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Le matin était plus lourd que d'habitude. L'air semblait figé, comme si le royaume entier retenait son souffle. Le soleil, pourtant haut dans le ciel, n'arrivait pas à dissiper la froideur étrange qui envahissait le cœur de Mukengwa. Il se leva tôt, comme il en avait l'habitude, pour entamer sa routine.
Il s'habilla rapidement dans une tenue simple, mais royale, avant de se diriger vers la chambre de ses fils. Ce matin-là, il n'entendit pas le bruit habituel de leurs jeux ni leurs rires qui résonnaient dans les couloirs. Il n'y avait pas de frémissement de drap ou de chahut. Un silence pesant flottait dans l'air.
En poussant la porte, il s'attendait à retrouver Jérôme, comme chaque matin, déjà debout, vif et prêt à démarrer la journée. Mais il y avait quelque chose de déconcertant. Jérôme, l'aîné, qui était toujours le premier à se lever, ne bougeait pas. Il était allongé sur le dos, ses yeux encore fermés, à côté de son frère, Jérémie, qui lui aussi semblait anormalement inerte. Mukengwa se figea un instant. Les deux enfants étaient habituellement si pleins de vie, si débordants d'énergie qu'il trouvait étrange de les voir si immobiles.
En s'approchant d'eux, il ne put ignorer l'air de plus en plus inquiétant qui flottait autour d'eux. Les visages des princes étaient marqués par une pâleur inhabituelle. Leurs joues, habituellement pleines de fraîcheur, semblaient creuses et leur peau, d'ordinaire claire et lisse, était couverte de petites bosses rouges.
Les boutons, nombreux, s'étendaient presque sur tout leur corps, et la couleur de leurs chairs viraient au rouge sous la fièvre. Leurs lèvres étaient sèches et fissurées, leur respiration irrégulière, ponctuée de toux éraillées qui résonnaient dans l'air lourd de la chambre.
Mukengwa s'approcha d'eux d'un pas précipité, son cœur s'accélérant dans sa poitrine. Lorsqu'il posa sa main sur le front de Jérôme, une chaleur intense envahit immédiatement sa paume, bien au-delà de ce qu'il avait ressenti lors d'une simple fièvre. Il s'affola en touchant aussi Jérémie, et il comprit que la situation était bien plus grave que ce qu'il avait d'abord imaginé. Ils brûlaient de fièvre. Leurs corps étaient en feu, et cela n'avait rien de normal.
"Non, non, non..." pensa Mukengwa, le souffle coupé, alors qu'une vague d'inquiétude montait en lui. Ses enfants, ses précieux fils, étaient malades d'une manière qu'il n'avait jamais vue. Cette maladie ne ressemblait à rien qu'il avait connu. Il n'y avait pas de signes d'une blessure, ni de douleur physique évidente, juste ces éruptions cutanées inquiétantes et cette fièvre dévorante.
Jérôme, presque dans un état de semi-conscience, ouvrit les yeux et fixa son père, sa vision brumeuse et troublée.
- Père... qu'est-ce qui... nous arrive ?
La voix de Jérôme était faible, brisée par la toux, mais la question qui s'échappait de ses lèvres déchirait l'âme de Mukengwa. Le roi se pencha vers son fils, sa voix tremblant d'émotion.
- Ne t'inquiète pas, mon fils, dit-il d'une voix douce mais remplie de panique. Tout va bien. Je vais tout arranger.
Mukengwa se redressa rapidement, ses jambes tremblantes, et courut hors de la chambre. Son cœur battait si fort qu'il avait l'impression qu'il allait se briser sous la pression. Sans un mot de plus, il se précipita vers les appartements de Kashosi, son fidèle conseiller, dans l'espoir qu'il aurait une réponse, une solution.
Kashosi se tenait dans le jardin du palais, observant l'horizon, ses mains croisées dans son dos. Lorsqu'il aperçut le roi courir vers lui, son visage se transforma immédiatement, anticipant l'urgence de la situation.
- Mon roi, que se passe-t-il ?
- Kashosi, viens immédiatement ! Mes enfants sont malades, gravement malades ! Il faut faire quelque chose !
