La directrice, une femme nommée Elena - une Elena bienveillante, pour changer - m'avait écoutée. Je ne lui avais pas avoué que j'étais la femme d'un Capo. J'avais simplement dit que j'étais piégée dans une relation abusive avec un homme puissant.
- Nous avons un programme d'extraction, avait-elle assuré. Nous ne jugeons pas. Nous aidons.
Elle m'avait offert un poste à Paris. Loin. Anonyme.
La veille de mon départ, je me rendis dans le jardin d'hiver. C'était le seul sanctuaire que je tolérais ici. Les orchidées ne jugeaient pas. Elles se contentaient de survivre.
- Tu vas voir le monde, mon petit, chuchotai-je en caressant mon ventre. Tu ne seras pas un soldat. Tu ne seras pas une monnaie d'échange.
Le matin du départ, une voiture banalisée m'attendait à l'arrière du domaine, près de l'entrée des livraisons. Ma « nouvelle assistante », envoyée par l'organisation, m'accueillit. Elle s'appelait Sarah. Elle avait un sourire doux et des yeux qui ne demandaient rien, aucun compte à rendre.
- Vous avez vos papiers ? demanda-t-elle.
Je tapotai mon sac. Faux passeport. Argent liquide que j'avais retiré petit à petit.
- Allons-y.
Sur l'autoroute vers l'aéroport, le trafic ralentit. Une file de SUV noirs blindés nous dépassa sur la voie de gauche, fendant l'air avec arrogance.
Mon cœur cessa de battre.
C'était le convoi de Dante. Je reconnus instantanément sa voiture de tête.
Nos véhicules se retrouvèrent côte à côte pendant une seconde qui me parut éternelle. À travers les vitres teintées, je crus discerner une silhouette tourner la tête vers moi.
Dante.
Il avait cet instinct animal, ce sixième sens de prédateur. Il savait toujours quand quelque chose clochait dans son périmètre.
Je m'enfonçai dans mon siège, retenant mon souffle jusqu'à la douleur. S'il me voyait... S'il décidait de vérifier...
Soudain, je vis du mouvement dans sa voiture. Une main tendit un dossier devant son visage. Clara. Elle attirait son attention sur un contrat, ou une crise, ou elle-même.
La tête de Dante se détourna. Le convoi accéléra et disparut dans le lointain.
Je lâchai un souffle tremblant, l'air brûlant mes poumons.
- Ça va ? demanda Sarah, inquiète.
- Je viens d'échapper au diable parce qu'il était trop occupé à regarder ailleurs, murmurai-je.
À l'aéroport, Sarah me guida vers un terminal privé.
- À Paris, vous aurez votre propre appartement, expliqua-t-elle avec enthousiasme. Nous avons prévu une crèche pour plus tard. Et l'équipe est impatiente de voir vos idées pour la galerie caritative. Ils veulent votre cerveau, Sofia. Pas votre nom.
La différence était si brutale que j'en eus les larmes aux yeux. Ici, j'étais une personne. Là-bas, j'étais une possession.
Je me réfugiai aux toilettes avant d'embarquer. Je me suis regardée dans le miroir, confrontant mon propre reflet. J'enlevai les boucles d'oreilles en diamant que Dante m'avait offertes le lendemain de notre nuit de noces. Elles valaient une fortune.
Je les regardai scintiller sous les néons crus. Froides. Dures. Comme lui.
D'un geste sec, je les jetai dans la poubelle, par-dessus des serviettes en papier sales.
Sarah me regarda sortir, surprise de me voir sans bijoux, le cou et les oreilles nus.
- Vous avez oublié quelque chose ?
- Non, dis-je d'une voix ferme. J'ai tout laissé derrière moi.
Je me suis retournée une dernière fois vers le hall des départs. Mentalement, je tranchai le cordon invisible qui me reliait à cette ville, à mon père, à Austin, et surtout à Dante.
L'avion décolla. La pression me cloua au siège.
Je fermai les yeux. Pour la première fois depuis des mois, je n'avais pas peur. J'imaginais les rues de Paris. J'imaginais une vie où je ne serais la « femme de » personne.
Je posai la main sur mon ventre.
Nous sommes libres.
Mais je savais que Dante ne laisserait jamais partir ce qui lui appartenait. La guerre ne faisait que commencer, mais cette fois, j'étais sur un autre champ de bataille.