Dans ma chambre... Non... Pense pas à ça... Il se met debout, tendant sa main vers moi, je lui prends, ressentant un frisson me parcourir le corps, faisant de mon mieux pour l'ignorer.
"C'est Naël, il m'a sauvé..."
Après avoir réussi à traverser le salon et le couloir avec difficulté, je reviens dans la chambre devenue mienne depuis quelques jours. Je me dirige avec l'aide de Naël dans le lit qui est maintenant mon lieu de repos.
-Je t'appelle quand on va manger, pendant ce temps là endors-toi, tu ne risques rien.
Je prends son conseil au premier degré et ferme les yeux, allant dans un autre monde, je m'endors.
**
Eileen s'est endormie, je vais pouvoir rejoindre Sarah dans la cuisine. Je regarde la belle au bois dormant, j'espère qu'elle ne fait pas de cauchemars.
-Alors elle va comment ? interroge Sarah qui prépare le repas.
-Elle a l'air exténué mais ça devrait aller mieux. dis-je, le ton inquiet.
-Je demanderai à Maman d'appeler un médecin pour l'ausculter.
-Fais en sorte que ce soit une femme, sinon elle va nous faire une crise cardiaque.
-Arrête t'es chiant. rétorque Sarah en pouffant de rire.
-Mais y a un truc qui me dérange, affirmé-je, l'air curieux. C'est qui ce Julian ? Elle t'en a parlé ?
-Non, répond Sarah qui a elle aussi réfléchi à la question. Mais si tu veux mon avis, c'est l'une des pièces manquantes du puzzle.
-Ouais t'as sans doute raison... dis-je tandis que Sarah retourne préparer le repas.
J'hésite durant un instant, avant de la rejoindre pour l'aider.
-Tu penses... Qu'on devrait lui en parler ?
-Sûrement pas, répond Sarah d'une voix claire, il faut que ce soit elle qui nous en parle.
**
"Tu es à moi Eileen..."
La silhouette s'approche une nouvelle fois de moi.
-Non... chuchoté-je dans un sommeil plutôt agité.
"Je t'ai éduqué !"
Elle est de plus en plus proche, murmure de plus en plus fortement, résonnant dans toute ma tête.
-Arrête... Je t'en supplie... je sanglote, toujours en train de dormir.
"Je suis ta raison de vivre..."
La silhouette devient de plus en plus pesante dans mon cauchemar.
-NON ! m'exclamé-je en me réveillant en sursaut et en larmes.
Encore une fois, je tente de me calmer, inspirant et expirant durant de nombreuses minutes.
-Toujours ce fichu cauchemar... murmuré-je. Il faut que j'arrête d'y penser... C'est fini...
"Fini... Tu parles..."
Le bruit de la porte d'entrée retentit jusqu'à ma chambre. Leur mère est arrivée et Mr Lemoine a sans doute fini sa douche. Des bruits de pas dans le couloir m'alarment, je sèche mes larmes. Je dois faire comme si de rien était, quelqu'un toque à la porte puis entre.
-Tiens Eileen, ça va t'aider en attendant que tu guérisses. m'affirme Sarah, m'apportant un fauteuil roulant à côté de mon lit.
-Merci... dis-je avec gratitude tandis que Sarah m'aide à me lever.
Je m'assois sur le fauteuil et me laisse pousser par ma gardienne.
-Il est quelle heure ? demandé-je tandis qu'on arrive à l'entrée du couloir.
-Pratiquement vingt heures, on va manger là.
-Je vois merci...
Non loin du plan de travail, se trouve une grande table en bois marron claire. Tout le monde est déjà assit, Sarah m'installe à côté d'elle, ça me rassure. Mme et Mr Lemoine sont chacun à un bout de table tandis que Naël et Aiden sont en face de nous. Je suis si intimidée... Sarah me fait un clin d'œil, je souris.
-Bon appétit. dit alors Mr Lemoine qui prend une tranche de pain et des rillettes.
Je jette un coup d'œil à ce que fait Sarah, après quelques secondes d'hésitation, je l'imite. L'ambiance est silencieuse, seul le bruit des couverts et des informations à la télé cachent ce silence pesant.
