Chapitre 5 Chapitre 5

La douleur bat toujours dans ma jambe, mais malgré cela, je prends un certain plaisir à écouter ma compagne et à l'observer. Elle ne ressemble en rien aux femmes ou aux louves que j'ai pu croiser auparavant. Hormis l'idée insensée qu'elle puisse croire que je la rejetterais, elle a ce don rare d'être drôle. J'apprécie cette habitude qu'elle a de chuchoter à voix basse, de se parler à elle-même comme si le monde autour n'existait pas. Chaque mot m'arrive distinctement, et même sans lien marqué, cela reste une fenêtre précieuse ouverte sur son esprit captivant.

Son visage aussi me parle ; il exprime ses pensées aussi clairement que ses murmures. Elle ne prend pas la peine de masquer ses émotions, et cette sincérité brute me paraît rafraîchissante. Contrairement à tant d'autres, elle ne cherche pas à me séduire ni à m'impressionner parce que je suis Alpha. En réalité, elle semble presque tenter de me fuir précisément pour cette raison. Mais cela, je ne le permettrai jamais. J'ai passé trop de temps à traquer cette petite doctoresse pour songer à la laisser filer.

« Pour répondre à ta question, Logan, le docteur Madison procède avec soin, elle me remet en état pas à pas. C'est bien mieux que le plan du docteur Collins, qui voulait simplement m'amputer », dis-je. Le regard de mon Bêta croise le mien, et je lis aussitôt dans ses yeux qu'il comprend les sous-entendus. C'est lui qui aurait pu hériter du rôle d'Alpha si je venais à tomber, et je sais qu'il en est conscient. Heureusement, je peux compter sur lui : jamais il n'a cherché à briguer ce pouvoir, et il s'acquitte de sa place de Bêta avec une loyauté exemplaire.

« Tu ressens au moins un engourdissement ? » demande-t-il, les lèvres pincées, tout en suivant les gestes de Madison.

« Complètement absurde, Alpha », marmonne-t-elle, se mêlant à notre échange comme si elle pensait que ses remarques passaient inaperçues.

Logan fronce les sourcils vers moi. « Elle sait que nous l'entendons, pas vrai ? » souffle-t-il par le lien.

« On dirait que non », rétorqué-je avec un sourire.

Puis, à voix haute : « Pas d'anesthésie. »

Logan secoue la tête. « Je dois admettre que je comprends son point de vue », dit-il, même si son expression trahit son agacement.

« Parle-moi de Carter. L'as-tu achevé ? » je demande, recentrant la conversation.

« Amber, prêt ? » souffle Madison, tout entière absorbée par son travail.

« Toujours prêt, ma chère », répond Amber. Logan se penche aussitôt pour observer la guérison opérer sur mon os.

« Par les dieux ! C'est impressionnant ! » s'exclame-t-il.

« Je le sais bien », ricane mon ami, fier de sa contribution. Une jalousie instinctive m'échappe en un grondement sourd.

Ils tressaillent aussitôt, et bien que son geste me cause une douleur cuisante dans la jambe, je note que l'os tient bon cette fois.

« Pardon, Alpha », dit Logan en découvrant son cou en signe de soumission.

Madison suit la scène, ses lèvres s'amincissent dans une désapprobation silencieuse. Je me penche légèrement vers elle pour que mes paroles ne laissent aucune ambiguïté.

« C'est mon compagnon. »

« Je suis ton médecin. Temporairement. Et si tu tiens à ce que ma main reste dans ta chair sans que je décide d'abandonner l'opération au docteur Collins, alors évite ce genre d'attitude », réplique-t-elle avec aplomb.

Je retiens un sourire. Par les Esprits, j'adore sa témérité.

Sans la quitter des yeux, je reprends à l'intention de Logan : « Alors, Carter ? »

« Incapables de le capturer, nous l'avons laissé retourner vers son repaire. Nous savons qu'il a piégé la zone, nous n'avons pas franchi ses limites », explique mon Bêta.

« Qu'entends-tu par piégé ? Amber, à nouveau », ordonne Madison, toujours sans lever les yeux de son travail. Je hoche la tête. Sa capacité à s'incruster naturellement dans nos échanges m'amuse plus qu'elle ne m'irrite.

« Des pieux à ressort dissimulés dans le sol », précise Logan, mesuré désormais pour éviter d'attirer ma jalousie.

« Des querelles de meutes absurdes, des morts inutiles », soupire-t-elle dans un murmure qu'elle croit discret.