Kashosi se leva d'un bond, ses yeux s'élargissant. Il n'avait jamais vu le roi dans un tel état. Il suivit Mukengwa jusqu'à la chambre des princes, sans poser de questions, sa propre inquiétude se manifestant par la rapidité de ses pas.
En entrant dans la chambre, il observa les deux princes. Son visage se durcit en un instant alors qu'il touchait leur front, leur peau, leur corps couvert de boutons. Il soupira lourdement, et, d'une voix grave, il dit :
- C'est une fièvre contagieuse, mon roi. Cela ressemble à une épidémie rare... mais je n'en ai jamais vu d'aussi sévère dans notre royaume. Cette maladie se propage rapidement, et si elle n'est pas traitée, elle peut être fatale.
Mukengwa, pétrifié, se tourna vers lui.
- Que devons-nous faire, Kashosi ?
- Nous devons les isoler immédiatement et préparer un remède. Je vais envoyer chercher les plantes médicinales des montagnes. Il y a un remède ancien, un traitement que les guérisseurs des ancêtres utilisaient, mais il faut du temps pour le préparer. Je vais aussi envoyer des messagers dans les villages voisins pour qu'ils nous aident.
Mukengwa hocha la tête, pris dans un tourbillon d'émotions contradictoires : l'espoir, la panique, la peur. Il se tourna vers ses fils, décidant alors de ne pas leur laisser entendre l'urgence de la situation. Ils ne comprenaient pas encore pleinement la gravité de ce qui les frappait. Le roi s'accroupit près d'eux, caressant doucement leurs cheveux.
- Vous allez vous rétablir, mes enfants. Je vous le promets. Nous allons trouver une solution.
Mais au fond de lui, une inquiétude grandissait. Si le remède de Kashosi n'était pas assez rapide, s'il n'avait pas assez de temps... Mukengwa chassa cette pensée. Il n'avait pas le droit de céder à la peur.
Le royaume était en pleine effervescence, et Mukengwa, déjà accablé par la maladie de ses fils, reçut un message inattendu. Les gardes du grand portail l'informèrent que Kafuma, le guérisseur, venait d'arriver. Mukengwa se figea un instant. Kafuma, qui était aussi l'un des sages les plus respectés du royaume, s'était montré discret après l'incident de la jeune fille trouvée sur la côte. La nouvelle qu'il avait à transmettre semblait importante, mais dans l'état actuel de ses fils, le roi n'était pas sûr de pouvoir entendre une nouvelle qui viendrait alléger son fardeau.
Quand Kafuma entra dans le palais, il perçut immédiatement la lourdeur de l'atmosphère. Ses yeux scrutèrent le visage du roi, qui était visiblement en proie à un stress profond. Sans un mot, il se dirigea vers la chambre des princes, suivi par Mukengwa, Kashosi et quelques gardes. En voyant les enfants alités, visiblement souffrants, Kafuma posa un regard calme sur eux. Il s'approcha de Jérôme, puis de Jérémie, et observa attentivement leur état, en touchant leur peau avec une certaine douceur mais aussi une grande assurance.
Il se tourna alors vers Mukengwa, son sourire serein contrastant avec la panique palpable qui se lisait sur le visage du roi.
- Mon roi, dit Kafuma d'une voix tranquille, vos enfants ne sont pas en danger. Ce qu'ils ont est une forme de contamination, mais c'est passager. Ils ont été en contact avec Mariamu avant sa mort, n'est-ce pas ?
Mukengwa hocha la tête, désemparé mais accrochant chaque mot du guérisseur.
- Oui, c'est bien cela, ils avaient été auprès d'elle... avant qu'elle ne décède. Mais... Mais vous êtes sûr qu'il n'y a rien de plus grave ?
Kafuma sourit de manière apaisante, conscient de l'angoisse du roi.
- C'est une forme de maladie, oui, mais qui n'est pas rare dans les circonstances actuelles. Le virus se manifeste par une éruption cutanée et une fièvre, généralement après une exposition à la personne malade. Mais comme vous avez constaté, le mal est apparu tôt, ce qui est une bonne chose. Cela veut dire qu'ils n'ont pas encore été complètement envahis par la maladie, et je suis convaincu que, avec un traitement approprié, tout sera réglé dans la semaine.
