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Je n'avais pas prévu de sortir ce jour-là.
Je n'en avais pas l'envie, ni même la force.
Depuis la disparition de mes parents, mon quotidien était devenu un enchaînement de silences lourds, de gestes automatiques, d'ombres passantes.
Mais parfois... le destin n'attend pas qu'on l'invite.
Il entre sans frapper.
Il vous bouscule doucement. Puis brutalement.
Il vous pousse dehors, vers l'inconnu. Vers l'inattendu.
Ce matin-là, il était 10h12.
Le soleil traversait les volets avec une douceur insistante.
Comme s'il me disait : « Sors. Il y a quelque chose dehors. Quelqu'un. »
J'ai regardé mon plafond, vidé de sens.
Puis j'ai levé le bras, attrapé un t-shirt froissé.
Je me suis habillé sans réfléchir.
Pas pour plaire. Pas pour voir.
Juste pour respirer autre chose que les souvenirs de mon salon.
Je suis sorti.
Sans téléphone. Sans sac.
Juste moi, et cette sensation étrange dans le ventre.
Comme un frisson qui n'a pas encore trouvé sa raison.
Mes pas m'ont guidé.
Pas de direction. Pas de plan.
Je me laissais porter.
Le bruit de mes chaussures sur le pavé, le souffle du vent sur mes joues, les gens que je croisais sans voir.
Et soudain... une ruelle.
Discrète. Vieille. Silencieuse.
Un petit panneau en fer indiquait : "Librairie des Âmes Perdues".
Je ne sais pas pourquoi j'y suis entré.
Peut-être parce que moi aussi, j'en étais une. Une âme perdue.
L'odeur m'a saisi dès le seuil franchi.
Une odeur unique, envoûtante :
le cuir des vieux livres, la poussière dorée des souvenirs,
le parfum de l'encre oubliée.
Le lieu semblait hors du temps.
Des rayonnages jusqu'au plafond.
Des recoins à peine éclairés.
Une vieille musique jazz flottait faiblement dans l'air.
Je me suis assis.
Dans un coin discret.
Loin de la vitrine. Loin du monde.
J'ai attrapé un livre au hasard, sans regarder le titre.
Mes doigts ont effleuré la couverture.
Et j'ai fermé les yeux.
Je ne lisais pas vraiment.
Je fuyais. Je respirais autrement.
Et puis...
Elle est entré.
Je l'ai senti avant de le voir.
Comme un changement dans l'air.
Une vibration.
Un souffle différent.
Et quand j'ai levé les yeux, je l'ai vu.
Elle était debout, à quelques mètres.
Silencieux.
Magnifique.
Pas seulement par son physique - bien qu'il était d'une beauté rare.
Mais par ce quelque chose qu'elle dégageait.
Une assurance tranquille. Une grâce discrète.
Une intensité.
Son regard parcourait les étagères...
Mais moi, je ne regardais que lui.
Des cheveux courts, sombres, parfaitement coiffés.
Une peau claire, lumineuse, presque chaude.
Un costume sobre, élégant, qui ne criait pas la richesse mais chuchotait le goût.
Et ce parfum...
Mon Dieu.
Un mélange de bois, de musc, et d'un fond ambré que je n'arrivais pas à nommer.
C'était lui.
Je ne savais pas qui, mais je savais quoi :
il était le bouleversement que je n'attendais plus.
Soudain, ses yeux ont croisé les miens.
Un choc.
Doux. Brutal.
Comme un éclair silencieux.
Il m'a vraiment regardé.
Et moi, j'ai oublié de respirer.
- « Tu lis Les Égarés du Silence ? »
Sa voix était une caresse.
Grave. Lente.
Sensuelle sans effort.
Je suis resté quelques secondes figé.
Puis j'ai baissé les yeux sur la couverture. C'était bien le titre.
- « Euh... non. Je l'ai pris au hasard. Je crois que je cherchais quelque chose... ou quelqu'un. »
Il a souri.
Un sourire lent, profond.
Pas moqueur. Pas condescendant.
Juste... curieux. Sincère.
- « Et tu penses l'avoir trouvé ? »
Je l'ai regardé. Longuement.
Et j'ai répondu d'une voix un peu plus basse :
- « Peut-être que oui. Peut-être... maintenant. »
Je ne savais pas d'où elle venait.