"Pas de bêtise Lee... Pas de bêtise..."
-Vous avez encore une semaine de vacances les enfants ? intervient Mr Lemoine, brisant le silence qui régnait dans la pièce.
-Je crois que c'est ça ouais. répond Naël, venant de finir son entrée.
-Je vois, demain je vais rappeler Mme Morel, elle viendra te voir tous les jours Eileen, d'accord?
"C'est qui ça ?"
-Mme... Morel ? dis-je d'une voix faible.
-C'est notre médecin et une bonne amie à nous, c'est celle qui a prit soin de toi avant que tu te réveilles, elle viendra refaire tes bandages et t'ausculter, elle pourra sans doute te donner des médicaments contre la douleur.
-Des médicaments ?
Mon visage se décompose, j'en lâche même ma fourchette, que veulent-ils me faire ? Le père n'a pas l'air de comprendre pas ma réaction, voyant ça, Sarah prend la relève.
-T'en fais pas Eileen c'est pas ce que tu crois.
Pas les médicaments que je crois ? Ouf...
-Désolé... J'ai pas l'habitude... me lamenté-je.
Après quelques secondes de silence, Mme Lemoine entreprend le début de ce qu'on pourrait nommer un interrogatoire. Je m'y attendais. Je le redoutais.
-Et donc ton petit nom c'est Eileen n'est-ce pas ? commence-t-elle d'une voix douce.
-Oui c'est ça. dis-je d'un ton faible.
-Tu as quel âge ?
-Quinze ans.
Les Lemoine paraissent surpris. C'est vrai qu'à cet âge je ne suis pas censée être dans cette situation, bien que je ne sache pas vraiment la vie qu'ont les gens normaux...
-Je vois... dis alors Mme Lemoine. Je pense que les enfants te l'ont déjà dit, mais ici tu n'as rien à craindre, tu es libre de faire ce que tu veux, à condition que tu sois honnête avec nous d'accord ?
Mes larmes coulent le long de mes joues tandis que j'acquiesce silencieusement d'un signe de tête.
"Pourquoi sont-ils si gentils ?.. Je comprends rien..."
-J'aimerais savoir, tu viens d'où exactement ? me questionne alors Mr Lemoine.
-Je sais pas comment la ville s'appelle. je les regarde d'un air désolé tandis que je sèche mes larmes.
-Ah bon ? Tu n'es jamais sortie ?
Aiden et Naël sont silencieux, pour la première fois le plus jeune des enfants semble réellement intéressé par moi.
-Non, avoué-je nerveusement, j'ai été dans un orphelinat de ma naissance jusqu'à mes neuf ans. Puis... Non... Je suis jamais sortie...
-L'orphelinat c'est bien celui dont tu nous as parlé ? intervient enfin Naël.
-Oui.
-Et... Tu n'as pas de famille ?.. risque Mr Lemoine tandis que Sarah lui lance des regards piquants.
-Je sais juste que j'ai pas de parents, sinon j'aurais pas été là-bas... murmuré-je, la mine sombre.
Mr et Mme Lemoine se regardent, semblent avoir conclu la même chose.
-Je sais que c'est compliqué... Mais dis nous... Elles viennent d'où ces cicatrices ? continue Mme Lemoine ignorant complètement les regards de Naël et Sarah qui restent tout de même silencieux.
"C'est pas de votre faute..."
Je ne dis rien pendant quelques secondes, c'est trop dur...
-On devrait commencer le plat, non ? dit brusquement Sarah, cassant l'ambiance pesante que ses parents ont installé.
-Oui tu as raison... répond Jeanne
**
La suite du repas se passe sans encombre. Je m'entends à merveille avec les Lemoine. Faisant comme si rien ne s'était passé, les parents racontent des anecdotes sur leurs enfants pour détendre l'atmosphère. J'ai aussi l'impression qu'ils me testent. Pour la première fois de ma vie, je passe enfin un bon moment, je ne le dis pas, un simple sourire doit me trahir.