Les mots de Kafuma eurent un effet immédiat sur Mukengwa. L'angoisse qui l'étouffait se relâcha légèrement, bien que l'incertitude demeurât dans son esprit. Il n'osait encore croire totalement à ces paroles.
- Une semaine... Vous en êtes sûr ?
Kafuma acquiesça lentement.
- Oui, mon roi. Une semaine, pas plus. Je vais préparer une décoction de racines et de plantes médicinales, et je vais surveiller leur état de près. Mais il est crucial qu'ils restent à l'écart des autres, surtout des enfants et des serviteurs. La maladie se transmet facilement, bien qu'elle ne soit pas mortelle si elle est traitée à temps.
Mukengwa souffla profondément, son regard se posant sur ses fils. Ils étaient pâles, mais il y avait encore une lueur de vie dans leurs yeux. Il était soulagé, mais les doutes persistaient. Il se tourna vers Kashosi, qui avait été silencieux jusque-là, son visage grave.
- Kashosi, allez immédiatement chercher les plantes dont Kafuma a besoin. Il faut que cela commence dès maintenant.
Kashosi s'inclina, et sans un mot, il quitta la chambre en hâte.
Kafuma s'approcha des princes, touchant leurs fronts une dernière fois.
- Il n'y a pas de raison de s'inquiéter, dit-il en se redressant. Je vais m'occuper de tout. Laissez-moi faire. Vous pourrez revenir demain pour constater les premiers progrès.
Mukengwa n'eut pas la force de répondre tout de suite. Son esprit était toujours agité, les craintes pour ses fils, les dernières paroles de Kafuma, l'image de Mariamu qui semblait encore vivante dans chaque coin du palais, tout cela se bousculait dans son esprit. Mais en cet instant, il se contenta d'accepter les conseils du guérisseur.
- Faites ce que vous avez à faire, Kafuma. Vous avez ma confiance.
Le guérisseur hocha la tête avec respect avant de donner des instructions aux gardes, afin que les princes soient transportés dans un lieu calme et isolé, près de ses installations où il pourrait suivre leur état en toute tranquillité.
Kafuma, Mukengwa et le reste de la petite troupe se mirent en route vers l'endroit où le guérisseur préparait ses remèdes. Mais à l'intérieur de Mukengwa, une inquiétude persistait. Il savait que les remèdes étaient importants, mais que chaque instant qui passait sans voir une amélioration serait une épreuve encore plus difficile à surmonter. Il pria silencieusement les dieux pour que ses fils guérissent vite et que la paix revienne dans le palais.
Alors que le temps s'étirait lentement dans le palais, un silence pesant enveloppait chaque recoin. Le roi Mukengwa, resté seul avec sa femme Mwabana, se trouvait plongé dans une angoisse profonde, un tourment qu'il n'avait jamais ressenti avec autant d'intensité. La situation de ses enfants pesait lourdement sur son cœur, mais au-delà de la peur pour leur vie, une autre inquiétude le rongeait silencieusement, comme un poison insidieux.
Mwabana, voyant son mari plongé dans ses pensées, s'approcha de lui et posa une main délicate sur son épaule. Elle était elle-même marquée par une inquiétude constante, son regard se perdant souvent dans le vide, comme si elle aussi était à la recherche de réponses qui n'arrivaient jamais. Mais elle savait que son mari portait en lui un poids bien plus lourd que ce qu'il laissait paraître.
Mukengwa tourna lentement la tête vers elle. Ses yeux, fatigués et sombres, trahissaient la profondeur de ses tourments. Il chercha ses mots, mais ils semblaient coincés dans sa gorge. Finalement, d'une voix brisée par la fatigue et l'angoisse, il parla, presque pour lui-même.
- Mwabana, si quelque chose devait arriver à nos fils... Si cette maladie venait à les emporter... Que deviendrait le royaume ?
Sa question, simple mais lourde de sens, flottait dans l'air, et elle fit écho dans le cœur de la reine. Leur famille était au centre de tout, le lien qui maintenait l'équilibre du royaume. Les princes étaient leurs héritiers, et sans eux, le royaume risquait de sombrer dans une incertitude dangereuse, avec des luttes pour la succession, des intrigues à la cour, des factions rivales qui ne tarderaient pas à émerger pour revendiquer le pouvoir.
