Chapitre 4 Une nouvelle vie

Quelqu'un entre dans la chambre, une sueur froide glisse le long de mon front, je suis limite paralysée. Je découvre alors des cheveux longs, ondulés, noirs, pareils à une crinière, sûrement pas des cheveux masculins. C'est une fille, assez grande, métisse comme le garçon qui m'a sauvée, elle possède d'ailleurs les mêmes yeux que lui, son corps fin et bien formé pourrait attirer la convoitise de n'importe quel homme. Elle est seulement habillée d'une robe de chambre rose, elle a une cicatrice sur son cou... Je la connais pas mais elle a sans doute un point commun avec moi, l'Enfer.

"Y a mieux comme point commun..."

Elle me salue avant de s'asseoir sur le petit fauteuil et de se retourner vers moi, qui la fixe avec une certaine attention, méfiante certes, mais surtout intriguée et avide de la connaître.

-Je suis désolée pour Aiden... me dit alors l'inconnue d'une voix qu'elle veut apaisante. Il n'imagine pas ce que tu as pu subir, moi non plus mais je te comprends.

"C'est bizarre, elle me fait penser à quelqu'un..."

J'hésite... Son regard me pénètre, à la fois innocent et mature. Je peux bien lui laisser une chance.

-C'est pas grave... dis-je le sourire douloureux . Mais... C'est vrai qu'il me gêne un peu...

"Pas qu'un peu, il me dégoûte."

La brune pouffe de rire avant d'acquiescer et de me raconter une histoire sur lui, je rigole de bon cœur sans m'en rendre compte, elle a l'air gentille, mais je n'oublie pas que tout peut arriver. On bavarde pendant plusieurs minutes.

-Dis-moi... articule cette jolie fille au bout d'un moment, le regard rempli d'innocence et de curiosité. Tu t'appelles comment ? Moi c'est Sarah j'espère qu'on pourra bien s'entendre.

Ils s'intéressent vraiment à moi, pourtant je n'ose pas, elle me fixe, le regard insistant.

-Tu sais, je comprends ce que tu ressens, la méfiance, l'appréhension, la souffrance, mais regarde-moi dans les yeux ? Toi tu la verras.

Qu'est-ce qu'elle veut me dire ? Dans le doute je plonge mon regard dans le sien, j'y découvre quelque chose d'étonnant, dans ses yeux innocents et magnifiques je vois de la souffrance, du vécu, une douleur qui ne disparaîtront qu'à l'extinction de son âme.

"Elle est comme moi."

-Je m'appelle... Eileen...

"C'est dur de se présenter..."

Les yeux de Sarah s'illuminent, j'ai la nette impression que je lui plais bien, c'est une bonne ou une mauvaise chose ? En tout cas elle, elle a l'air de trouver ça plutôt positif.

-C'est magnifique, tes parents ont de bons goûts.

Je baisse les yeux, ne sachant pas quoi répondre, c'est pas de sa faute, elle pouvait pas savoir... Sarah se rend compte de sa bourde.

-Je suis désolée... dit-elle, l'air touché.

Je ne réponds rien, m'enfonçant intérieurement dans ma tristesse, jusqu'à ce que Sarah réagisse.

-Tu sais, dit-elle tout en s'asseyant à côté de moi, je connais parfaitement ce sentiment d'abandon qui te déchire jusqu'au plus profond de ton âme... Je te comprends un peu...

"Elle a vécu comme toi Lee. De la merde..."

Sarah et moi, proches, partageant notre souffrance commune, les larmes coulent le long de mon visage, ne sachant pas comment réagir, je tente de m'éloigner, de la repousser, je suis comme ça... Mon aînée ne me laisse pas faire et m'enlace, je craque, pleurant à chaudes larmes pour la première fois depuis une éternité.

-T'en fais pas... rassure Sarah, caressant mes cheveux pendant que je continue de sangloter. On te fera aucun mal je te le promets...

"Ça fait tellement du bien de se vider... Ça fait tellement longtemps que je me suis pas lâchée devant quelqu'un..."

