« Je savais qu'il y avait quelque chose qui clochait, » a-t-il dit doucement. « Ils riaient fort, ils se moquaient de tout. Pas le genre de personnes qui respectent le travail des autres. »
Sa simple compassion était un baume sur une plaie béante. Je suis resté là un long moment, à fixer le mur, à essayer de rassembler les morceaux de ma réalité qui venait de voler en éclats. Chaque détail des dernières semaines me revenait en mémoire, chaque "voyage d'affaires", chaque "dîner entre copines", chaque dépense inexpliquée sur notre compte commun. J'avais été aveugle. Complètement aveugle.
Finalement, je suis rentré à la maison. L'appartement était silencieux, mais je sentais sa présence. Je l'ai trouvée dans notre chambre, elle était au téléphone, le dos tourné vers la porte. Elle riait, d'un rire léger et complice, le même rire que j'entendais quand elle parlait à ses amies.
« Non, ne t'inquiète pas, mon amour. C'est juste un idiot. Un plouc qui ne comprend rien. Oui, bien sûr. Je vais m'en débarrasser, et tout sera à nous. »
Elle n'avait même pas pris la peine de baisser la voix. Elle parlait à l'autre, à Marc. Elle l'appelait "mon amour" dans notre chambre, dans notre lit.
J'ai poussé la porte violemment. Elle a sursauté et s'est retournée, son téléphone toujours collé à l'oreille. La peur a de nouveau traversé son visage quand elle m'a vu.
« Je dois te laisser, » a-t-elle murmuré dans le téléphone avant de raccrocher.
Elle a tenté de composer un masque de fausse assurance.
« Qu'est-ce que tu veux encore ? Tu ne vois pas que je suis occupée ? »
« On doit parler, Sophie. »
« Parler de quoi ? De la scène pathétique que tu as faite au parc ? Tu m'as humiliée devant Marc ! »
L'audace de sa réponse m'a coupé le souffle. C'était moi, l'humilié. C'était moi, le trahi. Et elle osait m'accuser.
« C'est toi qui m'as humilié ! Tu m'as menti, tu me trompes, et tu as le culot de me reprocher quelque chose ? »
Ma voix a monté d'un cran, la colère froide laissait place à une rage brûlante.
« Oh, arrête ton cinéma ! » a-t-elle craché avec mépris. « Tu es tellement prévisible, Jean. Tellement ennuyeux. Tu crois que j'allais passer ma vie à te regarder planter tes fichues fleurs ? J'ai besoin de vivre, moi ! J'ai besoin de passion, de luxe ! Des choses que tu ne pourras jamais m'offrir. »
Chaque mot était choisi pour blesser, pour me rabaisser. Et ça marchait. Je sentais la douleur physique de ses insultes. J'avais travaillé comme un forcené toutes ces années, acceptant des chantiers supplémentaires, renonçant à mes week-ends, tout ça pour qu'elle puisse avoir la vie qu'elle voulait, ses sacs de luxe, ses vacances hors de prix. Et pour elle, ce n'était rien. J'étais rien.
« Alors c'est ça, » ai-je dit, ma voix soudainement vide de toute émotion. « C'est une question d'argent. »
« C'est une question de tout ! » a-t-elle hurlé. « Marc, lui, il sait comment traiter une femme. Il est excitant, il est vivant ! Toi, tu sens la terre mouillée et le compost. »
C'en était trop. J'ai regardé cette femme que j'avais aimée plus que tout, et je ne voyais plus qu'une étrangère, une créature égoïste et cruelle. Le voile de l'illusion s'est déchiré, et j'ai vu la vérité, crue et laide.
« Je veux divorcer. »
La phrase est sortie toute seule, calmement. C'était une évidence.
Sophie a été surprise, elle ne s'attendait pas à ça. Elle pensait probablement que j'allais supplier, pleurer, lui demander de rester. Mais le ressort était cassé.
Son visage s'est durci. L'actrice a disparu, laissant place à la calculatrice.
« Très bien. Si c'est ce que tu veux. Mais je te préviens, ça va te coûter cher. »
« Qu'est-ce que tu veux dire ? »
« Je veux l'appartement. C'est moi qui l'ai décoré, il me revient de droit. Et je veux la moitié de ton entreprise. J'y ai droit, j'ai été ta femme, je t'ai "soutenu". Et bien sûr, une pension alimentaire conséquente. Je ne peux pas maintenir mon niveau de vie sans ton aide. »
J'ai éclaté d'un rire sans joie. C'était surréaliste. Elle me trompait, m'insultait, et maintenant elle voulait me dépouiller.
« Tu rêves. Tu n'auras rien de tout ça. Tu n'auras rien de moi. »
« C'est ce qu'on verra devant un juge, » a-t-elle menacé, un sourire mauvais aux lèvres. « On verra qui il croira. La pauvre femme abandonnée ou le mari violent et colérique qui fait des scènes en public. »
Elle se croyait si intelligente, si maligne. J'étais épuisé, vidé. Je n'avais plus la force de me battre.
« Fais ce que tu veux. Je m'en vais. »
J'ai pris un sac, j'y ai jeté quelques affaires au hasard, sans même regarder. Je devais partir, fuir cet endroit devenu toxique.
Alors que je quittais l'appartement, j'ai commis l'erreur de jeter un dernier regard à travers la porte entrouverte. Sophie n'avait pas perdu une seconde, elle était déjà en appel vidéo avec Marc. Elle lui faisait un grand sourire, lui montrant la pièce.
« Tu vois, chéri ? Bientôt, tout ça sera à nous. Il est parti comme un chien battu. C'était plus facile que prévu. »
Elle riait, et son rire a été le dernier son que j'ai entendu de notre vie commune. Un son qui allait me hanter pendant longtemps.