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Je m'étais cassée en courant du centre commercial, les sacs plein les mains, le cœur un peu plus léger que d'habitude. C'était con, je sais. Penser que ça allait lui faire plaisir que je lui rapporte son dessert préféré. Ce putain de millefeuille à la crème de pistache d'un traiteur italien que je pouvais à peine me payer. Comme une débile, j'y avais mis les derniers billets du fond de mon portefeuille, parce que je voulais juste une soirée normale. Une soirée où il me regarde autrement que comme un meuble. Ou comme un sac de frappe.
J'avais pressé le pas, les talons claquants sur le bitume, en me disant que peut-être, si j'arrivais avant lui, je pourrais allumer quelques bougies, me maquiller un peu, mettre cette nuisette qu'il aimait bien - du moins, à l'époque où il me regardait encore.
Quand j'ai poussé la porte, il faisait chaud. Une chaleur étrange. Pas celle du chauffage. Celle des corps.
Au début, j'ai cru que j'hallucinais. Que mes oreilles me jouaient un tour. Ce bruit de respiration rapide, ce gémissement feutré, ce frottement de draps... J'ai froncé les sourcils, déposé les sacs doucement sur le buffet, et j'ai avancé, pieds nus maintenant, dans le silence le plus complet.
La porte de la chambre était entrouverte.
Et là... je l'ai vu.
Lui. Joe. Mon mari. Enfoncé jusqu'au cou entre les cuisses de Julie.
Julie, ma meilleure amie. Julie, celle qui m'envoyait encore des cœurs par texto ce matin.
Ses jambes enroulées autour de ses reins, son rire qui lui explosait à l'oreille, et lui qui gémissait son prénom, la tenant par les hanches comme il ne me tenait plus depuis des mois.
Je suis restée figée, incapable de faire un son. Puis c'est monté. Comme une marée noire. Une rage brute, sale, animale.
- Espèce d'enfoiré...
Ma voix est sortie toute seule, rauque, étranglée, noyée.
Ils ont sursauté.
Joe s'est retourné, à moitié nu, les yeux écarquillés. Julie a tiré le drap sur elle comme une putain de collégienne prise la main dans le sac.
- Abby, merde... Je croyais que t'étais sortie plus longtemps, bordel...
- Tu croyais quoi ?! Que j'étais assez conne pour ne pas voir ce que t'es ?!
Il s'est levé d'un bond, torse nu, le regard noir.
- Calme-toi. C'est pas ce que tu crois.
- Pas ce que je crois ?! Tu la baises dans notre lit, Joe ! Dans notre putain de lit !
J'ai hurlé comme une furie. J'ai jeté un des sacs à la gueule de Julie. Elle s'est recroquevillée comme une petite merde, incapable d'assumer. Et Joe... Joe m'a frappée.
La gifle a claqué comme un coup de feu.
Ma tête a tourné. Mes oreilles ont sifflé. Puis un deuxième coup. Cette fois dans le ventre.
- Tu vas te calmer, sale chienne ?! Tu crois que t'as le droit de me parler comme ça dans MA maison ?!
Je suis tombée sur les genoux.
La douleur m'a traversée comme une lame brûlante.
Je me suis redressée, tremblante, le souffle court. Il m'a agrippée par les cheveux.
- Tu veux que je t'éclate contre le mur ?! Hein ?!
- Joe... je t'en supplie...
Ma voix s'est brisée.
J'ai vu son poing se lever.
Alors j'ai couru.
J'ai bondi vers la porte, dévalé les escaliers, les genoux en feu, la gorge nouée, le cœur en miettes.
Je suis sortie dans la rue comme une ombre.
Il pleuvait. Pas une vraie pluie, non. Une de ces bruines dégueulasses qui collent à la peau, qui glaceraient même un cadavre.
Je marchais sans savoir où aller. Mes jambes bougeaient toutes seules. Ma robe était déchirée, le sang coulait d'une entaille au niveau de ma pommette. Mon bras gauche pendait comme mort. J'avais le goût du fer dans la bouche.
Je crois que j'ai croisé des regards. Des passants. Peut-être un chauffeur qui a ralenti.
Mais personne ne s'est arrêté.
Personne ne m'a demandé si j'avais besoin d'aide.
Juste une nana paumée, pieds nus, le regard vide, en train d'errer sur les trottoirs de la ville.
J'ai trébuché à un moment. Mes mains se sont écrasées contre le bitume rugueux. Les paumes en feu.
Je me suis relevée.
Un pas. Puis un autre. Puis un autre encore.
J'avais la tête qui tournait. Les oreilles pleines de bourdonnements. Le ventre... douloureux.
Une crampe. Aiguë. Foudroyante.
J'ai gémi. Me suis pliée en deux. Les larmes ont coulé toutes seules.
- Pas maintenant... non, pas maintenant...
J'ai continué. Toujours tout droit. Toujours plus loin de cette maison. De lui. De cette trahison.
Mais la douleur revenait, de plus en plus forte, comme une lame qu'on enfonce et qu'on remue.
Mon souffle était court. Mon sang battait à mes tempes. Et soudain...
Le noir.
Je me suis effondrée sur le trottoir.
Ma joue contre la pierre froide.
Le monde s'est mis à tourner à l'envers.
Et j'ai sombré.
Le corps d'Abby reste là, recroquevillé, fragile silhouette dans la nuit qui se fout de tout.
À quelques kilomètres, Joe rit dans les bras de Julie, encore haletant de plaisir.
Aucun remords. Aucune pensée pour la femme qu'il a battue. Aucune peur de ce qu'il a causé.
Pour lui, c'est juste une scène de ménage de plus.
Une chienne qui a voulu jouer la diva.
Il ne sait pas encore que cette fois, il a dépassé la ligne.
Et qu'un point de non-retour vient d'être franchi.