Je tiens encore plus fermement la robe de chambre de Sarah, met ma tête dedans, voulant camoufler mes sanglots. Mon sauveur entre brusquement dans la chambre, alarmé par mes pleurs.

-Ça va ?! s'écrie-t-il en jetant un coup d'œil partout dans la chambre.

Il me voit alors dans un état pitoyable, en pleurs dans les bras de Sarah, il parait d'abord étonné, avant de se sentir soulagé.

"Il s'inquiète pour toi Lee..."

-Ah t'es là sœurette. dit le jeune garçon, nous fixant sans gêne. Vous faites quoi là ?

Sarah se retourne, menace le garçon du regard tout en continuant de me caresser les cheveux, je commence à me calmer.

-Bon d'accord je vous laisse... répond le jeune homme, vexé.

-Non attends !

Le frère de Sarah se retourne, visiblement surprit. Je le scrute, le regard moins méfiant et plus confiant, je n'ai toujours pas la preuve qu'ils ne me veulent pas de mal, qu'ils ne vont pas m'abandonner, pourtant avec eux, je me sens bien.

"Allez Lee vas-y, fais le premier pas !"

-Je m'appelle Eileen et toi ? dis-je, le fixant d'un regard qui me ressemble pas.

Un regard curieux.

Il hésite, sans doute veut-il faire comme moi ? C'est vrai que j'ai pas été sympa.

-Moi c'est Naël, ravi de te connaître un peu plus Eileen. Il me fait un clin d'œil.

Je sens ma tête chauffer, il reflète quelque chose de bizarre... Je jette un coup d'œil à Sarah qui me regarde en souriant, elle se touche les joues d'une manière bizarre.

"Elle m'a vue ? Zut..."

-D'ailleurs... dis-je, observant toujours Naël d'un air curieux. Ça dérange pas vos parents que je sois là ?

Un instant d'hésitation s'installe, Sarah brise le silence.

-Non t'inquiètes, m'assure-t-elle en souriant. Ils vont poser des questions au début et se renseigner sur toi, mais je suis sûre qu'ils ne te dénonceront pas à la police si c'est ça qui te fait peur.

Leurs parents sont si gentils que ça ? J'ai l'impression de m'être réveillée dans un nouveau monde, dans une nouvelle vie, c'est dur à croire.

-C'est vrai Naël ? demandé-je, le regardant avec persistance.

-Ouais, fais nous confiance.

-D'accord...

D'un coup mon ventre grogna, c'est vrai que je n'ai rien mangé depuis mon réveil, je crois qu'ils m'ont entendue...

-Je vais te ramener un burger t'en fais pas. me rassure Sarah avant de s'en aller en direction de la cuisine, me laissant seul avec Naël.

"Pas de bêtise Lee. Tu gères..."

On se fixe durant un moment, sans rien dire, visiblement gênés, je fais le premier pas à mon grand étonnement.

-Tu sais... Je te suis vraiment reconnaissante de m'avoir aidée.... murmuré-je d'une voix faible.

Il faut bien que je leur laisse une chance, que je les teste, voir s'ils ne sont pas comme...

"Non... N'y pense plus Lee."

-Qu'est ce qui t'arrive ? s'étonne Naël, s'asseyant à côté moi, prise d'un mouvement de recul.

C'est vrai que ça ne me ressemble pas de me lâcher comme ça, mais tout est bon pour se faire une idée de la personnalité des gens.

-Rien j'ai juste besoin de déculpabiliser, vous m'avez sauvée, vous m'aidez...

-Dis moi ? reprend-il en ignorant totalement ce que je viens de dire.

-Oui ?

-Sois franche, t'as peur de moi ? J'ai remarqué que tu t'es détendue après avoir vu Sarah, je sais que tu aurais continué de m'ignorer si elle n'était pas venue.

Il a remarqué.

