Chapitre 5 Chapitre 5

Je n'avais pas prévu de sortir ce jour-là.

‎Je n'en avais pas l'envie, ni même la force.

‎Depuis la disparition de mes parents, mon quotidien était devenu un enchaînement de silences lourds, de gestes automatiques, d'ombres passantes.

‎Mais parfois... le destin n'attend pas qu'on l'invite.

‎Il entre sans frapper.

‎Il vous bouscule doucement. Puis brutalement.

‎Il vous pousse dehors, vers l'inconnu. Vers l'inattendu.

‎Ce matin-là, il était 10h12.

‎Le soleil traversait les volets avec une douceur insistante.

‎Comme s'il me disait : « Sors. Il y a quelque chose dehors. Quelqu'un. »

‎J'ai regardé mon plafond, vidé de sens.

‎Puis j'ai levé le bras, attrapé un t-shirt froissé.

‎Je me suis habillé sans réfléchir.

‎Pas pour plaire. Pas pour voir.

‎Juste pour respirer autre chose que les souvenirs de mon salon.

‎Je suis sorti.

‎Sans téléphone. Sans sac.

‎Juste moi, et cette sensation étrange dans le ventre.

‎Comme un frisson qui n'a pas encore trouvé sa raison.

‎Mes pas m'ont guidé.

‎Pas de direction. Pas de plan.

‎Je me laissais porter.

‎Le bruit de mes chaussures sur le pavé, le souffle du vent sur mes joues, les gens que je croisais sans voir.

‎Et soudain... une ruelle.

‎Discrète. Vieille. Silencieuse.

‎Un petit panneau en fer indiquait : "Librairie des Âmes Perdues".

‎Je ne sais pas pourquoi j'y suis entré.

‎Peut-être parce que moi aussi, j'en étais une. Une âme perdue.

‎L'odeur m'a saisi dès le seuil franchi.

‎Une odeur unique, envoûtante :

‎le cuir des vieux livres, la poussière dorée des souvenirs,

‎le parfum de l'encre oubliée.

‎Le lieu semblait hors du temps.

‎Des rayonnages jusqu'au plafond.

‎Des recoins à peine éclairés.

‎Une vieille musique jazz flottait faiblement dans l'air.

‎Je me suis assis.

‎Dans un coin discret.

‎Loin de la vitrine. Loin du monde.

‎J'ai attrapé un livre au hasard, sans regarder le titre.

‎Mes doigts ont effleuré la couverture.

‎Et j'ai fermé les yeux.

‎Je ne lisais pas vraiment.

‎Je fuyais. Je respirais autrement.

‎Et puis...

‎Elle est entré.

‎Je l'ai senti avant de le voir.

‎Comme un changement dans l'air.

‎Une vibration.

‎Un souffle différent.

‎Et quand j'ai levé les yeux, je l'ai vu.

‎Elle était debout, à quelques mètres.

‎Silencieux.

‎Magnifique.

‎Pas seulement par son physique - bien qu'il était d'une beauté rare.

‎Mais par ce quelque chose qu'elle dégageait.

‎Une assurance tranquille. Une grâce discrète.

‎Une intensité.

‎Son regard parcourait les étagères...

‎Mais moi, je ne regardais que lui.

‎Des cheveux courts, sombres, parfaitement coiffés.

‎Une peau claire, lumineuse, presque chaude.

‎Un costume sobre, élégant, qui ne criait pas la richesse mais chuchotait le goût.

‎Et ce parfum...

‎Mon Dieu.

‎Un mélange de bois, de musc, et d'un fond ambré que je n'arrivais pas à nommer.

‎C'était lui.

‎Je ne savais pas qui, mais je savais quoi :

‎il était le bouleversement que je n'attendais plus.

‎Soudain, ses yeux ont croisé les miens.

‎Un choc.

‎Doux. Brutal.

‎Comme un éclair silencieux.

‎Il m'a vraiment regardé.

‎Et moi, j'ai oublié de respirer.

‎ - « Tu lis Les Égarés du Silence ? »

‎Sa voix était une caresse.

‎Grave. Lente.

‎Sensuelle sans effort.

‎Je suis resté quelques secondes figé.

‎Puis j'ai baissé les yeux sur la couverture. C'était bien le titre.

‎ - « Euh... non. Je l'ai pris au hasard. Je crois que je cherchais quelque chose... ou quelqu'un. »

‎Il a souri.

‎Un sourire lent, profond.

‎Pas moqueur. Pas condescendant.

‎Juste... curieux. Sincère.

‎ - « Et tu penses l'avoir trouvé ? »

‎Je l'ai regardé. Longuement.

‎Et j'ai répondu d'une voix un peu plus basse :

‎ - « Peut-être que oui. Peut-être... maintenant. »

‎Je ne savais pas d'où elle venait.

