Les jours suivants ont été une litanie de silence et d'absence. Hugues et Marine étaient rarement là. Je me suis habituée à la solitude, à l'absence de leurs rires, de leurs voix. Je ne demandais plus quand il rentrerait, ni où il allait. Mon monde se réduisait à ma chambre, à mes pensées, à mes préparatifs.
Mon téléphone a vibré. Un message de Papa.
« Ton vol est réservé, ma chérie. Les documents sont prêts. Hâte de te voir. »
J'ai regardé la date. Dans trois jours. Trois jours avant ma liberté. Mon cœur a fait un bond.
Et puis, la pensée m'a frappée. L'anniversaire d'Hugues. Dans deux jours.
« Mon départ sera le plus beau cadeau d'anniversaire que je puisse lui faire, » ai-je murmuré, un sourire amer sur les lèvres. « La liberté. »
J'ai vérifié ma valise une dernière fois. Les quelques vêtements que j'avais gardés, mes carnets de croquis vierges, une nouvelle trousse de crayons. J'ai commencé à trier mes vieux vêtements, mes livres, les laissant à l'entrée avec une note pour ma mère : « À donner. »
Hugues est rentré ce soir-là, l'air fatigué. Il m'a vue près de la porte, entourée de mes affaires.
« Qu'est-ce que tu fais ? » a-t-il demandé, son regard curieux.
« Je trie, » ai-je répondu, ma voix plate. « Je me débarrasse de l'inutile. »
Il a froncé les sourcils, ses yeux s'attardant sur la pile de vêtements. Un instant, j'ai cru qu'il allait dire quelque chose, demander. Mais il a juste hoché la tête.
« Marine et moi avons trouvé un appartement, » a-t-il dit, changeant de sujet. « Nous allons emménager la semaine prochaine. »
Mon cœur s'est serré. Il partait. Il me laissait seule dans cette maison, avec mes parents qui ne me voyaient jamais vraiment. Mais ce n'était pas surprise. C'était la confirmation que j'étais une anomalie, un poids.
Une impulsion folle m'a traversée. Une dernière tentative, une dernière étincelle d'espoir.
« Je... je peux venir à ton anniversaire ? » ai-je demandé, ma voix à peine audible.
Je voulais juste dire au revoir. Bien. Pour de bon.
Il a hésité, son regard fuyant le mien. « Je... je ne sais pas, Pauline. On verra. »
Puis, il a tourné les talons et est parti, me laissant seule dans le couloir, le cœur brisé.
Je suis retournée dans ma chambre, les larmes aux yeux. J'ai regardé mes tiroirs. Vides. J'avais tout jeté, tout donné. Sauf une chose. Un vieux carnet de croquis, caché sous une pile de draps. Il était usé, ses pages jaunies.
Je l'ai ouvert. Les premières pages contenaient des croquis de Hugues. Hugues enfant, Hugues adolescent, Hugues l'homme. Chaque trait était empreint de mon amour, de mon adoration.
« Hugues, quand il rit, ses yeux se plissent. »
« Hugues, quand il travaille, son front se plisse. »
« Hugues, quand il me regarde, son regard est doux. »
Je me suis souvenue de ce regard doux, si rare maintenant. Je me suis souvenue de ses paroles, de ses promesses. Des promesses brisées.
Mais ces souvenirs... ils ne m'appartenaient plus. Ils étaient des fantômes, des ombres d'un passé qui n'existait plus.
La dernière page était vierge. Un espace blanc, attendant d'être rempli. J'ai pris mon crayon. Cette fois, ce ne serait pas pour lui. Ce serait pour moi.
J'ai dessiné Hugues et Marine, l'un à côté de l'autre, souriants, radieux. Leurs mains étaient entrelacées, leurs yeux brillants. C'était un portrait de leur bonheur, de leur avenir. C'était ma bénédiction silencieuse, mon adieu artistique.
J'ai posé le crayon. La peinture était terminée. C'était beau. Terriblement beau.
J'ai entendu la porte d'entrée s'ouvrir. Des pas lourds. Une odeur d'alcool. Hugues.
Il a titubé dans le couloir, sa silhouette chancelante. J'ai ouvert la porte de ma chambre.
« Hugues ? » ai-je demandé, ma voix pleine d'inquiétude.
Il s'est tourné vers moi, ses yeux injectés de sang. « Pauline ? »
« Tu es ivre, » ai-je dit, m'approchant de lui. « Laisse-moi t'aider. »
J'ai posé ma main sur son bras, essayant de le soutenir. Il m'a regardée, ses yeux troubles. Puis, il m'a serrée dans ses bras, une étreinte puissante et désespérée. Mon corps s'est tendu.
« Reste, Pauline, » a-t-il murmuré, sa voix rauque. « Reste avec moi. »
J'ai senti son souffle chaud sur mon cou, sa main caressant mes cheveux. Mon cœur battait à tout rompre. C'était un rêve. Un cauchemar.
Puis, ses lèvres se sont posées sur les miennes.
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