Après la vente, j'ai attendu près de la sortie des objets volumineux, espérant au moins pouvoir le voir une dernière fois. Quand les employés l'ont sorti, mon cœur s'est serré. Il était encore plus beau que dans mes souvenirs. Mais alors que deux hommes le manœuvraient maladroitement dans le couloir étroit, l'un d'eux a glissé. L'orgue a heurté violemment le mur. Un bruit terrible de verre brisé a retenti.
Un cri m'a échappé. Je me suis précipitée. L'un des plus grands flacons en cristal, celui qui contenait l'essence de rose de Grasse la plus pure et la plus chère, était en morceaux. Le parfum précieux s'était répandu sur le sol, une odeur divine et déchirante emplissant l'air.
« Non... » ai-je murmuré, tombant à genoux.
Ignorant les regards des passants, j'ai essayé de ramasser les morceaux de verre, comme si je pouvais miraculeusement reconstituer le flacon. Mes doigts se sont coupés sur les arêtes vives, mais je ne sentais pas la douleur. Je ne sentais que la perte. Ce parfum n'était pas juste une essence, c'était le souvenir de ma grand-mère, celle qui m'avait transmis cette passion.
C'est alors que Chloé s'est approchée, son visage affichant une fausse compassion. « Oh, Amélie, je suis tellement désolée. C'est terrible. Ne t'inquiète pas, Sébastien t'en achètera un autre, encore plus beau. »
Sa voix douce était comme du poison. Elle posa une main sur mon épaule, un geste qui se voulait réconfortant mais qui me brûla. Je me suis relevée brusquement, la repoussant.
« Ne me touche pas, » ai-je sifflé.
Sébastien est arrivé à ce moment-là, attiré par le bruit. En voyant Chloé les larmes aux yeux, reculant comme si je l'avais frappée, son visage s'est transformé par la fureur. Il n'a même pas regardé le flacon brisé. Il n'a vu que Chloé, sa précieuse Chloé, apparemment blessée.
« Amélie ! Qu'est-ce que tu lui as fait ? » a-t-il tonné, se plaçant devant Chloé pour la protéger.
« Je... je ne lui ai rien fait ! C'est elle qui... »
« Assez ! » m'a-t-il coupé. « Tu es hystérique. D'abord tu annules le mariage, ensuite tu fais une scène ici, et maintenant tu t'en prends à Chloé ? Elle essayait juste d'être gentille ! »
Sa colère était irrationnelle, aveugle. Il ne voyait que ce qu'il voulait voir : moi, la méchante, et Chloé, la victime. Dans son accès de rage, son pied a heurté l'un des plus gros morceaux du flacon brisé, l'envoyant voler contre le mur où il s'est fracassé en une poussière de cristal.
Ce deuxième bruit, cette destruction délibérée, a été le coup de grâce. Ce n'était plus un accident. C'était une profanation. Il venait de piétiner mon rêve, mon passé, mon cœur.
J'ai regardé les débris scintillants sur le sol, puis j'ai levé les yeux vers lui. Toute la douleur, tout l'amour que j'avais pu ressentir pour cet homme s'est évaporé, laissant place à un vide glacial. C'était fini. Définitivement.
« Tu as raison, Sébastien, » ai-je dit d'une voix étrangement calme. « C'est terminé. »
Je me suis retournée et je suis partie sans un regard en arrière, laissant derrière moi l'odeur de mon rêve brisé et les deux personnes qui avaient orchestré ma ruine.
De retour à l'appartement, je n'ai pas pleuré. J'ai agi. J'ai commencé à faire mes valises. J'ai sorti toutes mes affaires, pliant soigneusement chaque vêtement. Puis, j'ai rassemblé tous les cadeaux qu'il m'avait faits au fil des années : les bijoux, les sacs, les robes de créateurs. Tout ce qui représentait notre vie commune, ce mensonge. Je les ai mis dans des boîtes. Je ne voulais plus rien de lui. Je partais, et je ne laisserais derrière moi que des fantômes.