‎Ni pourquoi elle avait franchi la porte à ce moment précis.

‎Mais ce que je savais, c'est que quelque chose venait de commencer.

‎Une pulsion lente, profonde, une sorte de courant invisible qui m'attirait vers elle Aht.

‎Elle se tenait debout, tout près maintenant.

‎Ses yeux clairs plongeaient dans les miens avec une intensité presque brûlante.

‎Pas besoin de sourire pour me désarmer.

‎Son regard suffisait.

‎Et sa voix... Dieu, sa voix.

‎ - « Je peux ? »

‎Elle désignait la chaise en face de moi.

‎ - « Bien sûr... » dis-je, presque en chuchotant.

‎Elle s'assit. Ses mouvements étaient précis, lents, mesurés.

‎Une élégance naturelle.

‎Une sensualité non travaillée, mais évidente.

‎Ses jambes croisées, sa main fine posée sur la table, son parfum flottant dans l'air comme un secret...

‎Elle m'observait.

‎Pas comme un inconnu.

‎Comme quelqu'un qui voyait à travers moi.

‎ - « Tu viens souvent ici ? »

‎ -

‎ - « Et pourtant, tu as choisi le bon endroit. »

‎Son ton était doux, presque complice.

‎« Ce lieu attire ceux qui portent quelque chose de lourd. Ceux qui cherchent. »

‎Je baissai les yeux. Elle ne pouvait pas savoir.

‎Ou peut-être que si.

‎ - « Et toi ? Tu es venue chercher quoi ? »

‎Elle m'offrit un sourire - doux, mystérieux.

‎ - « Toi, peut-être. »

‎Mon cœur a manqué un battement.

‎J'ai senti une chaleur monter le long de mon cou, se poser dans ma poitrine, envahir mon ventre.

‎Je n'étais pas du genre à rougir, encore moins à perdre mes moyens devant quelqu'un.

‎Mais elle...

‎Elle déjouait toutes mes défenses.

‎Un silence s'installa.

‎Pas gênant.

‎Un silence plein. Chargé.

‎Comme si nos respirations suffisaient à se comprendre.

‎Elle effleura un livre posé près de ma main.

‎Nos doigts se frôlèrent. Juste un instant.

‎Mais ce contact était comme une étincelle nue sur une peau trempée.

‎ - « Tu trembles, Makial. »

‎Sa voix était plus basse. Plus chaude.

‎Je l'ai regardée.

‎ - « Je crois que je ne sais plus comment gérer... ce que je ressens là. »

‎ - « Et qu'est-ce que tu ressens ? »

‎Je l'ai fixée, incapable de fuir.

‎Et j'ai murmuré, presque sans voix

:

‎ - « Que je suis en train de te désirer...

‎sans même te connaître. »

‎Elle se pencha légèrement.

‎Ses lèvres n'étaient plus qu'à quelques centimètres des miennes.

‎Ses yeux... pénétraient jusqu'au fond de moi.

‎ - « Le désir n'attend pas de connaître. Il devine. »

‎Ce qu'il s'est passé ensuite n'est pas un baiser.

‎Mais c'était pire. Ou mieux.

‎Ses doigts ont glissé le long de ma main.

‎Lentement.

‎Comme si elle voulait apprendre ma peau par cœur.

‎Elle n'a pas bougé plus que ça.

‎Mais ce frôlement... valait tous les baisers du monde.

‎J'ai fermé les yeux.

‎Respiré son parfum.

‎Écouté le battement de mon cœur s'accélérer sans contrôle.

‎Quand je les ai rouverts, elle me fixait toujours.

‎ - « Tu es encore plus vivant que tu ne le crois, Makial. »

‎ - « Tu fais fondre un mur en moi... dont j'avais oublié l'existence. »

‎Elle se leva.

‎D'un geste doux, elle remit une mèche derrière son oreille.

‎Puis elle recula, sans me quitter du regard.

‎ - « Je dois y aller... pour aujourd'hui. »

‎J'ai paniqué intérieurement.

‎ - « Attends... je peux te revoir ? »

‎Elle sourit.

‎Et son regard s'adoucit avec une tendresse désarmante.

‎ - « Tu n'as pas à me chercher.

‎Je reviendrai. Je sais exactement où te trouver. »

‎Elle franchit la porte.

‎Et disparut dans la lumière de la rue.

‎Je suis resté là. Seul.

‎Mais pas vide.

‎Je ne savais pas ce que c'était.

‎Mais ce moment, cette rencontre, venait de me réanimer.

‎Pas juste mon cœur.

‎Mon corps. Mon esprit. Mon envie de vivre.

‎ Je ne connaissais rien d'elle.

‎Et pourtant... j'avais l'impression d'avoir attendu cette femme toute ma vie.

            
            

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