Je suis dans ce qui semble être une cave, un grenier ou encore un cachot, je ne peux vraiment situer l'endroit où je me trouve, mais c'est lugubre. Je revois Mr Thomas, torturant mon corps, me marquant de ses multiples coups. Il me fouette, le sang éclabousse partout, il repeint les murs et le sol comme on le fait avec un tableau. Je ne suis que l'œuvre, celle qui subit, mon sang la peinture et Mr Thomas l'artiste. Mais l'artiste change, le tableau aussi, il n'y a plus de peinture, tandis que je suis toujours là, dans une maison, je le sais et reconnais cet endroit, c'est à la fois mon Enfer psychologique et mon Enfer réel, j'y suis enchainée que je le veuille ou non.
Un nouvel artiste s'approche, lentement, sans se presser, comme pour faire durer le plaisir. Je l'observe, impuissante, le regard tétanisé, les jambes paralysées, je ne peux pas m'enfuir, je ne contrôle plus mon corps.
"Te laisse pas faire ! Tu es une battante !"
-Eileen... Tu n'as rien compris... murmure d'une voix glaciale l'artiste s'approchant toujours de moi dans la pénombre. Tu devrais pourtant...
"Combats-le ! Combats-le... Non..."
-Non... Je vous en supplie... sangloté-je, ne pouvant que me soumettre devant mon bourreau, devant mon artiste.
"Tu ne peux pas le battre Lee... Il est trop fort..."
-Tu es à moi... Ma poupée... Mon œuvre... susurre-t-il, s'approchant de plus en plus de moi.
Je ne peux que contempler avec terreur le regard horrifique de celui qui est devenu mon maître. Un regard obsessionnel, pervers, mélangé d'une folie meurtrière. Il m'a détruite mais ne me tuera pas, je le sais, ce n'est pas son genre. Ses yeux me pénètrent jusqu'au plus profond de mon âme, l'image est encrée en moi comme une œuvre dans un tableau.
-À l'aide !!!!
Je reviens de loin, en sueur, les larmes aux yeux, complètement essoufflée, je sors de mon passé.
-Eileen, ça va ? dit ce qui semble être la voix de Sarah.
Je me redresse, encore perdue et constate que je suis dans mon lit, dans ma chambre, dans mon nouveau monde et que ma gardienne est là pour moi.
-Oui ça va... je me masse la tête.
-Encore un cauchemar ? dit Sarah, son sourire montrant toute son empathie.
-Oui... Encore... acquiescé-je, le regard sombre.
"Ça s'arrêtera quand ?.. J'en peux plus..."
-Je sais que tu fais tout le temps ce cauchemar Eileen, ça ne va pas en s'améliorant, parles en moi.
Je détourne la tête.
-Je n'y arrive pas... me lamenté-je. Rien que d'y penser, ça me...
Sarah me coupe en mettant sa main devant ma bouche.
-N'en dis pas plus, je te comprends et tu en parleras quand tu seras prête. On ne va pas tarder à aller en cours nous, tu veux te rendormir ou venir avec nous ?
-J'arrive.
Je me lève plutôt aisément, les séances de rééducation avec Mme Morel ont été efficaces. Je peux de nouveau marcher et faire quelques efforts à condition de ne pas en abuser. Grâce à ça j'ai pu visiter ma nouvelle maison. Je n'ai juste pas osé sortir dans le jardin et encore moins à l'extérieur du terrain de la famille.
Naël, déjà réveillé mange un bol de céréales sur le canapé. Aiden, à ses côtés nous regarde arriver avec intérêt dans la salle à manger. Je remarque immédiatement son regard se poser sur moi et sens des frissons parcourir tout mon corps.
Sarah et moi profitons de notre petit déjeuner tranquillement malgré mes coups d'œil en direction des garçons, Aiden interpelle son frère. J'essaie de les écouter discrètement.
-Eh Naël ? chuchote le jeune garçon à son frère.
-Quoi ? répond celui-ci, l'air désintéressé.
-Elle devient vachement craquante Eileen, tu trouves pas ?
-Touches là et je te crève les yeux pour que tu ne puisses plus la voir, c'est clair ?
Aiden sourit tandis que Naël qui a complètement perdu son air désintéressé le regarde avec une certaine fureur.
-T'as quoi avec elle ? Tu la fais chier depuis qu'elle est là.
-Calme-toi, elle m'intéresse juste, j'ai pas le droit ? raille-t-il, le sourire moqueur.
-T'as toujours été bizarre avec les meufs, Eileen sera pas une de tes conquêtes.
-Tu comprends rien frérot, t'as bien vu ses yeux. Ils sont tellement excitants, un mélange de soumission et de sauvagerie, ça te fait rien toi ? Moi...
Dans la surprise générale, Naël prend son jeune frère par le col de son T-shirt et le jette par terre sans aucune sommation. Sarah se lève instantanément pour calmer l'aîné.
-Ça va pas ? Pourquoi tu fais ça ? demande-t-elle en prenant soin de ne pas élever la voix.
-Ce bouffon a encore une bite à la place du cerveau, devine qui veut sauter ce chien en rut ?
