Ma mère n'a jamais compris pourquoi les études étaient si importantes pour moi. Pour elle, c'était une perte de temps.
« Les livres ne rempliront pas nos assiettes, Élise. »
Elle me le répétait tous les jours. Sa vie était une lutte constante. Elle travaillait comme femme de ménage, ses mains étaient abîmées par les produits chimiques, son dos courbé par la fatigue. Elle voyait mon ambition comme une insulte à ses sacrifices.
« Tu te crois meilleure que nous ? Tu penses que tu vas t'échapper ? »
La veille des vacances de la Toussaint, la dispute a été plus violente que d'habitude. Le propriétaire menaçait de nous expulser. Il n'y avait plus d'argent.
« Demain, tu ne vas pas à l'école. Tu viens avec moi. J'ai trouvé un travail pour toi dans un restaurant. Tu feras la plonge. »
Mon sang s'est glacé.
« Non. Je ne le ferai pas. J'ai des examens. »
« Les examens ne paieront pas le loyer ! »
Elle a crié, son visage déformé par la colère et le désespoir. Elle a attrapé mon sac à dos, l'a vidé par terre. Mes livres, mes cahiers, tout mon avenir s'est répandu sur le sol sale.
« Tu choisis ? Alors va-t'en ! Va vivre avec tes livres ! »
Elle a ouvert la porte et m'a poussée dehors. La porte s'est refermée dans un claquement sec.
Je suis restée là, dans le couloir sombre et froid de notre HLM, sans rien. Juste les vêtements que je portais.
Je n'avais nulle part où aller. J'ai marché sans but, et mes pieds m'ont menée à la Gare de Lyon. C'était un endroit où les gens partaient vers une autre vie. Je me suis assise sur un banc, grelottant. La nuit tombait. Les gens passaient, heureux, avec leurs valises, en route pour les vacances.
J'ai fermé les yeux, essayant d'ignorer le froid qui me pénétrait jusqu'aux os.
« Élise ? »
J'ai ouvert les yeux. Antoine était là, devant moi. Il portait une doudoune de marque et tirait une valise de luxe. Il avait l'air surpris.
« Qu'est-ce que tu fais ici ? Il fait un froid de canard. »
Je n'ai pas pu répondre. Les larmes que j'avais retenues ont commencé à couler. Je n'ai pas pu m'arrêter de trembler.
Il a froncé les sourcils, son regard passant de mon visage à mes vêtements fins. Il a compris. Son expression a changé. La nonchalance a disparu, remplacée par une colère froide.
Il a sorti son téléphone, a composé un numéro.
« Allô, Maman ? Je ne peux pas venir. J'ai attrapé une grippe terrible, je ne veux pas contaminer tout le monde... Oui, je suis désolé. Profitez bien. Je vous aime. »
Il a raccroché. Il a attrapé mon bras.
« Viens. »
« Où ? »
« Chez moi. Il n'y a personne. Ils sont partis au ski pour la semaine. »
Il ne m'a pas laissé le temps de protester. Il m'a tirée derrière lui, a jeté sa valise dans une consigne et nous a fait monter dans un taxi. Pour la première fois de ma vie, j'entrais dans son monde.