Ni pourquoi elle avait franchi la porte à ce moment précis.
Mais ce que je savais, c'est que quelque chose venait de commencer.
Une pulsion lente, profonde, une sorte de courant invisible qui m'attirait vers elle Aht.
Elle se tenait debout, tout près maintenant.
Ses yeux clairs plongeaient dans les miens avec une intensité presque brûlante.
Pas besoin de sourire pour me désarmer.
Son regard suffisait.
Et sa voix... Dieu, sa voix.
- « Je peux ? »
Elle désignait la chaise en face de moi.
- « Bien sûr... » dis-je, presque en chuchotant.
Elle s'assit. Ses mouvements étaient précis, lents, mesurés.
Une élégance naturelle.
Une sensualité non travaillée, mais évidente.
Ses jambes croisées, sa main fine posée sur la table, son parfum flottant dans l'air comme un secret...
Elle m'observait.
Pas comme un inconnu.
Comme quelqu'un qui voyait à travers moi.
- « Tu viens souvent ici ? »
-
- « Et pourtant, tu as choisi le bon endroit. »
Son ton était doux, presque complice.
« Ce lieu attire ceux qui portent quelque chose de lourd. Ceux qui cherchent. »
Je baissai les yeux. Elle ne pouvait pas savoir.
Ou peut-être que si.
- « Et toi ? Tu es venue chercher quoi ? »
Elle m'offrit un sourire - doux, mystérieux.
- « Toi, peut-être. »
Mon cœur a manqué un battement.
J'ai senti une chaleur monter le long de mon cou, se poser dans ma poitrine, envahir mon ventre.
Je n'étais pas du genre à rougir, encore moins à perdre mes moyens devant quelqu'un.
Mais elle...
Elle déjouait toutes mes défenses.
Un silence s'installa.
Pas gênant.
Un silence plein. Chargé.
Comme si nos respirations suffisaient à se comprendre.
Elle effleura un livre posé près de ma main.
Nos doigts se frôlèrent. Juste un instant.
Mais ce contact était comme une étincelle nue sur une peau trempée.
- « Tu trembles, Makial. »
Sa voix était plus basse. Plus chaude.
Je l'ai regardée.
- « Je crois que je ne sais plus comment gérer... ce que je ressens là. »
- « Et qu'est-ce que tu ressens ? »
Je l'ai fixée, incapable de fuir.
Et j'ai murmuré, presque sans voix
:
- « Que je suis en train de te désirer...
sans même te connaître. »
Elle se pencha légèrement.
Ses lèvres n'étaient plus qu'à quelques centimètres des miennes.
Ses yeux... pénétraient jusqu'au fond de moi.
- « Le désir n'attend pas de connaître. Il devine. »
Ce qu'il s'est passé ensuite n'est pas un baiser.
Mais c'était pire. Ou mieux.
Ses doigts ont glissé le long de ma main.
Lentement.
Comme si elle voulait apprendre ma peau par cœur.
Elle n'a pas bougé plus que ça.
Mais ce frôlement... valait tous les baisers du monde.
J'ai fermé les yeux.
Respiré son parfum.
Écouté le battement de mon cœur s'accélérer sans contrôle.
Quand je les ai rouverts, elle me fixait toujours.
- « Tu es encore plus vivant que tu ne le crois, Makial. »
- « Tu fais fondre un mur en moi... dont j'avais oublié l'existence. »
Elle se leva.
D'un geste doux, elle remit une mèche derrière son oreille.
Puis elle recula, sans me quitter du regard.
- « Je dois y aller... pour aujourd'hui. »
J'ai paniqué intérieurement.
- « Attends... je peux te revoir ? »
Elle sourit.
Et son regard s'adoucit avec une tendresse désarmante.
- « Tu n'as pas à me chercher.
Je reviendrai. Je sais exactement où te trouver. »
Elle franchit la porte.
Et disparut dans la lumière de la rue.
Je suis resté là. Seul.
Mais pas vide.
Je ne savais pas ce que c'était.
Mais ce moment, cette rencontre, venait de me réanimer.
Pas juste mon cœur.
Mon corps. Mon esprit. Mon envie de vivre.
Je ne connaissais rien d'elle.
Et pourtant... j'avais l'impression d'avoir attendu cette femme toute ma vie.