Chapitre 6 Chapitre 6

Le lendemain matin, je me suis réveillé avec le poids d'un rêve éveillé sur la poitrine. Une sensation douce et déroutante, comme si mon cœur flottait encore quelque part entre deux battements. Il fallait que je parle. Que je vide ce trop-plein d'émotions, que je déplie ce souvenir qui m'envahissait depuis la librairie. Alors j'ai envoyé un message à Donald et Hilaire. Trois mots : « Café. Besoin de vous. »

‎Ils ont répondu en quelques secondes. On se connaît depuis assez longtemps pour comprendre les silences entre les lignes.

‎Moins d'une heure plus tard, j'étais assis à notre table habituelle, au fond du petit café en bois sombre qui donnait sur la rue pavée. La lumière du matin perçait à travers les grandes vitres, teintant tout d'un doré calme et complice. Hilaire arriva en premier, son éternel sourire accroché aux lèvres, puis Donald, le regard vif, une tasse à la main.

‎- « Alors frérot ? » lança Hilaire en s'asseyant face à moi. « T'as cette tête de mec qui a vu un ange...

‎Je n'ai pas répondu tout de suite. J'ai regardé mes amis, ces deux frères de cœur, ces témoins de mes jours clairs et de mes nuits plus sombres.

‎ - « Ou qui s'est pris une claque émotionnelle, » ajouta Donald avec un air mi-curieux, mi-amusé, tout en posant son café avec un petit bruit mat.

‎Je les ai observés un instant, comme si je cherchais les bons mots. Puis j'ai soupiré, sourire en coin, et j'ai lâché, à voix basse, comme si le dire à haute voix rendait tout plus réel :

‎- « J'ai rencontré une fille... à la librairie. »

‎Un silence s'est posé sur notre trio, pas pesant, mais attentif.

‎ - « Et alors ? Elle est comment ? » demanda Donald, penché légèrement vers moi.

‎J'ai regardé le fond de ma tasse, comme si je pouvais y lire une réponse, puis j'ai murmuré :

‎- « C'est difficile à décrire. Elle s'appelle Aht. Elle est... envoûtante. J'ai l'impression que mon âme l'a reconnue. »

‎Hilaire a levé les sourcils, visiblement surpris par l'intensité de mes mots.

‎ - « Ça, c'est pas de la rencontre Tinder, hein. »

‎Un rire a échappé à mes lèvres. Court, nerveux, mais sincère.

‎- « Non. C'était plus fort. Plus... intime. Même si on a échangé que quelques mots. »

‎Donald s'est redressé, les bras croisés sur sa poitrine, son regard analytique.

‎- « Elle t'a laissé son contact ? »

‎Je secouai doucement la tête.

‎-« Non. Mais elle a dit qu'on allait se revoir. Et je la crois. »

‎Il y eut un petit silence, puis Hilaire claqua la langue contre son palais.

‎ - « Mec, t'es foutu. Et j'adore ça. »

‎On a éclaté de rire ensemble. Ce genre de rire qui vous soulage et vous connecte, ce genre de rire qui dit : vas-y, fonce. Je me sentais plus léger. Compris. Pas fou.

‎Et malgré tout ce que je ne savais pas encore d'elle, j'étais sûr d'une chose : je voulais la revoir.

‎ Ces retrouvailles avec Donald et Hilaire avaient un goût de lumière. Des éclats de rire sincères, des taquineries fraternelles, des silences complices... C'était la première fois depuis longtemps que je me retrouvais vraiment entouré, vivant, presque léger. Je me suis surpris à sourire sans me forcer, à répondre aux blagues, à lancer des piques. Comme si, l'espace d'un instant, j'avais retrouvé une part de moi que le chagrin avait endormie.

‎Mais la vérité, c'est que je n'avais pas oublié. Le vide laissé par mes parents était toujours là, discret, mais ancré. Un silence permanent que même les rires ne pouvaient tout à fait couvrir. Et pourtant... depuis qu'Aht est entrée dans ma vie, quelque chose a changé. Sa présence a cette étrange magie : elle ne remplace rien, mais elle apaise tout. Les souvenirs les plus amers prennent des teintes plus douces, presque tendres. Elle ne guérit pas la douleur - elle la rend simplement plus supportable, plus humaine.

‎Je n'aurais jamais cru ça possible.

‎Mais je le ressens dans chaque battement de mon cœur quand je pense à elle.

‎Dans le creux de son regard, j'ai trouvé une paix que je croyais perdue.

‎Et ce que je veux, maintenant... c'est vivre dans cette lumière-là. La sienne. Chaque jour. Pour toujours.

‎TROIS JOUR APRÈS :

‎Trois jours. C'est le temps qu'il m'a fallu pour la revoir. Trois jours d'attente déguisée, de balades sans but, de pensées échappées. J'avais gardé en mémoire chaque fragment de notre échange à la librairie, chaque ton, chaque regard, chaque silence. Sa voix me hantait comme une chanson douce qu'on ne veut pas oublier.

‎Ce jour-là, j'avais décidé de me poser dans un parc, à l'écart du bruit. Un besoin de calme, de respiration. Un besoin d'être ailleurs, loin de tout et peut-être un peu plus près d'elle, dans un coin de hasard.

‎Le parc était baigné d'une lumière chaude et dorée. Le soleil filtrait à travers les arbres, dessinant sur le sol des motifs mouvants que le vent faisait danser. Les oiseaux chantaient avec une douceur feutrée, presque en sourdine, comme si la nature elle-même murmurait.

‎Je me suis assis sur un banc près d'un petit lac artificiel. Le clapotis de l'eau, les rires lointains d'enfants, et les pages de mon livre qui se tournaient au gré du vent. Tout semblait calme. Simple. Suspendu.

‎Et puis je l'ai vue.

‎Assise sur un autre banc, un peu plus loin. Les jambes croisées, concentrée sur un livre. Une main dans les cheveux, l'autre tenant les pages avec une délicatesse exquise. Elle portait une robe bleu nuit, fluide et élégante, qui épousait ses formes avec une grâce à couper le souffle. Sa peau semblait presque scintiller sous les rayons du soleil.

‎J'ai cessé de respirer. Mon cœur, lui, battait comme si je courais.

‎Je me suis levé. Lentement. Chaque pas était une décision. Je ne voulais pas troubler la magie. Et pourtant, je ne pouvais pas rester là. Pas sans lui parler.

‎Je me suis arrêté à quelques pas d'elle.

‎ - « Je te dérange ? »

‎Elle a levé les yeux. Un sourire immense a illuminé son visage. Un sourire qui ne laissait aucune place au doute.

‎- « Je t'attendais. »

                         

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