La villa de Catherine était immense, blanche et tape-à-l'œil. Le style "nouveau riche" dans toute sa splendeur. Des statues de lions gardaient l'entrée.
Nous sommes arrivées en plein milieu d'une fête. Des ballons roses et dorés flottaient partout. Une bannière proclamait : "Joyeux Anniversaire Manon !".
La musique électro pulsait. Des jeunes gens, tous habillés en marques de luxe, tenaient des coupes de champagne.
Et puis il y avait moi. En salopette de travail sale, des bottes couvertes de boue, les cheveux en bataille.
Quand je suis sortie de la voiture, un silence s'est installé sur la terrasse. Tous les regards se sont tournés vers moi.
Une jeune fille, probablement Manon, m'a dévisagée avec un dégoût non dissimulé. À côté d'elle se tenait un homme plus âgé, corpulent, le visage rougeaud. Il portait un polo rose vif trop serré.
« Catherine, c'est quoi ça ? » a-t-il aboyé.
« Bernard, chéri, c'est... c'est ma fille, Chloé. »
Le visage de Bernard Leroy est passé du rouge à un violet menaçant.
« Ta fille ? La paysanne ? Tu la ramènes ici, aujourd'hui ? Le jour de l'anniversaire de MA fille ? »
Manon a éclaté en sanglots théâtraux.
« Maman ! Comment tu peux me faire ça ! Elle va tout gâcher ! »
Catherine a blêmi. « Je suis désolée, je ne savais pas pour la fête... Chloé, va te laver. »
J'avais faim. J'avais tellement faim. J'ai ignoré les regards et je me suis dirigée vers le buffet. J'ai rempli une assiette de petits fours, de salades, de viandes froides. Je me suis assise à une table vide et j'ai commencé à manger. Avec appétit. Avec la faim de quelqu'un qui a travaillé physiquement toute la journée.
Les chuchotements ont repris, plus forts. "Regarde comme elle mange", "On dirait qu'elle n'a pas mangé depuis des jours", "Quelle horreur".
Bernard s'est approché de ma table. Son ombre m'a recouverte.
« Tu nous fais honte. Fous le camp de ma maison. »
Je l'ai regardé droit dans les yeux, la bouche pleine. J'ai avalé lentement.
« C'est aussi la maison de ma mère. »
Sa mâchoire s'est crispée. Il a attrapé mon assiette et l'a jetée dans un buisson.
« Dehors. »
Catherine est arrivée en courant, les larmes aux yeux.
« Bernard, arrête ! S'il te plaît ! »
Il s'est tourné vers elle. « Toi, tu vas m'écouter. Cette chose ne reste pas ici. Demain, tu la mets dans un pensionnat. N'importe où, mais loin de ma vue. »
Cette nuit-là, j'ai dormi dans une chambre d'amis luxueuse mais froide. Je n'avais toujours pas de téléphone. Je ne pouvais pas appeler mon père pour lui dire que sa leçon avait pris une tournure inattendue. Pour la première fois, je ne voulais pas seulement rentrer à Paris. Je voulais me venger.