Au téléphone, la voix de ma mère était glaciale.
« Tu n'es qu'une traînée ! Quitte cette maison immédiatement ! »
En un instant, l'homme que j'aimais et la famille qui m'avait élevée m'avaient tous trahie et abandonnée. Mon monde s'est effondré, me laissant seule dans un vide glacial.
J'ai alors pris ma décision. J'ai détruit chaque souvenir, changé de numéro et réservé un aller simple pour le pays de mon père biologique. Cette fois, je ne serai plus une rose fragile attendant son soleil. Je deviendrai mon propre soleil.
Chapitre 1
Pauline POV:
J'ai regardé la boîte en carton, posée sur le parquet froid de ma chambre. Chaque souvenir à l' intérieur était un coup de marteau dans ma poitrine, une douleur vive et lancinante. Hugues venait de la jeter là, la qualifiant de « désordre inutile », avant de me tendre une tablette graphique d'un gris impersonnel. « C' est plus pratique qu' un carnet de croquis, Pauline. Il faut grandir. » Ses mots étaient des lames de rasoir. Ce carnet, c' était lui qui me l'avait offert, rempli de nos rêves d'enfant.
J'ai ramassé le carnet déchiré, les pages se sont éparpillées comme les fragments de mon cœur. Chaque dessin, chaque mot, portait son empreinte. Il avait tout jeté, tout brisé, comme si notre passé n'avait jamais existé. Mon estomac s'est noué, une boule amère remontant ma gorge.
J'ai senti la douleur monter, une brûlure intense derrière mes yeux. J'ai attrapé la bouteille de vin bon marché posée sur ma table de chevet. Le liquide rouge a glissé dans mon verre, puis dans ma gorge, une sensation âpre qui n'a pas réussi à éteindre le feu. Je voulais juste que ça s'arrête.
Mon téléphone a vibré, une sonnerie stridente dans le silence écrasant de la pièce. Céleste. Ma marraine. La femme qui avait toujours vu en moi autre chose qu'une petite sœur dépendante. J'ai hésité, ma main tremblante.
« Pauline ? » Sa voix était douce, mais ferme, comme toujours.
« Céleste, » ai-je murmuré, ma voix étranglée.
« Ça va, ma puce ? Je sens que tu as besoin de parler. »
Un sanglot m'a échappé. « Je ne peux plus. Je veux partir. »
Un silence. Puis, un soupir. « Je t'ai proposé de venir à Paris tant de fois. Tu as toujours refusé. »
J'ai fermé les yeux, l'image d'Hugues et de Marine, sa fiancée glaciale, s'imprimant sur mes paupières. « Oui, mais... c'était avant. Avant que le château de cartes ne s'effondre. »
J'ai essayé de rire, un son creux et forcé. « Disons que la vie m'a rappelé que certains contes de fées n'ont pas de fin heureuse. »
« Il s'est passé quelque chose de grave, n'est-ce pas ? » Sa voix s'est adoucie.
« Hugues... il a annoncé ses fiançailles. Avec Marine. Et il a... il a jeté tous nos souvenirs d'enfance. Il a dit que c'était du désordre. » La dernière phrase est sortie dans un souffle, la douleur à vif.
« Oh, Pauline... » J'ai entendu de la pitié dans sa voix, mais aussi une pointe de colère. « Je savais qu'il était aveugle, mais à ce point... »
« Je ne peux plus rester ici, Céleste. Je ne peux plus le voir. Je ne peux plus faire semblant. » Mon cœur battait à tout rompre.
« Bien, » a-t-elle dit, sa voix reprenant de la force. « Alors, viens. Je t'offre un poste dans mon atelier, un appartement, le temps de te poser. Paris t'attend, mon talent. »
« Vraiment ? » Un filet d'espoir a percé mon désespoir.
« Bien sûr. Prépare tes affaires. Je m'occupe du reste. Tu commences une nouvelle vie. Une vie où tu seras ton propre soleil. »
J'ai raccroché, les mots de Céleste résonnant en moi. Ton propre soleil. J'ai titubé jusqu'à la salle de bain, mon reflet dans le miroir était celui d'une étrangère. Des yeux rougis, des cernes profonds, un visage pâle et tiré. La douleur me tordait les entrailles. J'ai éclaboussé mon visage d'eau froide, encore et encore, essayant de laver la tristesse, de réveiller la Pauline que j'avais été.