Mes mains tremblent, mon corps aussi, ça me gêne vraiment. Si je ne lui dis pas au moins une partie de mon passé, il va très mal prendre la peur que j'ai à son égard. Je n'ai pas la force de me battre ou d'être en conflit avec quelqu'un... Je lui raconte donc un morceau de mon vécu. Alors que je lui narre, j'entends Sarah derrière la porte, a-t-elle tout entendu ? Je vois Naël tout encaisser. Pendant plus d'une quinzaine de minutes, il a écouté mon récit avec attention, Sarah faisant sans doute de même. Plusieurs fois le visage de Naël se crispe, mon récit, insupportable à entendre, le touche. C'est la première fois que je raconte mon passé à quelqu'un mais je n'arrive pas à en dire plus, je ne suis pas encore prête... Eux non plus d'ailleurs... Je verse pour la première fois des larmes de joie, de libération, je me sens nouvelle. Soudainement, je sens les bras de Naël autour de moi, voulant m'enlacer, je vois flou, je le repousse tellement violemment, oubliant ma douleur, qu'il en tombe. Je le regarde, reprenant mes esprits. Son expression me ramène à la réalité.

"Il est toujours en toi Eileen. T'es pas prête. Tu ne le seras peut être jamais."

-Je suis désolée Naël... J'y arrive pas...

-T'en fais pas je comprends. dit-il d'un sourire que je savais faux.

Au même moment, Sarah détend l'ambiance en me servant le burger, je le prend en essayant de me montrer ravie malgré la gêne. Elle l'a même réchauffé.

"Faire semblant, c'est tout toi ça."

-On te laisse manger, on revient plus tard, bon appétit ! s'écrie Sarah, faisant signe à Naël de la suivre.

Ils partent tous les deux, vont dans la chambre de Naël, juste en face de la mienne.

**

J'arrive dans ma chambre avec Sarah, Eileen est toujours dans la sienne. Quand je regarde mon nid douillet, je me dis qu'il faut vraiment que je fasse quelque chose d'original... Elle est d'une sobriété effarante. Je ferme la porte, Eileen ne devrait pas nous entendre.

-Tu veux quoi ? dis-je alors à ma sœur qui me regarde de travers.

-Non mais t'es stupide ou quoi ?! s'exclame Sarah, alors que je comprends foutrement rien.

-Qu'est-ce que j'ai fait encore ?! contredis-je, énervé. Je voulais juste la rassurer moi !

-Ça te rappelle pas quelqu'un ses réactions ? Elle a clairement pas tout raconté espèce d'attardé !

Je réfléchis durant quelques secondes, avant de me rendre compte de quelque chose de fondamental. Je m'assois sur le lit en posant mes mains sur ma tête.

-Putain je suis trop con... C'est pas de moi qu'elle a peur...

-Je sais pas ce qui lui est arrivée mais elle est traumatisée par les hommes. affirme Sarah.

Elle a compris Eileen contrairement à moi.

**

Pendant ce temps, je déguste le repas qu'a préparé Sarah, délicieux, ça fait tellement longtemps que je n'ai plus mangé à ma faim... Je l'ai dévoré. Bon... Je crois qu'ils sont en train de parler entre eux, je vais tenter de ramener l'assiette moi-même. Ils m'accueillent, j'ai pas envie de les déranger plus que ça...

Je fais alors des efforts hors du commun pour me lever et sortir du lit. Je me tiens au canapé pour me diriger vers la porte que je réussis à ouvrir après plusieurs essais. C'est épuisant, mais j'ai pas fait ça pour rien. Je vois un long couloir qui mène peut-être au salon, je marche avec difficulté, c'est pas possible... Il y a des portes partout ! Je les ignore et continue mon chemin, tenant fermement l'assiette, m'aidant du mur pour avancer. J'arrive enfin au bout du couloir, dans un moment de faiblesse, les muscles de mes jambes me lâchent soudainement. Je m'effondre par terre, faisant tomber l'assiette qui se casse en mille morceaux dans ma chute.

"Ne sombre pas Lee... Ne sombre..."

J'entends une voix lointaine, avant de sombrer complètement.

Et de retomber dans mes cauchemars...