Le repas se finit, les garçons débarrassent la table tandis que Sarah et moi finissons notre dessert. Quelques minutes plus tard alors que Mr Lemoine sort par la baie vitrée de la cuisine pour aller sur leur terrasse de jardin, il m'appelle, je suis désorientée, il va me dire quoi ? Je sens mon fauteuil bouger, mon regard se pose sur Mme Lemoine qui m'emmène dehors, je vais avoir le résultat de mon test. Mr Lemoine ferme la baie avant d'allumer une cigarette.
-Donc Eileen, on peut te parler cinq minutes ? me demande-t-il d'un ton presque paternel.
"C'est le moment Lee !"
-Oui, je voulais aussi m'excuser auprès de vous... affirmé-je en regardant Mme Lemoine.
-Auprès de moi ? demande-t-elle en me regardant, l'air étonné.
-J'ai cassé l'assiette et je vous ai obligée à nettoyer... Je suis désolée... je baisse la tête devant les Lemoine, stupéfaits.
Mme Lemoine, sans un mot se baisse et m'enlace tendrement sans rien dire. Je ne comprends pas, j'ai jamais vécu ça, pourquoi maintenant ? Leur gentillesse caresse mon âme, la rassure. Je sens les larmes monter mais les retiens, une trentaine de secondes passent avant la reprise de la conversation.
-Eileen, nous allons te garder ici jusqu'à ce que tu puisses te gérer toute seule. annonce Mr Lemoine en souriant.
Je n'y crois pas, je peux vraiment rester ? Ce n'est pas un rêve ? C'est si bien... Je lance un regard rempli de reconnaissance, Mme Lemoine poursuit.
J'espère que je ne me fais pas avoir... Non... Ils t'ont sauvée, tu leur dois tout.
-Par contre nous allons devoir le déclarer à la police, nous voulons être sûrs de ne pas avoir de problème, ça te va ?
"La police ? C'est pas censé être des mauvaises personnes ? Mais j'ai pas de meilleures solutions..."
-Non ça me va... mes yeux brillent, je serai vraiment en sécurité ?
-Ne t'en fais pas... me rassure Mr Lemoine. Nous ne savons pas ce qui t'est arrivé et on ne t'obligera pas à le dire, mais on va t'aider à surmonter ça.
Ne sachant pas comment les remercier, je reste silencieuse.
-Bon, Sarah va te ramener dans ta chambre, à moins que tu aies envie de faire quelque chose ?
-Non c'est bon merci beaucoup...
Mr Lemoine appelle Sarah qui vient me chercher pour m'emmener dans la salle de bain faire ma toilette, laissant les deux parents seuls.
**
-Tu en penses quoi ? demande alors Mr Lemoine, continuant de fumer sa cigarette.
-Elle est si jeune... répond Mme Lemoine, le fixant droit dans les yeux. Tout juste plus jeune que Naël et Sarah, je pense qu'elle est sincère, les enfants confirment l'avoir entendue cauchemarder et m'ont raconté une partie de son histoire, du peu qu'on sait, c'est horrible...
-Et pendant qu'elle dormait, raconte Mr Lemoine, la voix trahissant sa colère. Sarah m'a raconté qu'elle répétait souvent le prénom "Julian" et qu'elle le suppliait. C'est peut-être lui qui est la cause de sa peur maladive des hommes, il va falloir demander à la police d'enquêter je pense, nous verrons ça quand elle sera guérie. Du moins physiquement...
-J'ai comme une impression de déjà vu... soupire Mme Lemoine. Pauvre fille... J'ai encore l'image de ses cicatrices dans la tête... À un si jeune âge....
-Ouais... Ça va faire presque huit ans qu'ils sont là maintenant... se rappelle Mr Lemoine. Naël et Sarah ces deux têtes de mules... Au moins ils sauront comment s'y prendre avec Eileen.
-Et nous aussi...
Après une soirée remplie d'émotion, je me sens vidée. Sarah m'emmène dans ma chambre, reste un peu avec moi, attendant que je sombre peu à peu. Dans le monde onirique ou dans mon cas, dans le monde des cauchemars...