Des questions, trop de questions, pourquoi nous demander, à nous, de venir avec eux ? J'ai un mauvais pressentiment mais Lylia a l'air plus que motivée. Quitter cet Enfer est une utopie, même si nous avons tous fini écrasés par le désespoir nous empêchant de rêver. Nous sombrant dans la tristesse, nous susurrant des mots pour qu'on s'endorme, nous suivant pour qu'on ne l'oublie pas, nous déshydratant. Je suis tellement en colère, je me maudis chaque jour, l'envie d'anéantir, de tout foutre en l'air m'obsède sans cesse. Malheureusement je n'ai rien à maudire à part ma faiblesse, rien à anéantir, je n'ai rien et je ne suis rien, je ne peux foutre en l'air quoi que ce soit, je suis trop faible pour ça.
L'impuissance mène à une triste vie... Pourquoi suis-je si impuissante ? Si insignifiante... Si...
-Tu rêvasses encore ? plaisante Lylia, me regardant avec son si joli sourire.
Tous les garçons m'observent, je suis revenue à la réalité. Ils ont plus l'air mécontent qu'autre chose mais continuent de parler de leur plan d'évasion auquel je n'ai rien suivi. J'ai pas envie de m'évader finalement, à quoi bon, le monde extérieur est peut-être plus hostile encore, j'ai peut-être peur de l'inconnu, je ne connais rien, comment me débrouiller seule ?
-Alors tu es partante ? interroge Lylia, les yeux pleins d'espoir.
Je réfléchis, mais comment refuser une demande de Lylia ?
-Je vous suis... murmuré-je sans être réellement convaincue d'avoir fait le bon choix.
Il nous reste environ trente minutes de pause, nous en profitons pour peaufiner le plan d'évasion, d'après ce que j'ai compris, une partie du plan est déjà accomplie.
-J'ai déjà réussi à voler le trousseau de clés d'un des surveillants. explique le plus grand des garçons, le visage détruit par une énorme cicatrice sur la joue. On a simulé une bagarre et j'ai réussi à lui piquer dans le feu de l'action puis j'ai réussi à remettre le trousseau dans son bureau.
-Pas mal hein ? s'écrie un des leurs qu'on ignore.
-Pourquoi le remettre ? demande alors Lylia, buvant les paroles du grand garçon.
-J'ai juste pris la clé de nos chambres, il n'a pas dû le remarquer, ils doivent avoir des doubles de toute manière.
-Et ensuite ? demandé-je, évaluant nos chances de réussite.
-Je sors de ma chambre le soir et je vais tous vous libérer, si on vous a choisies c'est à la fois pour vous remercier mais aussi parce qu'on est dans le même étage.
-Et après, reprend un garçon au visage angélique. Il faudra traverser tout l'orphelinat sans se faire choper car ils font des rondes, il faudra bien écouter derrière les portes s'ils sont là ou non.
-Mais il y a la porte du bloc qui est fermée non ? contredis-je.
-Ouais, répond gueule d'ange, mais t'inquiète, y a pas de système d'alarme on peut la forcer sans problème.
-Après, reprend le chef du groupe, il nous restera un seul obstacle entre le grand portail de l'orphelinat et nous, l'office qui sert d'accueil, le problème là-bas, c'est qu'il y a toujours du monde, donc on a deux options, essayer de passer discret ou essayer de les baiser rapidement.
-Mais on va se faire tuer si on essaye de s'en prendre à eux non ?.. contesté-je, l'air inquiet.
-On a vécu que de la merde ici, on a rien à perdre crois-moi et je pense que tu peux nous comprendre mieux que quiconque, ajoute un autre garçon du groupe.
Je ne trouve rien à y répondre.
-Et pour finir on aura juste à escalader le portail pour partir, mais ce ne sera pas une partie de plaisir.
-C'est sûr... murmure Lylia, plus impatiente qu'autre chose.
Pendant le temps qu'il nous reste, on règle certains détails. Je suis à la fois présente et absente, mon mauvais pressentiment est de plus en plus stressant. Quand vient enfin la fin de la pause je retourne dans ma sordide chambre.
Je suis dans mon lit, je regarde le plafond, devenant une sorte de porte me reliant à un autre monde. Il me fait rêver, que verrai-je une fois dehors ? Que ferai-je ? Plus j'y pense plus l'idée me parait irréaliste, je ne pense pas le mériter, peut être ai-je accepté ce destin de prisonnière.
Après plusieurs minutes à ne rien faire, je me lève, me dirige vers le trou de l'horloge où se trouvent mes livres, j'en prends un que j'ai presque fini.
Je sais que je lis bien quand je me compare à d'autres, c'est normal vu que c'est comme ça que je m'occupe durant les pauses. Je me faufile souvent à la bibliothèque, les surveillants ne vont jamais dans ce coin-là, j'ai lu des choses pas très belles et dures à lire. Heureusement j'avais un dictionnaire qui est toujours là pour m'aider. Au fil du temps j'ai commencé à bien savoir lire car je ne faisais que ça, que ce soit des contes, des trucs pour adultes ou des trucs éducatifs je m'enfiche, je veux tout savoir...
