Chapitre 4 Chapitre 4

Je ne peux pas dire avec certitude si Alpha Brandon m'a conduite ici parce qu'il m'a reconnue comme sa compagne et qu'il n'avait pas l'énergie de me repousser, ou bien parce qu'il sait que le médecin de sa meute n'est plus en âge de pratiquer correctement la médecine. Quoi qu'il en soit, je me trouve à présent dans cette pièce, face à lui, et puisque le destin m'y a placée, je n'ai pas l'intention de reculer. Il n'a aucune raison de perdre sa jambe.

Cela exigera beaucoup de patience et de travail, mais n'est-ce pas là précisément ce pourquoi j'ai choisi d'étudier la médecine ? En vérité, j'attendais ce moment depuis longtemps : soigner enfin un loup-garou, et pas n'importe lequel, un Alpha.

- Souhaites-tu que nous commencions immédiatement, Alpha ? demandai-je.

- Oui. Le plus vite sera le mieux.

- Très bien.

Je dresse la liste du matériel indispensable pour remettre en place ses os de façon correcte. Avant de m'éloigner, je précise :

- Il faudra vous endormir pour l'intervention.

Mes yeux parcourent rapidement la pièce, détaillant l'organisation de cet hôpital de meute.

- Ce sera ici...

- Non, coupe-t-il net.

Je me tourne brusquement vers lui.

- Non ?

- Pas de sédation.

- Dans ce cas, il faudra un blocage nerveux, juste le temps que je...

- Non plus.

J'en reste un instant bouche bée.

- Alpha, je vous en supplie, je vais nettoyer la zone, inciser la peau, écarter les muscles pour atteindre les os et les repositionner un à un. La souffrance sera insupportable. Vous devez accepter une anesthésie, au moins locale.

Il soutient mon regard, inflexible.

- Non.

Je finis par détourner les yeux, irritée, marmonnant quelques mots peu flatteurs sur les Alphas têtus et bornés. Quand je me retourne, il me fixe avec un sourcil levé, comme s'il avait parfaitement perçu mon murmure. Impossible. J'étais bien trop basse. Comment peut-il entendre ça ? J'ai décidément passé trop de temps auprès des humains, sourds aux pensées qui échappent malgré soi.

Le Dr Collins entre alors, furieux, et dépose brutalement sur la table le matériel que j'ai demandé. Un grondement sourd emplit la pièce. Relevant la tête, je découvre Alpha Brandon, son regard brûlant posé sur le médecin.

- Avez-vous besoin d'autre chose ? demande Collins, sa voix dégoulinant de mépris. Il appuie volontairement sur le mot « docteur », comme s'il m'était interdit.

- Non, merci, docteur. Je m'en occupe, rétorqué-je.

Je gagne le lavabo et commence à me frotter les mains longuement. La nervosité m'envahit. Je me trouve dans une meute inconnue, auprès d'un Alpha qui se révèle être mon compagnon, et je vais devoir l'opérer alors qu'il exige de rester éveillé. Quelle folie !

- Tes pensées font tant de bruit qu'on dirait qu'elles sortent en fumée, Madison. Qu'est-ce qui t'inquiète autant ?

Je me fige, le cœur battant. Comment peut-il lire ainsi en moi ? Son attention constante me déstabilise. Est-ce le lien de l'âme sœur qui agit ? Je repense aux seuls Alphas que j'ai croisés dans ma vie : Michael, respectueux mais distant, et Daniel... une ombre de dégoût traverse ma mémoire. Cet homme était attentif, certes, mais pour des raisons abominables.

Je termine de me laver les mains et reviens vers Brandon. Son regard m'attend, exigeant une réponse.

- L'opération sera terriblement douloureuse. Je vous en prie, acceptez au moins une anesthésie locale.

- Non. Je dois rester en alerte pour protéger ma meute.

- Tu ne protégeras personne avec une seule jambe, Alpha ! m'écrié-je, la peur me rendant téméraire.

- Brandon, corrige-t-il d'un ton calme. Appelle-moi Brandon. Et tu as dit que tu pouvais sauver ma jambe.

- Oui, SI tu me laisses t'endormir suffisamment pour que je n'aie pas à craindre que tu bouges au mauvais moment !

- J'ai une tolérance à la douleur bien plus grande que tu ne l'imagines.

Je le crois sans peine. Pas un cri lorsqu'on l'a trouvé, malgré l'état catastrophique de sa jambe. Et son corps est marqué de cicatrices anciennes, traces muettes de combats innombrables. Cet homme a survécu à bien des guerres, soutenu par un loup capable de régénérer encore et encore.

