« Thomas », ai-je répondu sèchement. Je me suis tournée vers lui, mon cerveau tournant à plein régime. Je me suis souvenue d'un détail de ma vie passée, une conversation entendue par hasard. Thomas était un fanatique de montres de luxe. Il y avait une boutique très réputée, un revendeur de pièces vintage, à quelques rues de là.
J'ai adopté un air faussement désinvolte.
« Dis-moi, Thomas, tu es toujours passionné par les montres ? J'ai vu en venant qu'ils avaient une nouvelle 'Speedmaster' en vitrine chez 'Le Collectionneur du Temps', celle de 69, tu sais, la 'Moonwatch'. J'ai pensé à toi. Mais elle ne restera pas longtemps, c'est sûr. »
Les yeux de Thomas se sont illuminés. J'avais touché juste. Sa passion pour les montres était plus forte que sa mission d'espionnage. L'appât était trop tentant.
« La 'Moonwatch' de 69 ? Tu es sûre ? »
« Absolument », ai-je menti avec assurance. « Je l'ai vue il y a à peine vingt minutes. »
Il a regardé sa propre montre, puis Sophie, puis moi. Le conflit était visible sur son visage.
« Eh bien... Je... je pourrais peut-être aller y jeter un œil rapidement. »
Sophie, ignorant tout du subterfuge, a souri.
« Vas-y, ne te gêne pas pour nous ! On a plein de choses à se raconter entre sœurs. »
C'était la permission qu'il attendait. Il a attrapé sa veste.
« Je ne serai pas long. À tout à l'heure ! »
Il est parti, presque en courant. La porte s'est refermée. J'ai expiré lentement. J'avais gagné un peu de temps.
Dès qu'il a été parti, le masque est tombé. Sophie a vu le changement sur mon visage.
« Jeanne ? Qu'est-ce qui se passe ? Tu as l'air... terrifiée. »
Les larmes que je retenais depuis mon réveil ont commencé à couler. J'ai serré ma sœur dans mes bras, cette fois avec une force désespérée.
« Oh, Sophie... Si tu savais... J'ai eu si peur. »
Elle m'a tenue, perplexe mais aimante.
« Peur de quoi ? Parle-moi. »
Je devais m'assurer que nous étions absolument seules et que personne ne pouvait nous entendre. J'ai regardé Manon.
« Mon trésor, tu veux bien regarder les dessins animés dans le salon ? Maman et tata ont des choses de grandes à se dire. »
J'ai allumé la télévision, lui ai donné une brique de jus de fruits et je l'ai installée confortablement sur le canapé. Puis j'ai fermé la porte de la cuisine, nous isolant du reste de l'appartement.
J'ai pris une profonde inspiration. Les mots se bousculaient dans ma tête.
« Sophie, tu dois me croire. Ne me pose pas de questions sur comment je sais ça. Promets-moi juste de m'écouter jusqu'au bout. »
Elle a hoché la tête, son visage grave.
« Je te le promets. »
« Marc me trompe », ai-je commencé.
Ce n'était pas une surprise pour elle. Elle a simplement dit : « Je le savais. »
« C'est pire que ça », ai-je continué, ma voix tremblante. « Il a une maîtresse. Elle s'appelle Camille. Et elle est enceinte. »
Le visage de Sophie s'est décomposé.
« Quoi ? »
« Il ne veut pas juste un enfant. Il veut un fils. Il m'a toujours reproché de ne pas lui en avoir donné un. Camille est enceinte d'un garçon. Et ils ont un plan, Sophie. Un plan pour se débarrasser de moi et de Manon, pour prendre l'argent de l'héritage de grand-mère et commencer leur nouvelle vie parfaite. »
Je voyais l'horreur et l'incrédulité dans ses yeux. C'était trop monstrueux pour être vrai.
« Jeanne... C'est... C'est impossible. Marc est un connard, mais il n'est pas un monstre à ce point. Et... comment sais-tu tout ça ? »
J'ai attrapé ses mains. Mon regard était intense, ne lui laissant aucune place au doute.
« Je ne peux pas te l'expliquer. Mais chaque mot que je te dis est la vérité. La vérité absolue. L'accident qui va arriver à Manon, les mensonges, le vol... Tout est vrai. »
Je l'ai regardée droit dans les yeux, la laissant voir toute la douleur, toute la certitude, toute la rage qui m'habitaient.
« Il veut nous tuer, Sophie. Peut-être pas avec ses propres mains. Mais il veut nous voir disparaître. »