Après encore quelques coups de fouet me déchirant jusqu'au plus profond de mon âme et de mon corps, il se stoppe. Je tourne lentement ma tête, le regardant d'un air à la fois menaçant et désespéré. Cet homme se languit de me punir, il est exalté par ma douleur, excité par chacun de mes cris. Sans doute est-il extasié rien qu'en observant mon regard rempli de souffrance, de solitude et de tristesse. Alors c'est comme ça que ce fichu Dieu nous remercie pour nos bonnes actions. J'ai aidé un enfant et j'ai subi ça ?
"Ce monde... Horrible... Mes parents, même pas là pour me protéger..."
-J'espère que tu as compris petite idiote... murmure Mr Thomas dans mon oreille d'un ton à la fois malsain et goguenard. Tu n'es rien, tu n'as rien...
Je serre les dents pour ne pas répondre, lui opposer résistance c'est perdre. Il ne veut que jouer avec moi, il se plaît dans la torture, dans la punition. Des larmes coulent, je ne peux les retenir. L'entendre s'amuser de ma douleur, voir ses yeux se noyer dans une folie meurtrière, tout ça me donne des idées noires. Lui ne veut qu'une chose, me casser, le plus frustrant c'est qu'il en a le droit, je le sais pertinemment, dans cet orphelinat je ne suis rien.
"Même pas humaine..."
Nous ne sommes rien, à part des souffres douleurs, servant à réguler ces personnes malsaines, s'il n'y avait pas cet orphelinat, combien de personnes souffriraient ? Beaucoup, finalement je sers à quelque chose dans ma misérable existence, je sauve sans doute d'autres enfants en étant dans cet endroit... Nue, devant un être dégoutant qui s'extasie devant une scène pourtant si horrifique. Une enfant fouettée, ensanglantée, détruite physiquement et mentalement, une enfant n'ayant même pas encore neuf ans... Une enfant marquée...
Après la torture, je retrouve ma chambre, il est tard, je suis épuisée. Alors que j'essaie de m'endormir, mes douleurs au dos m'attaquent de plein fouet, revenant à chaque changement de position. Je pense encore au garçon, aux monstruosités que font subir le personnel de l'orphelinat à des enfants qu'on pourrait presque comparer à des nourrissons.
Je m'en fiche de me faire punir, je suis habituée, mais lui ne le mérite pas, personne ne le mérite...
"J'ai si mal..."
Le lendemain, je me réveille, les yeux enflés, j'ai pleuré toute la nuit. Mes blessures au dos me font terriblement souffrir. Je me regarde dans le miroir, juste une mine affreuse, semblable à une goule. Je fais le point sur mes blessures, des nausées me prennent. Le sang, éparpillé partout, mon dos, meurtri de lésions, sera marqué pour l'éternité de ces cicatrices, comme une esclave au service de ses démons.
"Ils le paieront. Je le jure."
-J'espère que c'est pas infecté... murmuré-je avant de fondre en larmes devant mon miroir.
Ma matinée est vide, il n'est pas encore l'heure de manger. Je ne fais rien à part compter les secondes, je ne peux même pas m'exercer à écrire, m'asseoir étant déjà une épreuve éprouvante. Alors je m'imagine plonger le monde extérieur, dans des contrées inconnues avec mes parents. J'y rencontre des personnes dans le besoin que j'aide sans rien leur demander en retour, dans un paysage fleuri, magnifique, sans bâtiments semblables à cet endroit putride. Je m'émerveille toute seule, mon esprit, créatif mais limité par un manque de culture causé par cet Enfer. Je m'en fiche dans ma tête, je suis la reine et c'est tout ce qui compte à mes yeux...
Malheureusement la réalité a toujours rattrapé les rêves...
Ma porte s'ouvre, mon cœur bat si vite qu'il aurait bien pu exploser. Mr Thomas se trouve en face de moi. Sa bonne humeur m'inquiète au plus haut point, quand il est content, ça ne présage rien de bon.
-Tu te sens mieux petite sotte ? raille le surveillant en s'approchant de moi, reculant le plus loin possible de lui tout en le menaçant du regard.
-Ne t'en fais pas, dit-il en m'examinant avec ses yeux globuleux, il ne va rien t'arriver... Du moins, physiquement...
Je recule encore d'un pas, apeurée, que va-t-il encore me faire subir, n'ai-je pas déjà payé pour mes crimes ?
-Tu te souviens du jeune garçon que tu as détaché ? dit Mr Thomas d'un ton mauvais.
Mon cœur se noue, je sentis le stress monter, qu'ont-ils fait à ce pauvre enfant ? J'imagine toute sorte de scénarios, mais rien ne laisse entrer ne serait-ce qu'une petite lueur d'espoir.
-Vous lui avez fait quoi ?! sangloté-je tout en succombant à ma souffrance intérieure pour la première fois de ma pitoyable vie.
-Rien, c'est d'ailleurs pour ça qu'il est mort... annonce-t-il sous mon regard pathétique, reflétant ma tristesse sans fond. Il a dû mourir d'une maladie, de faim ou d'épuisement, nous savons pas trop puis on s'en fout... On va l'enterrer au fond du terrain de l'orphelinat tu pourras venir si tu veux...
-Pourriture... dis-je en me mordant les lèvres si intensément que le sang coula.
Du sang qui aurait pu couler en même temps que mes larmes, tellement je suis en colère, mon esprit, au bord de l'implosion, les humiliations, les douleurs physiques et mentales, la tristesse, le dégoût...
"Ils me rongent... Ils me changent... Un monstre s'éveille... Ce n'est pas fini... Tu n'as rien vu..."
