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J'aurais souhaité l'effacer de ma mémoire.
- Edouard Masid.
Et je l'aimais
J'avais seize ans quand nous nous somme rencontrés ou plus exactement quand nous nous somme percutés. Lui en scooter et moi en vélo, un télescopage providentiel et miraculeux.
Son regard turquoise était un cadeau du ciel. Je portas un appareil dentaire et avalais chaque matin une cuillère d'huile de foie de morue pour grandir et grossir. Tout le quartier me surnommait ''la crevette''. Je n'éveillais pas plus d'intérêt auprès des garçons qu'un devoir d'algèbre. Lui était différent, ses yeux me caressaient. je me sentait belle dans ses yeux. Il m'a demandé où j'habitait et il a ri en réalisant que nos étions voisins, mais que jamais nous ne nous étions croisés. Il m'a raccompagnée car je boitais. Son bras entourait ma taille, avant de me lâcher il a promis de revenir. Pas pour prendre des nouvelles de mon genou écorché, mais à cause de moi. J'était aux anges, un véritable coup de foudre aussi réciproque qu'inespéré.
Je l'ai revu le lendemain, puis tous les soirs de la semaine. Il a attendu un mois avant de m'embrasser. Un baiser parfumé à la reglisse. Pour lui, j'avais retiré mon hideux grillage qui, selon le dentiste, devait m'offrir un sourire de star de cinéma. Je n'en avait plus besoin, j'avais rencontré mon prince charmant.
J'écrivait des lettres d'amour sur du papier parfumé, j'assistait à tous les match de son équipe de hand-ball. D'ailleurs je n'ai jamais rien compris aux règles, je le regardais, j'en avais mal aux yeux à force de le fixer. Il était si beau, un teint hâlé, un grand corps harmonieux, des mains parfaites. Des tas de filles le contemplait, je n'était pas jalouse. J'adorais leur sursaut de surprise en voyant ma petite personne fluette s'accrocher au bras de l'athlète, il m'appartenait. Nous nous aimions et je croyait pour toujours. Il m'a offert une pierre de lune pour mes dix-sept ans, je n'avait plus besoin de mon appareil dentaire, nos baisés s'enflammaient; un prélude à des étreintes plus intimes. J'ai eu dix-huit ans et je rêvait de nos fiançailles, sa mère nous recevait chaque dimanche. Il n'avait pas connu son père et discutait volontiers avec le mien. L'armée était leur sujet préféré, le service militaire n'était plus obligatoire, ils le regrettaient. Je m'énervait, la simple idée d'être séparée de lui durant un an me scandalisait.
Je l'ai été pendant dix ans et je ne suis pas morte.
Nous buvions de la liqueur de mûre, papa s'endormais la tête inclinée sur l'épaule, maman le regardait avec tendresse. Elle ignorait qu'elle le perdrait deux ans plus tard à cause d'un cancer du pancréas. Je ne savais pas d'Edouard allait s'enfuir, je croyait notre amour indestructible.
Ces beaux dimanches, nous finissions toujours pas nous éclipser vers ma chambre, nous nous aimions ne silence, sa main sur mes lèvres pour étouffer mes gémissements. les ressort de mon lit nous trahissaient, une voix résonnait, souvent celle de ma mère:
- Cessez de vous agiter!
Je buvais son rire sur sa bouche grande ouverte, nos dents se cognaient et j'était nue contre lui.
Je venais d'attaquer mes études d'infirmière, il fréquentait plus ou moins assidûment les cours de sciences et techniques des activités physiques et sportives. Je l'imaginais déjà prof de gym. Je souriais devant la vitrine des magasins de vêtements pour bébé, le notre serait magnifique, il aurait les yeux bleus, je me leurrais!
Il ne m'a pas trahie, ni même trompée. J'aurais préféré affronter une rivale plutôt que le vide et son absence. Il s'est juste volatilisé sans que rien ne laisse présager ce départ précipité. Notre bonheur était sans aspérité, trop lisse sans doute. La veille, il m'étreignait, il m'embrassait et prétendait que mes lèvres sentaient le bonbon à la fraise. Le lendemain il avait disparu, vidé sa chambre et pris un train pour Toulon. Ce détail, je ne l'ai appris que plus tard, même sa mère ignorait les raisons de son départ, elle répétait d'un air éploré: '' il est comme son père!'' Un homme qui l'avait abandonnée pendant sa grossesse, je détestait la résignation de cette femme. Si encore, il nous avait laissé une lettre, mais non, juste cette fuite, j'étouffais, je me débattais. J'ai hurlé de rage et de douleur...
J'ai culpabilisé, comment avait-je fait pour l'avoir? J'était si quelconque, presque invisible. Normal qu'un jour, il finisse par réaliser son erreur et préfère me larguer, je ne le méritait pas, je n'était rien, surtout sans lui, amputée de notre histoire et de cet amour. Je me suis tapé la tête contre les murs, j'aurais voulu effacer la moindre trace de lui, j'était écorchée vive.
Je n'ai pas surmonter la douleur, j'ai appris à vivre avec cette compagne tenace. Elle a fini par s'assagir, s'assoupir. Depuis, je suis méfiance et soupçonneuse, je ne me livre plus, je me donne à une dose homéopathique. Les hommes qui ont jalonné ma vie en ont fait les frais; ils payent pour Edouard. Renaud également, justement si je le rappelais au lieu de ressasser?
-C'est moi, navrée pour cette nuit.
-Je te manque?
Pas lui,.... Ses bras, son ventre, son cors contre le mien, l'amour à l'état brut! Je suis un monstre.
-Oui, on dîne ensemble?
-Si tu veux, chez toi ou chez moi?
Chez lui.
Edouard n'est qu'un misérable souvenir, un fantôme dérangeant surgi du passé. Renaud est ma bouée de sauvetage, mon ancrage dans la vie. Il répand autour de lui une rassurante odeur d'after-shave. Il se partage de manière équitable entre son métier, lieutenant de police, la fille qu'il a eu d'une union précédente et moi. Il me rassasie de prémices qui ne durent jamais moins d'une demi-heure et me demande toujours d'un petit air embarrassé "Tu as aimé?" J'évite de répondre, je me cale contre son grand corps un peu maigre et je mime le sommeil. J'attends le sien pour rentrer chez moi. Je ne sais pas dormir toute une nuit avec un homme, j'aurais voulu le faire avec Edouard.
Avant même d'avoir compris ce qui m'arrive, j'ai pris une douche et je me suis habillée.
La pluie a cessé, le ciel est laiteux, un taxi se gare le long du trottoir.
-A l'hôpital, s'il vous plaît.
Je suis folle!