Mon cœur s'est serré, cette fleur n'était pas juste une plante, c'était mon chef-d'œuvre, une variété rare que j'avais mis des années à acclimater. J'ai sauté dans ma camionnette et j'ai foncé, imaginant une maladie, un parasite, n'importe quoi, mais pas ça.
En arrivant, j'ai vu la tige brisée, nette, comme si on l'avait arrachée sans le moindre soin, le vide à la place de la fleur était comme un trou dans ma poitrine. Le gardien m'a montré deux personnes assises dans son bureau, l'air penaud. Un homme et une femme.
« Ce sont eux, je les ai attrapés juste à la sortie. »
Je suis entré dans le bureau, la colère montait en moi, prête à exploser. J'allais leur dire ce que je pensais de leur vandalisme, de leur manque de respect.
Puis mes yeux se sont posés sur la femme.
Le monde s'est arrêté de tourner.
C'était Sophie. Ma femme.
Elle était censée être à Lyon pour un voyage d'affaires, elle m'avait envoyé un texto le matin même pour me dire que sa réunion s'était bien passée. Et là, elle était assise à moins de dix kilomètres de notre maison, tenant mon orchidée volée dans sa main, à côté d'un homme que je n'avais jamais vu.
Le choc était si violent que j'ai eu l'impression de recevoir un coup de poing dans le ventre. Elle m'a vu, et son visage a changé, la surprise a laissé place à une panique mal déguisée. L'homme à côté d'elle, un type à l'air suffisant avec des vêtements trop chers pour lui, n'a pas semblé comprendre.
« Jean ? Qu'est-ce que tu fais là ? » a-t-elle balbutié, comme si c'était moi qui n'avais rien à faire ici.
Le gardien, sentant la tension, a pris la parole.
« Monsieur Dubois, c'est votre épouse ? Elle et son... ami ont cueilli la fleur. Il y a une amende de 500 euros pour la dégradation. »
Sophie a eu un petit rire nerveux, un son qui m'a glacé le sang.
« Oh, chéri, ne t'inquiète pas. C'est juste un malentendu. Je voulais juste... offrir cette fleur à mon petit ami pour la Saint-Valentin. »
Elle a fait un clin d'œil à l'autre homme.
« Elle symbolise l'amour éternel, tu sais. C'est romantique, non ? »
Le mot "petit ami" a résonné dans le silence du bureau. Elle l'avait dit devant moi, sans même ciller, comme si c'était la chose la plus normale du monde. La colère qui bouillonnait en moi a gelé, remplacée par une douleur froide et tranchante. J'ai regardé l'homme, puis Sophie, puis la fleur abîmée dans sa main. Mon amour éternel, elle venait de le piétiner.
« Paye l'amende, Jean. On n'a pas que ça à faire, » a-t-elle ajouté d'un ton impatient, comme si je la dérangeais.
J'ai secoué la tête, lentement.
« Non. »
Son sourire s'est effacé.
« Comment ça, non ? Ne fais pas de scène, c'est ridicule. Paye. »
« Je ne paierai pas pour ça. Ce n'est pas mon problème. C'est le tien. Et celui de ton... petit ami. »
J'ai craché les mots, et j'ai vu la peur dans ses yeux. Elle a compris que je ne jouais plus. D'un seul coup, son attitude a changé, la panique a pris le dessus. Elle s'est levée et s'est approchée de moi, me saisissant le bras.
« Jean, s'il te plaît, écoute-moi. J'ai eu un accident de voiture en rentrant de Lyon, j'étais secouée. C'est pour ça que je suis là. J'avais besoin de réconfort. J'ai besoin d'argent pour les réparations. »
Son mensonge était si énorme, si pathétique, que j'ai failli en rire. Elle passait de l'amante désinvolte à la victime éplorée en quelques secondes.
« Un accident ? Vraiment ? »
« Oui ! S'il te plaît, papa, donne-moi juste un peu d'argent, je te promets que je te rembourserai, » a-t-elle pleurniché, en utilisant ce stupide surnom qu'elle sortait quand elle voulait m'amadouer.
Mais cette fois, c'était différent. Elle l'avait dit devant tout le monde. Devant son amant. Se faire passer pour mon père. L'humiliation était totale.
J'ai retiré mon bras, mon visage était une pierre.
« "Papa" ? Sophie, je ne suis pas ton père. Je suis ton mari. Ton mari qui pensait que tu étais à Lyon pour le travail. Ton mari qui pensait que tu l'aimais. »
Chaque mot était une sentence. Son visage est devenu blanc. L'amant, qui jusqu'ici observait la scène avec un air détaché, a commencé à comprendre l'ampleur du désastre. Il s'est agité sur sa chaise, mal à l'aise.
« Je... je ne comprends pas, » a-t-il bégayé en regardant Sophie.
Sophie m'a lancé un regard furieux, plein de haine.
« Tu vas le regretter, Jean. Tu me le paieras. »
Elle a essayé de me faire peur, de me manipuler une dernière fois. Mais quelque chose s'était brisé en moi. La naïveté, la confiance, l'amour que j'avais pour elle. Tout s'était évaporé dans ce bureau sordide.
Le gardien, voyant que la situation était sur le point de dégénérer complètement, s'est interposé.
« Monsieur Dubois, venez avec moi. On va prendre l'air. Laissez-les régler ça. »
Il m'a gentiment poussé vers la porte. Avant de sortir, j'ai jeté un dernier regard à Sophie. Elle ne me regardait plus, elle était en train de chuchoter furieusement à son amant, probablement en train d'inventer une nouvelle histoire, un nouveau mensonge.
Dehors, l'air frais m'a frappé le visage, mais il n'a pas réussi à calmer le chaos qui régnait dans ma tête. L'orchidée était morte, et mon mariage aussi.