Elle est entrée avec l'assurance d'une propriétaire, portant une pile de chemises fraîchement repassées. Elle ne m'a même pas accordé un regard.
Elle a marché directement vers le dressing de Dante, rangeant ses vêtements avec une familiarité qui me donnait la nausée.
- Le café de Monsieur est servi en bas, dit-elle en passant devant moi, sans ralentir le pas. Il n'aime pas attendre.
Je suis restée figée devant ma coiffeuse, scrutant mon reflet pâle. Je portais l'alliance de Dante, mais c'était cette femme qui connaissait l'ordre chromatique de ses chemises.
C'était une intrusion silencieuse, quotidienne. Une façon de me dire : Tu as la bague, mais je détiens sa vie.
Je suis descendue les jambes lourdes.
La salle à manger était plongée dans un silence monacal. Dante était assis en bout de table, absorbé par des rapports sur sa tablette.
Il portait un costume trois-pièces, impeccable, intimidant. Il ne leva pas les yeux quand j'entrai.
Je me suis assise à sa droite. L'assistante était debout derrière lui, versant du café dans sa tasse. Elle savait exactement combien de sucre il prenait. Pas moi.
- Quel est le programme aujourd'hui ? demandai-je, ma voix résonnant trop fort dans ce silence oppressant.
L'assistante répondit avant lui, comme si j'avais interrogé son secrétaire.
- Monsieur a une réunion avec les Capos à dix heures, puis une inspection des quais. Le dîner avec le sénateur est annulé.
Elle a souri, un sourire professionnel et tranchant comme une lame de rasoir.
- Nous avons beaucoup à faire pour gérer les retombées de la semaine dernière, ajouta-t-elle, incluant Dante dans ce "nous" exclusif qui me rejetait violemment.
Je me suis sentie petite. Transparente. J'ai coupé un morceau de fruit, essayant de masquer le tremblement de mes mains.
- J'ai des affaires familiales à régler, mentis-je. Je ne serai pas là pour le déjeuner.
Dante leva enfin les yeux. Ses iris étaient d'un noir insondable, des abysses sans fond. Il me scruta, cherchant une faille, une émotion.
- Bien, dit-il simplement.
Il retourna à sa lecture, m'effaçant de son existence.
Le soir même, il entra dans la bibliothèque où je lisais. L'air changea instantanément. Il devint électrique, lourd, saturé de sa présence.
Dante posa un dossier devant moi.
- C'est pour la fondation, dit-il.
Sa main frôla la mienne sur le cuir du dossier. Sa peau était chaude, rêche. Un choc traversa mon corps.
C'était une collision toxique entre une attirance primitive et une répulsion profonde.
Je retirai ma main comme si j'avais été brûlée.
Soudain, une vague de nausée violente remonta dans ma gorge. Je portai la main à ma bouche, mon visage virant au vert.
Dante fronça les sourcils. Il fit un pas vers moi, l'inquiétude - ou la suspicion - marquant ses traits.
- Sofia ?
On frappa à la porte. Trois coups secs.
- Boss, c'est urgent. Le Capo de l'Est est au téléphone.
Le masque de Dante retomba instantanément. L'homme qui avait failli s'inquiéter disparut. Le Don revint.
Il se détourna sans un mot, attrapant sa veste, suivi de près par l'assistante qui apparut de nulle part avec son téléphone.
Ils partirent ensemble. Une équipe parfaite.
Je suis restée seule, luttant contre l'envie de vomir. J'ai ouvert le dossier qu'il m'avait laissé.
À l'intérieur, glissé entre les pages budgétaires, se trouvait mon vieux business plan pour une galerie d'art. Un projet que j'avais abandonné en épousant Austin.
Dante l'avait trouvé. Il l'avait lu.
Plus tard, au dîner, il brisa le silence.
- Tu as du talent pour l'organisation, dit-il sans préambule. Utilise-le. Ne laisse pas ton esprit s'atrophier à attendre que je rentre.
C'était un ordre, pas un compliment. Il voulait que je sois utile. Que je sois une épouse trophée qui fonctionne.
- Je n'attends personne, Dante, répondis-je froidement.
L'assistante servit le vin, coupant court à notre échange tendu en parlant d'un problème logistique. Dante se tourna vers elle, engagé, attentif.
Je suis montée dans ma chambre. J'ai sorti mon vieux journal intime.
J'ai pris un stylo rouge. J'ai rayé chaque mention du nom d'Austin.
J'ai écrit "Dante" à la place, puis j'ai rayé ça aussi, avec rage.
J'ai posé ma main sur mon ventre plat. La nausée n'était pas due au stress. Je le savais maintenant.
Un secret grandissait en moi.
Une arme. Ou une malédiction.