J'ai déjà compris qu'il parle de moi, pourtant je ne peux m'empêcher de déglutir. Je me lève tout de même pour me diriger vers eux tandis que Sarah qui tient fermement Naël regarde maintenant Aiden avec un certain dégoût. Celui-ci se lève.
-C'est bon, reprit-il avec son air moqueur, je la trouve juste à mon...
Un claquement sinistre, un silence de mort.
Sarah et Naël regardent avec stupeur le corps d'Aiden s'effondrer par terre suite à ma gifle magistrale, moi qui pensais être faiblarde, je me suis trompée.
-Aïe !! m'exclamé-je en me massant la main.
Aiden quant à lui paraît abasourdi. Il est toujours au sol, ne comprenant pas ce qui venait de se passer. Naël et Sarah me regardent avec une certaine fierté dans les yeux. Quand les miens et ceux d'Aiden se croisent, la tension augmente d'un cran.
-Je ne suis pas à toi Aiden... Tu ne sais pas ce que ça fait... murmuré-je, les yeux remplis de fureur. Des yeux que je n'avais plus montrés depuis des lustres.
Aiden s'engouffrant dans mon regard sombre n'ose pas répondre et reste à terre. Après quelques secondes, toujours en me massant la main, je retourne finir mon petit déj.
Sarah et Naël me suivent. J'entends Aiden marmonner quelque chose.
-Cette garce... Elle verra...
Je fais mine de n'avoir rien entendu malgré la crainte qui augmente petit à petit.
Un peu plus tard, alors que tout le monde est parti, je me pose tranquillement dans le salon, avec un petit cahier à la main, je le regarde avec une certaine mélancolie avant de commencer à écrire.
"Ceci est le journal d'une personne qui n'a jamais été considérée comme une humaine, même pas comme un animal, juste comme un objet. J'aimerai donc parler à l'Eileen que je serai plus tard.
Envole-toi, l'Enfer n'est plus, il fait place au Paradis que tu cherchais tant, le Désespoir s'estompe, L'espoir apparaît dans ton antre de noirceur.
Actuellement je n'ai plus la force d'espérer, pourtant j'essaie, de tout mon cœur, de toute mon âme. Mais c'est tellement dur d'essayer de bouger avec les membres brisés, d'essayer de combattre... Qu'est-ce qu'une pauvre poupée cassée peut bien faire...
La seule chose possible que je peux faire, c'est de te raconter à toi, l'Enfer que j'ai vécu. Un Enfer qui m'a détruite. Un Enfer qui est le tien."
C'est alors que les larmes aux yeux et les mains tremblantes, je me mets à écrire une partie de mon passé.
Après une heure d'écriture, je me lève, pose mon cahier sous mon oreiller, me dirige vers l'arrière-cuisine où je trouve un aspirateur et du matériel de nettoyage. En essayant de ne pas forcer je nettoie toute la maison, faisant bien sûr une pause pour manger le déjeuner avec Mme Lemoine qui rentre tous les midis. Nous discutons ensemble de choses anodines, peu à peu je vois mon quotidien changer. Même si l'ombre de la peur est toujours là pour me ramener dans mon passé.
"Je dois être forte..."
Vers quatorze heures, j'ai rangé et nettoyé toute la maison. C'est tellement satisfaisant, l'impression d'enfin servir à quelque chose m'emplit de joie. Je vais dans ma chambre, regarde dans ma garde-robe les vêtements que les Lemoine m'ont acheté. Ils sont fous, au début je refusais catégoriquement, mais j'ai fini par accepter à contrecœur. J'allais pas tout le temps porter les mêmes vêtements ou piquer ceux de Sarah. Je m'habille d'un jean noir et d'une chemise blanche à dentelle, je trouve ça à la fois classe et joli. Puis je retourne dans le salon où je me perds dans mes pensées, après quelques minutes, je regarde la baie vitrée, elle m'attire, je m'approche lentement de celle-ci et finis par l'ouvrir.
Il y a un transat dehors et il ne fait pas si froid, la brise est même agréable, mes cheveux se laissent porter par celle-ci.
"Ça fait si longtemps..."
Je regarde le ciel, me sentant libre pour la première fois de ma vie. Le soleil réchauffe mon corps mais aussi mon cœur, je suis apaisée.
"C'est différent de quand j'étais chez lui... Je peux peut-être leur faire réellement confiance..."
Je reste ici, mes yeux se ferment petit à petit. Mon esprit se repose suite à une journée remplie. Mon passé finit tout de même par engloutir mes pensées...
"C'est grâce à toi Naël, je te dois tellement..."
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Putain, encore une journée de merde dans ce fichu lycée... Je dois toujours supporter ces trimards qui me lèchent les pieds, je dois toujours faire bonne impression... Ça me gave...
J'en ai ras le bol de cette façade de lycéen, en plus il va bientôt revenir, je vais de nouveau replonger dans un océan de noirceur...
Mais maintenant j'ai une nouvelle personne dans ma vie. Quelqu'un que je peux protéger et peut être chérir. Depuis que j'ai croisé ton regard quand je t'ai sauvée de ce fichu incendie je ne pense qu'à toi. Tu auras beau me repousser je serai là, avec une patience à toute épreuve. Tu seras à moi et personne ne se mettra entre nous, surtout pas ce connard d'Aiden.
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