Après avoir lu un peu, je ramène le livre dans le trou. Je me dirige ensuite vers mon bureau où se trouvent des feuilles, la plupart ne servent qu'à mes punitions. Finalement ça m'a appris à écrire, sous celles-ci, un journal, le mien, j'y écris mes journées et mon ressenti. Je le feuillette, j'en ai des choses à dire malgré mon jeune âge... Je tourne une dernière fois une page et je vois mon écrit sur ma rencontre avec Lylia.
"Elle est jolie, elle est mon soleil, j'espère qu'on sera toujours ensemble..."
Je ne note que des petites phrases car je suis débutante, inculte. J'ai toujours eu l'envie de savoir bien écrire pour pouvoir transmettre toutes mes souffrances... Peut-être plus tard quand je serai grande...
Mais je me demande s'il pourrait y avoir un "plus tard", peut être que tout pourrait se finir dans cette soirée qui me hante tant.
Je pose mon journal de gribouillage, au même moment un surveillant ouvre la porte et annonce la pause de l'après midi.
Après, je devrai aller à l'atelier d'écriture avant de m'occuper des garçons.
Je déteste devoir soigner les garçons, ça me donne la nausée. Ils vont de l'autre côté de la cour pour s'entraîner, nous ne savons pas pourquoi. Ils n'ont le droit de ne rien dire sous peine de se faire punir. En tout cas leurs blessures ne sont pas humaines.
Durant la pause je me dirige en direction de Lylia, seule. En discutant, je me rends compte qu'on a les mêmes activités. Malheureusement pour elle, elle doit retourner à l'infirmerie pour soigner les garçons.
Après quinze minutes de discussions futiles, on doit se rendre à l'atelier d'écriture. On y apprend rien de spécial, juste comment construire une phrase, quelques exemples de verbes puis on passe à du nettoyage d'habits sales. L'atelier d'écriture dure trois heures pourtant on ne fait que trente minutes d'écriture. S'il y a un seul bruit, une seule erreur, on connait le principe... Ils ne tolèrent pas, ne serait-ce qu'une seconde de déconcentration. Je continue de frotter, sur les habits tachés de sang, de sueur, salis par la poussière, ça doit être ceux des garçons, s'entraînant sans doute avec ça.
Après environ deux longues heures à nettoyer des habits ensanglantés, on est enfin libérée pour aller à l'infirmerie. Celle-ci se situe non loin de la cour où s'entraînent les garçons, encore une fois, tout est délabré. Des matelas avec des jeunes de tout âge dessus, agonisant, priant pour une mort indolore. Même en priant rien ne se passera, j'ai déjà essayé, sans doute me suis-je fâchée avec lui, à quoi bon prier quelqu'un qui détourne le regard. À côté de chaque matelas se trouve une petite table avec des médicaments, de quoi administrer les premiers soins. Il y a plusieurs surveillants avec au moins une dizaine de filles de tous les âges. Je suis l'une des plus jeunes, mais l'horreur se fiche de l'âge, elle vient à moi quand Lylia retire le bandage sur l'épaule d'un pauvre garçon de dix-huit ans s'étant pris une balle dans l'épaule.
-Je peux pas la retirer... s'inquiète Lylia à deux doigts de s'évanouir. Va chercher quelqu'un s'il te plaît...
Je cours le plus vite possible à la recherche d'une fille plus expérimentée, évitant de justesse plusieurs matelas, manquant de peu la chute. Après quelques minutes de recherche je trouve enfin une femme qui pourrait m'aider.
-Pardon ! m'exclamé-je, toute essoufflée. Vous savez retirer une balle ?
La jeune femme se retourne, vient vers moi. J'essaie de lui expliquer le plus vite possible afin de ne pas perdre de temps. Au bout d'une minute elle me suit pour rejoindre Lylia.
Une fois arrivée, elle s'occupe directement du garçon, nous demande de l'assister en précisant bien de ne faire aucun mouvement brusque.
-Elle n'a pas touché de point vital, c'est une bonne nouvelle. dit-elle alors que le garçon pousse des cris abominables.
-Comment faites-vous tout ça ? interrogé-je, l'air admiratif.
-Il y a plusieurs médecins ici, j'ai appris à leurs côtés, mais je ne suis pas aussi douée qu'elles.
-Des médecins ? demande Lylia, mais elles sont trop jeunes non ?
-Il y a beaucoup de filles qui décident de rester dans cet Enfer pour soutenir les autres et pour ne pas finir mal... affirme la jeune femme, la mine sombre. J'en fais partie...
"Les pauvres... Mais que veut-elle dire par "finir mal" ?"
Après avoir compressée la blessure pour empêcher l'hémorragie suite à l'extraction de la balle, elle désinfecte son épaule, lui met un bandage, le garçon s'est évanoui entre temps. Le pauvre me dis-je, comment a-t-il pu se prendre une balle dans un orphelinat ?
"Que se passe-t-il vraiment ici ?"
Il nous reste quelques heures avant l'évasion...