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Pas le temps de mollir! C'est reparti, le long du couloir est de plus en plus encombré. A Croire que la nuit favorise les situations désespérées et que ma garde ne s'achèvera jamais.
- Normalement, je termine dans cinq minutes!
L'interne s'en moque, il est débordé. Toutes les infirmières sont occupées par les blessés de l'autoroute. Il ne reste plus que moi. Dépitée, lessivée, je contemple mes pieds gonflés et douloureux.
-Fracture et traumatismes crânien. Delgrade à besoin de toi.
Et moi, j'ai besoin d'un bain, de mon lit, de vingt-quatre heures de sommeil!
Le hall grouille de pompiers, le chauffeur du camion arrive à son tour, entouré par deux gendarmes. Son front saigne, il ne parle pas français et s'agite. Une aide-soignante accourt.
-Donde te duele? ( Où as-tu mal?)
Il montre sa nuque et son dos. Il avoue s'être endormi au volant.
A cause de lui, un homme et deux femmes sont morts.
Un individu agite sa main ensanglantée. Ce n'est pas une urgence.
-Plus tard, Monsieur, un peu de patience.
Il s'énerve et visiblement il à bu. Il finira la nuit en chambre de dégrisement, accaparant un infirmier qui aurait été plus utile ailleurs, mais qui doit veiller sur le sommeil de l'ivrogne qui s'est blessé en voulant sabrer une bouteille de champagne.
Je court, je vole sur la vingtaine de mètres à parcourir. Salle 2....
-La Trentaine, aucun papier d'identité. Il a perdu conscience dans l'ambulance.
J'avance, je me fige. Impossible, je doit rêver. Je recule. Le médecin s'étonne.
-Que se passe-t-il?
Des ciseaux découpent le pull du blessé, des électrodes sont placés sur sa poitrine. Sa jambe gauche est dans un sale état, fracture ouverte. Ma respiration s'accélère, mon cœur va exploser et pendant ce temps c'est le sien qu'ils essayait de réanimer.
Je n'approcherais pas de cet homme, de ce visage qui a à peine changer malgré les dix années passées.
-Veuillez m'excuser, mais je ne me sent pas bien...
La porte claque. Je m'adosse au mur, mes jambes tremblent. Je doit lutter contre un haut-le-cœur. Je ferme les yeux, pas question de pleurer.
-Clarisse...
Quelqu'un me soutient, me guide vers la salle d'attente. Un homme se lève pour me céder sa place. Suis-je donc si pitoyable à regarder? Je m'écrase sur la chaise. Marie-Paule me tends un verre d'eau. Je l'avale avec difficulté. Elle à un gout infect, celui du chagrin vieux d'une centaine d'années? Je me sent tellement stupide.
- Je me sens mieux merci.
Je suis en train de mentir, rien ne va! Il est ici, au premier étage, inconscient sur un lit, le crâne abîmé, percuté de plein fouet par une voiture. Je ne veux pas le voir, c'est au dessus de mes forces. Il n'existe plus, je l'ai rayé de ma vie.
- Je vais rentrer.
Ma voix resonné faible et meurtrie, ma collègue m'oblige à me rassoir.
-Tu n'est pas en état de conduire attends-moi, je termine dans cinq minutes.
D'un œil vide, je fixe la pendule accrochée au-dessus de la porte. Minuit trente, une vieille traîne sa chaise près de la mienne.
-Vous êtes infirmière?
Son regard est doux, elle me montre sa main: une vilaine cloque la recouvre presque entièrement.
- Je me suis brûlée en réchauffant ma soupe. Cela fait des heures que je patiente. Vous êtes malade?
Non, juste choquée parce que le blessé de la salle 2n'avait pas le droit de revenir dans ma vie, surtout pas en ce moment. Pas de cette manière, avec des fractures et son traumatisme crânien. Il n'existe plus pour moi, je l'avais effacé de ma vie et j'était heureuse maintenant.
Malgré moi, je sens mon visage qui se décompose et je fond en larmes, j'ai honte de pleurer devant cette femme, mais je suis incapable de me retenir.
-Vous avez perdu un proche? chuchote-t-elle.
Non , je l'ai retrouvé et c'est bien ça le drame!
-Tout ira bien. Ne vous tracassez pas, insiste-t-elle en me tapotant le bras.
L'homme qui m'a cédé son siège s'approche à son tour. Il a une bonne tête de père de famille, son fils est diabétique, je me suis déjà occuper de son enfant. Il me tend un paquet de mouchoirs. Je n'ai pas le temps de le remercier Marie-Paule me récupère, elle me prends fermement le bras.
-Tu te sens mieux?
Je confirme d'un hochement de tête. L'ascenseur nous dépose au parking, j'aperçoit ma voiture.
-Je peut conduire, je t'assure.
Elle refuse
-Tu as eu un malaise!
Non, juste un étourdissement dû au choc, rien de dramatique. Je sais de quoi je parle, je suis infirmière.
Elle s'obstine et me pousse vers le siège passager.
-Je suis sûre que ce soir, tu as oublier de manger.
Faux! J'ai avaler mon potage et mon carré de gruyère.
L'averse nous surprend à la sortie du souterrain, les essuie-glaces s'emballent. Les rues sont vides et le ville dort.
-Renaud, je te réveille?
Question stupide! Evidement que je l'ai arraché au sommeil! On ne dérange pas les gens à une heures quarante-cinq du matin. J'ai une bonne excuse cependant:
-Je voulais juste te dire que je suis désolé et que je t'ai menti, j'adore la campagne. S'il te plaît, parle moi!
-C'est gentil de ta part, mais il serait préférable que nous en parlions plus tard, je doit me lever tôt.
C'est maintenant que je veut parler, c'est maintenant que j'ai besoin d'être rassurée... mais il raccroche.
J'ai dormis et rêvé du blessé. J'ai tenu jusqu'à quatorze heures avant d'appeler l'hôpital puisque aujourd'hui je ne travaille pas.
-Clarisse des urgences... Avez vous des nouvelle du patient de Delgrade?
Un silence, je peux encore raccrocher et me désintéresser de cet homme, j'attends:
- L'opération de sa jambe s'est bien dérouler, mais le professeur a préférer le plonger dans un coma artificiel pour réduire la tension de la boîte crânienne. C'est un ami a vous?
Il faut que je fasse attention a ce que je vais répondre, il ne faut pas que je m'implique pour lui, il ne le mérite pas.
-Oui, autrefois...
-Vous connaissez donc son nom?Il n'avait aucun papier sur lui, nous en avons besoin pour son dossier et avertir sa famille.