« Bonjour Amélie, je suis le Lieutenant Sophie Martin. Nous avons été informés d'un cas de violence domestique. Pouvez-vous nous dire ce qui s'est passé ? »
Elle avait des yeux vifs et un air déterminé mais doux. Pour la première fois depuis des années, j'ai eu l'impression que quelqu'un pourrait m'écouter. Les larmes ont commencé à couler silencieusement sur mes joues. J'ai tout raconté. Les résultats du bac, les rêves d'université, les portes verrouillées, la cave, les menaces, les coups. J'ai parlé pendant près d'une heure, ma voix se brisant souvent.
Le Lieutenant Martin a tout noté, son expression devenant de plus en plus grave.
« Les blessures sur votre corps correspondent à votre récit, » a-t-elle dit calmement. « Nous allons interroger vos parents et votre tante. »
Plus tard, je les ai entendus dans le couloir. La voix de ma mère, pleine de larmes feintes.
« C'est terrible, Lieutenant. Elle est si instable. Elle s'est fait ça toute seule. Elle est tombée, elle s'est cognée partout. Elle invente des histoires pour attirer l'attention. On est désespérés, on ne sait plus quoi faire. »
Ma tante Hélène a renchéri, sa voix froide et convaincante.
« Je suis arrivée en plein milieu de sa crise. Elle se jetait contre les murs. C'était effrayant. Sa famille essaie de la protéger, mais elle est hors de contrôle. »
Sophie Martin est revenue dans ma chambre, l'air perplexe.
« Ils nient tout en bloc. Ils disent que vous vous automutilez et que vous avez des problèmes psychologiques. »
« C'est faux ! » ai-je crié, essayant de me redresser. La douleur m'a transpercée. « Ils mentent ! Tout le monde ment ! »
L'enquête a suivi son cours. Sophie a convoqué Madame Fournier, la voisine. Monsieur Bertrand, le proviseur. Madame Leroy, ma professeure. Un par un, ils ont défilé à l'hôpital ou au poste de police. Et un par un, ils ont raconté la même histoire. "Amélie est une jeune fille à problèmes." "Ses parents sont des saints de la supporter." "Elle a un dossier scolaire désastreux, elle ne pourrait jamais aller à l'université."
Chaque témoignage était un clou de plus dans mon cercueil. J'étais seule contre tous.
« J'ai des preuves ! » ai-je dit à Sophie Martin, ma voix pleine de désespoir. « Mes vrais relevés de notes, mes lettres d'admission ! Ils sont dans ma chambre, cachés sous une lame de parquet ! »
Sophie a semblé intriguée. Elle a obtenu un mandat de perquisition. J'ai attendu, le cœur battant d'espoir. C'était ma dernière chance.
Quand elle est revenue, son visage était sombre.
« Nous avons trouvé la boîte, Amélie. Mais vos parents avaient autre chose à nous montrer. »
Elle a sorti un document de sa mallette. L'enveloppe en papier kraft. Mon estomac s'est noué.
« Ils disent que c'est ça, la vérité, » a dit Sophie, me tendant la feuille. « Ils disent que c'est la raison pour laquelle vous inventez toutes ces histoires. »
Mon père, ma mère et ma tante étaient entrés dans la chambre derrière elle, leurs visages un masque de fausse sollicitude. Ils voulaient assister à ma défaite finale.
Je tremblais, mais une nouvelle force, celle de la rage pure, m'a envahie. Je ne pouvais plus laisser ce papier me détruire en silence.
D'un geste brusque, j'ai bondi. J'ai ignoré la douleur fulgurante de mes côtes. Mes doigts se sont refermés sur la feuille de papier que tenait Sophie. Je l'ai arrachée de ses mains avant que quiconque puisse réagir.
Mes yeux se sont posés sur les mots imprimés.
Enfin. J'allais voir le visage de mon ennemi.
---