La lumière sous la porte d'Hugues était encore allumée. Il était sans doute en train de travailler sur ses plans d'architecte, sa vie parfaite, sans moi. Une impulsion folle m'a traversé. Une dernière fois. Une dernière tentative de briser ce mur de glace. J'ai marché vers sa porte, mon cœur battant la chamade.
J'ai toqué doucement. Un silence. Puis, sa voix froide et détachée. « Oui ? »
J'ai respiré un grand coup et ouvert la porte. Hugues était devant son ordinateur, le dos tourné. Sa silhouette était imposante, charismatique, même dans le noir. Il était mon soleil, ma lune, mon tout. Une figure interdite, mon frère adoptif. Le seul homme que j'aie jamais aimé.
Il s'est retourné, ses yeux bleus perçants fixant mon visage. « Pauline ? Qu'est-ce que tu fais là ? » Son ton était agacé, sans une once de chaleur.
« Je... je voulais te parler, » ai-je balbutié, mes mots se perdant dans le silence.
« Je suis occupé. Marine arrive bientôt. »
Comme un coup de poignard. Marine. Toujours Marine. Avant que je puisse répondre, j'ai entendu un bruit de clés dans la serrure. La porte d'entrée s'est ouverte.
« Hugues, mon amour, je suis là ! » La voix suave et glaciale de Marine a résonné dans le couloir.
Hugues a esquissé un sourire, un sourire que je n'avais pas vu depuis des mois, un sourire réservé à elle seule. Il s'est levé, sa posture détendue, ses yeux brillants. C'était un homme différent. L'homme que j'avais connu, mon protecteur, avait disparu.
Il a tendu les bras vers elle, et elle s'est jetée dans ses bras. Ils se sont embrassés, un baiser long et passionné, juste devant moi. Mon cœur s'est brisé en mille morceaux, le son résonnant dans ma tête, assourdissant.
Hugues, tu as toujours été là.
Quand mes parents se disputaient, tu te cachais avec moi sous le lit, me murmurant des histoires pour me faire rire. Quand j'ai fait ma première chute à vélo, c'est toi qui as pansé mon genou, me promettant de me protéger pour toujours. Tu étais mon roc, mon chevalier sans armure, mon confident. Je me souviens de ces nuits d'été, quand nous nous faufilions sur le toit pour regarder les étoiles. Tu me disais que j'étais ta petite rose, fragile et précieuse, et que tu serais toujours là pour moi.
À l'adolescence, mes sentiments ont changé. La tendresse s'est transformée en adoration, l'admiration en un amour ardent et secret. Je t'ai écrit des lettres, des poèmes, des dessins, cachés dans un carnet que tu m'avais offert. Ce carnet, rempli de mes espoirs les plus fous, de mes fantasmes les plus inavouables.
Un jour, j'ai craqué. J'avais 16 ans. Je t'ai avoué mes sentiments, mes mains moites, les larmes coulant sur mes joues. Tu as lu ma lettre, ton visage se décomposant. Tu as déchiré le carnet en mille morceaux devant mes yeux, tes yeux noirs de colère. « Pauline ! C'est dégoûtant ! Tu es ma sœur ! Comment oses-tu ? » Tu m'as hurlé dessus, tes mots cinglants. « Ne répète plus jamais ça ! Tu es folle ! »
J'ai ramassé les fragments, mes larmes se mélangeant à l'encre. Mais même après ça, je n'ai pas pu t'oublier. J'ai continué à te chercher dans chaque sourire, chaque regard. J'ai espéré que tu changerais d'avis, que tu verrais la femme que j'étais devenue, pas la petite sœur. J'ai travaillé dur pour te plaire, pour te prouver ma valeur, pour être digne de ton amour.
Puis Marine est arrivée. Elle était tout ce que je n'étais pas : sûre d'elle, sophistiquée, ambitieuse. Tu l'as présentée à nos parents, qui l'ont accueillie à bras ouverts. « Pauline, tu dois appeler Marine 'sœur'. Elle fait partie de la famille maintenant. » La phrase de ma mère sonnait comme une condamnation.
La réalité m'a frappée de plein fouet. Ils étaient là, dans le couloir, riant et s'embrassant, insouciants du désespoir qui me rongeait. C'était la fin. La fin de mon rêve, la fin de mon espoir.
Mon monde s'est effondré. J'ai senti le sol se dérober sous mes pieds. La douleur était si intense que je pouvais presque la toucher. J'ai compris. J'ai compris qu'il n'y aurait jamais de place pour moi dans sa vie, pas comme je l'espérais. Il était temps de me libérer. De me sauver.
Je devais m'échapper. Quitter cette prison dorée, cette douleur qui me rongeait.
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