Chapitre 4 Chapitre 4

La laque blanche dégouline sous la lumière vive des néons. Elle m'éblouit, j'ai traversé le hall d'un pas pressé.

A peine si j'ai répondu à l'exclamation interrogative de Cheftaine.

-Je vous croyait en congé Clarisse!

Je le suis et je ne devrais pas être là. Je m'adosse au mur et fixe la porte de la chambre, la sienne. Je cherche l'air dans ma gorge et quelques forces.

Ma main n'hésite pas sur la poignée et la porte s'ouvre.

A côté de lui, il y a un trépieds maintenant, tête en bas, des bouteilles de perfusion et, à son bras, un cathéter qui relie la veine aux bocaux. Ses yeux sont clos, sa respiration saccadée, il peine à respirer. Sur un écran s'affichent les battements de son cœur.

Une de ses mains repose sur le draps, il ne porte pas d'alliance, les doigts sont un peu recroquevillés, comme s'ils se cramponnaient à la vie. Les effleurer ne m'engage à rien.

Ne fait pas ça, je t'interdit de l'approcher!

La peau est tiède et douce. il ne réagit pas, il ignore ma présence. De toute façon il m'a certainement oubliée le jour même de son départ.

Je touche son poignet, j'aimais ses bras; ils m'enlaçaient tendrement. Un commencement de barbe bleuit ses joues. La bouche est contractée, le nez pincé, il a mal, ils doivent le soulager, augmenter ls doses de morphine.

- Que faites vous là? s'écrie quelqu'un dans mon dos.

Je me retourne, l'interne s'excuse:

-Pardon, je ne vous avait pas reconnue.

Il s'avance, vérifie le goutte-à-goutte.

-Comment va-t-il?

Ma voix est un murmure, j'ai retenu autant que je le pouvais cette question au fond de ma gorge. Je ne dois pas me préoccuper de son sort.

-Mieux au vu de la gravité de ont état, sont œdème crânien est encore important, mais nous avons bon espoir. Delgrade envisage une nouvelle intervention.

Il me jette un coup d'œil en biais.

-Vous vous intéressez toujours au suivi des blessés réceptionnés aux urgences ou celui-là est différent des autres?

Je rougis, il n'insiste pas, je dois partir et ne pas revenir. je couru vers la porte.

-Clarisse....

Je m'immobilise, l'interne sourit.

-Ne vous inquiétez pas, il s'en sortira.

Je ne m'inquiète pas, j'ai juste envie de pleurer, je fuis le long du corridor immaculé.

Sauve toi, sauve toi, me répète une petite voix aigre dans ma tête.

Marie-Paule interrompt ma course, elle se débat avec un chariot de dialyse.

-Le nouveau stagiaire s'est encore tromper d'étage!

Elle s'est arrêtée et me dévisage:

-Mais, toi, qu'est ce que tu fiche ici Clarisse?

Rien, mais elle n'est pas dupe.

- Tu as Quelqu'un à voir?

Vite, trouver un mensonge, n'importe quoi, mais éviter de citer le prénom maudit.

-La blessée de l'autoroute, celle qui a perdu son mari dans l'accident, tu as des nouvelles, comment va-t-elle?

-Elle retourne au bloc dans l'après midi. Cette fois, c'est la rate, mais elle est au troisième, en trauma.

Evidemment, ici, nous sommes à l'étage du silence à peine troublé par le ronron des machines qui assistent les patients. La vie est suspendue à une sonde gastrique et à un respirateur artificiel.

Les portes de l'ascenseur coulissent, Marie-Paule s'y engouffre et je la suis.

-Tu est certaine que tout va bien? insiste-t-elle visiblement inquiète.

J'acquisse d'un signe de tête. Elle sourit, une vieille dame dans un fauteuil roulant nous attend dans le hall. Nous la connaissons tous, Andréa est une habituée, elle souffre d'insuffisance rénale. La dialyse assure sa survie, pour elle, aucune greffe n'est prévue pour elle.

-A mon âge; ce serait indécent, aime-t-elle à répéter chaque fois que ses reins manifestent des signes de faiblesse et l'obligent à venir nous voir pour une dyalise.

Elle a fêté ses quatre-vingts ans le mois dernier, ses enfants ont oublié son anniversaire, elle est seule.

-Ma fille vit en Italie et mon garçon en Belgique.

Ils ne savent même pas qu'elle est malade.

-Je ne veux pas les inquiéter.

Elle mourra toute seule sans que personne soit près d'elle...

-Bonjour Clarisse, c'est étrange de vous voir sans votre blouse blanche.

-Etes-vous prête pour le grand nettoyage? lance Marie-Paule avec humour.

-Prête!

La vieille dame rit.

Elle sort de son sac un roman, durant quatre heures, les tubulures d'une machine complexe transporterons le sang d'Andréa vers un filtre qui fera office de rein et le purifiera.

Je m'éloigne, le parking est désert, je m'écroule dans la voiture en sanglot, le nez contre le volant. Je pleure comme une idiote en me disant que des centaines de personnes, avant moi, dans ce sous-sol lugubre, ont déjà dû s'abandonner à une crise de nerfs.

Je boude les nems et les câlins de mon amant Renaud. Je provoque la dispute, histoire de pouvoir me défiler avant qu'il m'entraîne dans sa chambre.

-Je suis ainsi, on ne me changera pas.

Je commence par rire, ma réplique est inappropriée, il m'a demandé simplement si je préférais du thé ou du vin pour accompagner le repas et je me suis emballée.

-Un verre de vin rouge avec des rouleaux de printemps, c'est un sacrilège!

-Donc tu choisis le Yunnan!

Je m'en moque! Je suis une boule de nerfs, sa main part à la rencontre de la mienne , j'évite la caresse.

-Mauvaise journée? Demande-t-il.

-Comme toutes les autres!

-Situ n'a pas envie d'évoquer tes problèmes, inutile de te montrer agressive.

-Tu vois, ça t'amuse de ne pas comprendre.

Finalement, il me sert du thé, trop noir et amer, je continue:

-Avec toi, j'ai l'impression d'être toujours la méchante, c'est agaçant!

Il ne rit plus.

-Pourquoi es-tu venue?

Je l'ignore, je me déteste, je pense à Edouard. Lui en parler serait déplacé, je ramasse mon sac.

-Pour une fois, tu as raison, il aurait été préférable que je m'abstienne.

Il n'n'insiste pas, à sa manière il respecte ma liberté, mes sautes d'humeur et mes caprices ridicules. Il est parfait, pas moi, ni Edouard. Pourtant, c'est lui, ce soir, dans ce salon douillet, qui occupe toutes mes pensées. Je suis pleine de souvenirs, j'en ai la nausée. Je me tais et m'éclipse.

            
            

COPYRIGHT(©) 2022