fléau de l'humanité est la haine, la guerre, ou le cancer, qu'en sais-je ? En vrai, notre pire tare est l'uniformité. Cet illusoire sentiment d'appartenance, penser que nous sommes unis car nous nous ressemblons. Cette fausse réassurance qui ligue les peuples les uns contre les autres impose une façon de penser, d'espérer et de prier le même Dieu avec les mêmes mots, le même sort.

Alors que notre beauté réside dans nos différences, nos plus beaux échanges sont dans nos débats, nos contradictions. Nos bodystormings sont tout aussi perturbants et enrichissants que nos brainstormings.

Quand je marche dans la rue, que je voie une femme aux cheveux bleus, ou un homme en talons, je remercie intérieurement la diversité de nos âmes, de nos choix, notre simple complexité. Et croisant leur regard, j'aimerais les connaître.

Les gens souvent paraissent hostiles, fermés. Leurs yeux pressés se dérobent et se posent déjà sur leur prochaine étape, oubliant l'instant présent. Ils nous inquiètent ou nous désintéressent. Mais quand on arrive à capter leur regard, quand on le retient quelques instants lové au creux du nôtre, quand ils sourient, une porte s'ouvre, une pause s'installe. Soudain, ils nous apparaissent dans leur intègre personnalité, rayonnante et unique. Et l'on s'en veut de les avoir cru si banals ou inamicaux.

N'oublie jamais que toutes les couleurs d'ongles sont magnifiques, car elles sont ce que nous sommes à un instant précis.

            
            

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