Je ne sais pas quoi faire de mon esprit brouillé, alors je pleure, encore et encore, sous le regard pervers de Mr Thomas, semblant au paroxysme du bonheur.
Je veux le griffer, l'étrangler, le taper, me défouler sur lui, l'humilier, le punir, le tuer... Tellement de pensées s'entrechoquent entres elles. Malheureusement, ce n'est que dans ma tête, ça ne donne pas de pouvoir, sinon je ne serais pas ici, à terre en train de me vider de mes dernières forces, de mes dernières gouttes d'eau, de mes derniers espoirs...
La matinée s'efface, elle laisse place à un midi amer, à la cantine, j'observe rien à part le vide, mon plat est invisible, je suis bloquée dans ma prison psychologique qu'est la souffrance.
Je dois avoir une mine épouvantable. Mes yeux rouges à en faire peur, enflés, le nez qui coule, mes reniflements à répétitions, mon sourire disparu, mes joues devenues rougeâtres, les pleurs revenant sans cesse. Plusieurs enfants sont venus me voir, j'ai gardé le silence pour ne pas les choquer, leur compagnie durant toute la pause est bien mon seul réconfort, pourtant je sais qu'il est éphémère, à huit ans et demi j'ai bien compris que ce n'est que le commencement.
Je passe toute l'après-midi à sangloter. Mr Thomas vient quelques fois me tourmenter, c'est sa passion, mais je ne dis rien. Je suis dans mon monde, sombre certes mais c'est le mien.
Lors de la pause je suis assise dehors, à côté des arbres, assez écartée des autres enfants, la tête dans mes bras. Je sais que les surveillants ont un œil sur moi, peut être ont-ils peur d'une fillette détruite ne sachant quoi faire à part souffrir. Son cœur la déchirant plus que son dos, j'aurais préféré subir ma punition plus longtemps plutôt que de vivre cela.
Malgré ça le ciel est beau, bleu, sans nuage, juste le soleil qui illumine les arbres, faisant des contrastes de lumières magnifiques, on doit être au printemps, j'entends les enfants rigoler entre eux, pas pour longtemps, ils le savent.
"C'est bientôt mon anniversaire..."
Je n'ai jamais vraiment vécu un anniversaire, des enfants qui avaient des parents autrefois m'en ont vaguement parlé, ils recevaient des cadeaux, riaient, s'amusaient avec leur famille, ils m'ont décrit cela comme quelque chose de magnifique. Moi à mon anniversaire à part des punitions je n'ai encore rien eu. Alors je rêve en utilisant mon futile esprit rêveur, de ce que je pourrais avoir comme cadeau le 16 mai 2012, une adoption serait tellement bien. Je lève les yeux vers le ciel pour voir les oiseaux voler....
J'aurais voulu des ailes pour m'échapper, peut être aurais-je subi la même punition qu'Icare, je me serais à nouveau écrasée dans cet endroit sordide. Le destin d'Icare, l'un des premiers mythes qu'on m'a raconté. L'histoire du garçon en quête de liberté, qui, en s'approchant trop du soleil perdit ses ailes de cire, ne résistant pas à la chaleur, provoquant sa chute mortelle. Une histoire triste mais tellement vraie, je suis sûre que si je m'envole loin de l'orphelinat je vais, tout comme Icare sombrer dans les abîmes...
"Tu n'as pas eu tort finalement..."
Soudainement, j'entends des bruits de pas s'approcher de moi. Je ne bouge pas, mon dos endolori m'entrave bien assez. Me lever serait le pire des supplices bien que ce soit la fin de la pause. Je regarde donc l'origine des pas, ce n'est pas un surveillant, je soupire, pour une fois j'ai de la chance. Je fais alors la connaissance d'une jeune blonde, un peu plus grande que moi. Ses cheveux lisses, sa longue queue de cheval. Si jolie... Ses yeux similaires aux miens non pas par leur couleur car ils sont bleus et jaunes mais par la souffrance qu'ils reflètent, son nez minuscule et ses fines lèvres font ressortir sa beauté. Elle a aussi un coquard sur l'œil gauche, la jeune fille me dit quelque chose, elle doit être dans mon bloc.
Elle s'approche de moi, ses yeux à la fois bleus et rouges, reflétant sa tristesse, embrassant la mienne...
-Salut... dit-elle, la voix tremblante, me fixant, le regard triste.
-Coucou. je lui répond d'une voix que je veux rassurante, tout en l'observant avec prudence.
-C'est toi la jeune fille qui est encore allée au cachot ?.. interroge-t-elle, toujours avec une certaine timidité.
-Oui pourquoi ?
Elle éclate en sanglots, me serre dans ses bras, me laissant dans l'incompréhension la plus totale, je lui rends son câlin sans grande conviction.
-Merci... Merci... répète la jeune fille, ne me lâchant plus.
-Mais pourquoi ?
Elle me libère de son étreinte mortelle, s'assoit devant moi, reprend son souffle pendant que je la regarde. Je finis par m'impatienter, n'ayant pas envie de compagnie, elle ne peut sans doute pas comprendre ma souffrance...
"Pourquoi je parle toujours trop vite ?"
-Je m'appelle Lylia... répond-elle en s'essuyant le nez. Le petit garçon attaché que tu as libéré, c'était mon petit frère... Je n'ai pas pu le voir... Mais tout le monde a dit que tu t'étais faite punir pour l'avoir aidé... Tu as été... Sa lueur d'espoir...
C'est un choc.
Mais j'ai désormais quelqu'un avec qui partager ma souffrance.