Le jour des résultats du Bac, mon cœur battait à tout rompre. Mention Très Bien. J'avais réussi. C'était mon billet pour la liberté.
J'étais si heureuse que j'ai fait l'erreur de rentrer à la maison pour l'annoncer à ma mère. Je pensais, bêtement, qu'elle serait fière.
Elle m'a regardée sans expression. Et puis, la porte s'est ouverte.
Mon père était là. Je ne l'avais pas vu depuis des années. Il sentait l'alcool et la cigarette froide. Il avait le même regard vide que ma mère.
« Alors, la petite intello a eu son diplôme, » a-t-il dit avec un ricanement. « C'est parfait. »
Il s'est approché de moi.
« Tu vas pouvoir nous aider maintenant. J'ai une dette. Mon cousin a un restaurant à la campagne. Il a besoin d'une serveuse. Tu pars demain. »
La panique m'a envahie.
« Non. Je vais à l'université. J'ai eu une bourse. »
« L'université ? » Il a éclaté de rire. Un rire gras et méchant. « Tu rêves. Tu vas travailler et rembourser ce que tu nous as coûté. »
Il a attrapé mon bras. Sa poigne était de fer.
« Tu n'iras nulle part. »
J'ai lutté, je l'ai repoussé de toutes mes forces et j'ai couru. J'ai dévalé les escaliers, sans me retourner. Je les entendais crier derrière moi.
Je ne savais pas où aller. L'argent d'Antoine était caché dans une planque sûre, mais je ne pouvais pas y retourner. J'ai pensé à lui, mais il était déjà parti. Il m'avait dit qu'il partait pour Londres juste après le Bac pour étudier l'économie.
La séparation avait été étrange. On s'était vus au lycée le dernier jour. Il m'avait souhaité bonne chance, l'air maladroit.
« Fais attention à toi, Élise. »
Puis il était parti, me laissant un vide immense.
Dans ma fuite, une seule personne m'est venue à l'esprit : ma professeure de français, Madame Dubois. Elle m'avait toujours encouragée. Je suis allée chez elle, en larmes, tremblante.
Elle m'a ouvert sa porte sans poser de questions. Elle m'a laissée rester, m'a aidée avec les inscriptions pour l'université à Paris.
Les années qui ont suivi ont été solitaires. J'étudiais sans relâche, je vivais dans une chambre de bonne minuscule. Je survivais grâce à ma bourse et des petits boulots.
De temps en temps, un colis arrivait pour moi. Il n'y avait jamais de nom d'expéditeur, juste une adresse de service de livraison. À l'intérieur, il y avait de la nourriture de qualité, des produits d'hygiène, parfois un livre que j'avais mentionné vouloir lire.
Je savais que c'était lui. C'était sa façon de continuer à prendre soin de moi, même à distance. Chaque colis était une bouffée d'air frais, un rappel que je n'étais pas complètement seule.