Chapitre 2 No.2

La sortie de l'église fut un flou chaotique. Anya poussait le fauteuil d'Asher. C'était un modèle manuel, noir mat, sans moteur. Elle sentait le poids de l'homme, une masse inerte et solide qui nécessitait un effort constant pour avancer sur le pavé irrégulier.

Il n'y avait pas de limousine blanche. Juste une berline noire, un modèle ancien, garée un peu à l'écart. La peinture s'écaillait par endroits.

- Henderson est en congé, dit Asher en déverrouillant la voiture à distance. Tu vas devoir conduire.

Anya ne posa pas de questions. Elle ouvrit la portière passager.

- Je peux t'aider à... ? commença-t-elle, hésitante, ne sachant pas comment on manipulait un corps immobile.

- Je me débrouille, coupa Asher sèchement. Tiens le fauteuil.

Elle bloqua les roues avec son pied. Asher s'appuya sur le cadre de la portière et sur l'accoudoir du fauteuil. Ses triceps se contractèrent visiblement sous sa veste. Avec une force de bras impressionnante, il souleva son corps et se glissa sur le siège en cuir usé. Il grimaça, réajustant ses jambes avec ses mains, une par une, comme s'il s'agissait d'objets encombrants.

Anya détourna les yeux, par respect. Elle plia le fauteuil manuel, le mit dans le coffre, et s'installa au volant. Sa robe de mariée remplissait tout l'habitacle. Le tulle et la soie s'écrasaient contre le tableau de bord poussiéreux.

Ils roulèrent vers la mairie pour l'acte civil. Le trajet se fit dans un silence absolu. Anya conduisait mécaniquement. Elle venait de détruire sa vie planifiée pour sauter dans le vide.

Une heure plus tard, c'était fait. Pas d'alliances. Juste des signatures sur un papier administratif froid.

De retour dans la voiture, la pluie commença à tomber.

- Tu ne m'as pas demandé où nous allions vivre, dit Asher en regardant les gouttes glisser sur la vitre.

- Au Manoir Sterling ? supposa Anya.

Asher émit un rire bref et sans joie.

- Le Manoir est au nom d'un trust familial inviolable. Je ne peux pas le vendre, mais je n'ai pas un sou pour l'entretenir. C'est une prison dorée dont les murs s'effritent.

Il sortit une tablette de sa veste et la tendit à Anya.

- Regarde.

Anya prit l'appareil. Ce n'était pas un simple relevé bancaire, mais un document juridique scanné. Une mise en demeure de créanciers multiples.

- Dette cumulée : Cent millions de dollars ? souffla-t-elle.

Elle sentit son estomac se nouer. Blake l'avait humiliée émotionnellement. Asher, lui, était une catastrophe financière nucléaire.

- Investissements ratés dans la tech, dit Asher d'un ton monocorde, récitant un mensonge qu'il avait peaufiné. Jeu. Voitures de collection que j'ai crashées. Frais médicaux. Je suis un boulet, Anya. Une épave qui coule.

Il l'observait du coin de l'œil. Il attendait le moment où elle crierait, où elle arrêterait la voiture et s'enfuirait en courant sous la pluie. C'était le test. Le premier filtre.

Anya fixa l'écran. Cent millions. C'était une somme impossible. Une vie de servitude.

Elle pensa à Blake. À son sourire suffisant. À Chelsea.

Elle éteignit la tablette et la rendit à Asher.

- Alors nous travaillerons, dit-elle.

La main d'Asher se figea en reprenant la tablette.

- Pardon ?

- Je suis graphiste. Je suis douée. Tu touches... je ne sais pas, une pension d'invalidité ? Des dividendes résiduels ? On mangera des pâtes. On s'en sortira.

Asher la dévisagea. Elle était sérieuse. Elle ne fuyait pas. Elle parlait de "nous". Une étrange chaleur s'alluma dans sa poitrine, qu'il s'empressa d'éteindre.

- Tu es naïve, Vance. Tu ne sais pas ce que c'est que de vivre avec un échec.

- J'ai été abandonnée devant trois cents personnes il y a deux heures, Asher. Je suis une experte en échec.

Ils arrivèrent au Manoir Sterling. C'était une bâtisse imposante, gothique, sombre sous la pluie. Mais en s'approchant, Anya vit les signes de négligence. Les herbes folles envahissaient l'allée. Une aile entière semblait fermée, les volets clos.

La porte s'ouvrit avant qu'ils ne montent les marches. Un homme âgé, au dos droit comme un piquet, portant un costume un peu élimé aux coudes, les attendait.

- Monsieur, dit l'homme.

- Henderson, voici ma femme.

Henderson ne sourcilla pas. Pas un muscle de son visage ne bougea. C'était un ancien des forces spéciales, qui jouait maintenant le rôle du majordome fidèle d'un capitaine naufragé.

- Bienvenue, Madame. Je crains qu'il n'y ait pas de personnel pour porter vos bagages. Il n'y a que moi, et mes vertèbres ne sont plus ce qu'elles étaient. Je travaille pour le logis, pas pour un salaire que Monsieur ne peut payer.

Anya entra dans le hall. Il faisait froid. Une odeur de renfermé et de poussière ancienne flottait dans l'air. Les meubles étaient recouverts de grands draps blancs, comme des fantômes.

C'était lugubre. C'était triste.

Anya retira son voile. Elle le jeta sur une chaise recouverte d'un drap.

- Où est la chambre principale ? demanda-t-elle. Je suppose que je dois changer les draps moi-même ?

- Premier étage, à droite, dit Asher, manœuvrant son fauteuil vers la rampe d'accès installée sur le côté de l'escalier.

Il la regarda monter l'escalier monumental, sa robe traînant dans la poussière, laissant un sillage propre derrière elle. Elle ne s'était pas plainte. Pas une seule fois.

Dès qu'elle disparut au tournant, Asher sortit son téléphone de sa poche intérieure. Un modèle prototype, introuvable sur le marché.

Il tapa un message rapide à Rhys Morgan, son bras droit.

Elle est restée. Elle pense qu'on va manger des pâtes pour rembourser 100 millions.

Il rangea le téléphone. Un sourire imperceptible étira ses lèvres. Le jeu venait de devenir beaucoup plus intéressant.

            
            

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