- Quelle est la force de ton loup, en ce moment ? demandai-je, commençant à préparer la zone blessée.

Une voix grave résonne, venant de lui mais différente.

- Je suis très fort, petite.

Je sursaute, et Olivia, ma propre louve, frémit dans mon esprit, laissant échapper un ronronnement troublant. Brandon sourit, parfaitement conscient de l'effet produit. L'entend-il aussi ?

Je secoue la tête, tâchant de me recentrer. Je dois ignorer son parfum de teck, enivrant, qui menace de brouiller mon esprit.

- Si je maintiens chaque os à sa place, combien de temps te faudra-t-il pour les ressouder ?

- Plus pour longtemps, murmure-t-il, sa voix rauque glissant sur ma peau comme une caresse. Je suis un Alpha puissant.

Son assurance n'est pas vantarde ; elle sonne comme une séduction. L'image me traverse d'un paon déployant ses plumes pour séduire sa compagne.

- Très bien, dis-je d'une voix mal assurée.

Je relève les yeux vers son regard vert jade, si intense qu'il me trouble.

- Es-tu prêt, Alpha ?

- Brandon, répète-t-il.

- Es-tu prêt, Brandon ?

- Oui, Madison.

Je retiens un soupir, consciente que je vais lui infliger une douleur atroce. Mais il refuse obstinément tout anesthésique. Alors je me concentre. J'humidifie un linge, nettoie le sang coagulé qui macule sa jambe. Les chairs sont meurtries, les os mis à nu. Il sent la guerre, la mort, et pourtant, sous cette odeur crue, le parfum boisé de son essence me trouble encore.

- Parle-moi, dit-il en serrant les mâchoires.

- De quoi voudrais-tu parler ?

- Tu sais ce que tu es pour moi ? demande-t-il, plus une affirmation qu'une interrogation.

Je détourne le regard, un nœud dans le ventre.

- Oui. Après ta guérison, tu pourras me rejeter. Si tu le fais avant, cela pourrait compromettre ton rétablissement.

Pourquoi ces mots me brûlent-ils la gorge ? Je ne veux pas de ce lien. Je ne veux pas redevenir captive d'une meute, encore moins si proche de Daniel.

- Qui t'a dit que je te rejetterais ? s'offusque-t-il.

Je relève enfin les yeux.

- Je suis une louve solitaire.

- Tu es surtout ma future Luna.

- Tu ne me connais pas, rétorqué-je en reprenant ma tâche.

- Je sais que tu es brillante, compatissante, courageuse... et terriblement seule.

Je serre les instruments. Intelligence, compassion... oui, évidents. Mais le courage ? Quant à la solitude, comment peut-il la deviner si facilement ?

- Pourquoi dis-tu cela ?

Je prends un scalpel, le montre pour avertir que je vais commencer. Il acquiesce.

- La faculté de médecine la plus proche est à une heure d'ici. Entre ces lieux, mille cachettes existent pour une solitaire. Mais au lieu de fuir, tu as choisi de venir au cœur d'un territoire de loups.

Je incise délicatement, et il grogne. Sa respiration devient plus lourde, maîtrisée.

- Comment supportes-tu ça ?

- La douleur n'est qu'un jeu de l'esprit. Si tu la laisses, elle te brise. Mais si ton esprit domine, ton corps suivra.

Je remarque encore ses cicatrices, preuves d'une vie entière de batailles.

- Depuis quand combats-tu ?

- Depuis que j'ai repris la meute, il y a douze ans.

Je me fige, étonnée.

- Douze ans ?

Il arque un sourcil, presque amusé.

- Dix-huit ans quand je suis devenu Alpha. J'en ai trente aujourd'hui.

Je reprends, concentrée, et extirpe avec précaution un fragment d'os. Je le replace contre son jumeau brisé.

- Voyons ça, Amber, murmuré-je, confiant au loup de Brandon la guérison. Sous mes yeux, les os se ressoudent.

- Incroyable ! soufflé-je, oubliant tout le reste.

- À ce point excitant ? ironise-t-il.

- Pour moi, oui.

Il esquisse un sourire.

- Alors c'est mon jour de chance.

À cet instant, des coups résonnent contre la porte. Je relève brusquement la tête.

- Je t'avais promis protection, souffle Brandon, son sourire irradiant.

- Entre, Logan, dit-il sans détourner les yeux de moi.

Logan surgit, s'immobilise, stupéfait de voir la jambe ouverte sur la table.

- Alpha... mais qu'est-ce que vous faites ?! s'écrie-t-il, furieux, se précipitant vers nous.