Logan me lance un regard appuyé, et je lui rends un sourire.

« Pour en revenir à l'essentiel », poursuit-il, « nous avons reçu une nouvelle préoccupante. »

« Dis toujours », ordonné-je.

« L'Alpha Solomon est mort. Son fils, Daniel, a pris sa place. »

J'aurais presque manqué la réaction de Madison, tant j'étais concentré sur elle. Sa main s'est brusquement arrêtée, tremblante.

« Excusez-moi, Alpha. J'ai besoin d'une pause », murmure-t-elle avant de retirer ses gants et de quitter la salle précipitamment, sans attendre ma permission.

« Suis-la. Pas trop près, mais veille à ce qu'elle ne s'éloigne pas », ordonné-je à Logan.

Il incline la tête. « Oui, Alpha. »

Quand il sort, je demeure seul avec Amber et la douleur qui pulse dans ma jambe ouverte.

La porte s'ouvre soudain et Collins entre, son air suffisant plus agaçant que jamais. « J'étais certain qu'elle ne tiendrait pas. Enfin... » Il s'interrompt en voyant l'état de ma jambe. « Quelle catastrophe ! Je prépare l'amputation. »

« La seule chose que tu vas préparer, c'est ta sortie. Elle fait une pause, mais elle est en train de me soigner, et je n'ai pas l'intention de perdre ma jambe. Dégage de ma salle, docteur », grogné-je.

« Alpha, je me dois d'insister... »

« Ce que tu dois, c'est obéir. SORS ! » hurlé-je.

À ce moment, Madison revient, haletante. Son regard s'enflamme en découvrant Collins.

« Comment pouvez-vous abandonner un patient en pleine intervention ? »

« Logan ! » grondé-je.

Mon Bêta apparaît aussitôt, et d'un ton beaucoup plus posé que le mien, il invite Collins à quitter les lieux. L'autre soupire, mais obtempère.

« Pardonnez-moi, Alpha », souffle Madison, sans me regarder. « Le docteur Collins avait raison : je n'aurais pas dû m'éclipser. »

Je tourne un œil vers Logan, qui hausse les épaules.

« Comment viens-tu de m'appeler ? » demandé-je, la voix encore chargée de mon irritation.

Ses yeux se posent brusquement sur les miens. « Alpha ? »

Je lui fais signe d'approcher, puis, prenant doucement son menton entre mes doigts, je l'oblige à soutenir mon regard.

« Et comment t'avais-je dit de m'appeler ? »

« Brandon », murmure-t-elle, ses prunelles vert sombre captant toute mon attention.

« Brandon », confirmé-je en relâchant son visage. « Très bien, continue, docteur Madison. »

Elle acquiesce et revient à ma jambe. Sa respiration se stabilise tandis qu'elle choisit l'os approprié parmi plusieurs fragments.

« Amber ? » appelle-t-elle.

« Toujours prêt, ma belle », répond-il dans un ronronnement qui parvient à l'apaiser. Je fais signe à Logan de reprendre sa place.

« Y a-t-il d'autres blessés pour lesquels Collins menace d'intervenir inutilement ? » demandé-je.

« Le tien reste le plus grave, Alpha. Pour les autres, il s'occupe de plaies profondes en versant de l'alcool. »

Madison redresse la tête vers nous, visiblement outrée.

« Ce n'est pas le traitement approprié ? » demandé-je, intrigué. Mon instinct me pousse à accorder plus de foi à ses compétences qu'à celles de Collins.

« Pourquoi ne pas simplement les recoudre ? » dit-elle.

« Selon lui, trop long, trop de blessés », explique Logan.

Je sens la jalousie me picoter en le voyant trop attentif à elle, mais Madison ne semble s'intéresser qu'à moi.

« Tu n'as pas d'omégas qui cousent tes vêtements ? » me demande-t-elle.

« Si », dis-je, perplexe.

« Alors c'est pareil. La peau est un peu plus résistante que du tissu, mais c'est faisable. Et ça évite la douleur de l'alcool. »

Je fixe Logan. « Amène les omégas. Dis à Collins qu'il peut s'en aller. »

« Mais qui examinera les guerriers ? »

« Les infirmières feront le tri, poseront un diagnostic, et rapporteront leurs recommandations ici. Le docteur Madison validera. »

« Moi ? » fait-elle, déconcertée.

« Oui, Madison. Vous. Je commence à penser que vous êtes la véritable remplaçante de Collins. »