Mukengwa savait qu'il n'était plus un jeune homme. Bien qu'il fût un roi respecté, sa vitalité était en déclin. Il avait déjà plus de sagesse que d'années devant lui, et la crainte que la maladie des princes pourrait signifier la fin d'une lignée royale bien-aimée le frappait de plein fouet.
Son esprit le tourmentait, scrutant l'horizon et cherchant des solutions, mais il ne trouvait que des questions sans réponse. Que deviendrait le royaume, ce havre qu'il avait construit avec tant de soin et d'amour, s'il n'y avait plus personne pour le gouverner après lui ?
Mwabana, silencieuse un instant, se sentit elle aussi prise par une vague d'émotions contradictoires. Elle savait que ce n'était pas juste le présent qui était en jeu, mais aussi l'avenir, celui de ses enfants, de leur héritage, de leur royaume. Mais elle savait aussi que le roi, même dans ses plus grandes angoisses, ne pouvait pas se laisser consumer par la peur.
Elle prit une profonde inspiration avant de répondre, sa voix calme mais empreinte de la force tranquille qu'elle avait toujours su offrir.
- Mukengwa, je comprends tes inquiétudes. Mais nos fils sont encore jeunes. Ils ont encore le temps d'apprendre, de grandir, de devenir les rois qu'ils doivent être. Nous avons encore de l'espoir, et il n'est pas trop tard pour que ce royaume continue à prospérer.
Elle marqua une pause, se penchant légèrement pour le regarder dans les yeux.
- Quant à ce que nous ferons si... si ce mal venait à les emporter, alors il faudra faire face, un jour ou l'autre. Mais je crois en nos ancêtres, et en la sagesse des dieux. Si cette épreuve est plus grande que ce que nous imaginons, peut-être que la solution viendra de là où nous ne l'attendons pas.
Mukengwa détourna les yeux, se perdant dans ses pensées. La reine avait raison, mais la simple idée de perdre ses enfants l'empêchait de trouver un quelconque réconfort. Il ressentait une profonde déchirure intérieure, comme si la part de lui qui était père, et non roi, se battait contre son devoir de souverain. La royauté, les responsabilités, les cérémonies... tout cela devenait presque secondaire face à cette question tragique et douloureuse : que deviendraient-ils, le royaume et lui, si les princes n'étaient plus là ?
Il tourna à nouveau son regard vers sa femme, une lueur de résignation et de désespoir perçant dans son regard.
- J'ai peur, Mwabana. Peur pour eux... peur pour ce que je vais laisser derrière moi. Nos fils sont encore jeunes. Ils ne connaissent pas encore toutes les responsabilités qu'impose le royaume. Et moi... moi, je suis fatigué. Chaque jour, je sens que la fin approche un peu plus. Qui régnera sur ce royaume quand je ne serai plus là ?
La reine, qui connaissait son mari mieux que quiconque, s'approcha et posa ses mains sur ses bras, le regardant avec une tendresse infinie.
- Mon amour, tu n'es pas seul dans cette lutte. Je serai toujours à tes côtés, et tes enfants, eux aussi, grandiront pour prendre la relève. Nous devons croire en eux, en leur force. Ne laisse pas la peur obscurcir ton esprit. Notre royaume a été construit avec sagesse et amour, et il continuera à prospérer tant qu'il sera gouverné par la vérité et la justice.
Mukengwa la regarda un instant, ses yeux se remplissant d'une douce chaleur. Malgré tout, la crainte ne le quittait pas. Mais en elle, il voyait une force tranquille qui lui apportait une certaine paix, comme si elle portait en elle l'espoir d'un avenir incertain mais pas encore perdu.
- Tu as raison, dit-il enfin, sa voix plus calme mais empreinte d'une profonde inquiétude. Mais je ne peux m'empêcher de me demander ce qu'il adviendra de tout cela, lorsque je ne serai plus là pour protéger ce royaume.
Mwabana caressa doucement le visage du roi, un geste empreint d'une douceur infinie. Elle savait que les épreuves étaient loin d'être terminées, mais elle croyait en la résilience du royaume, en la force de leur famille, et en l'avenir.
- Nous ne sommes pas seuls, Mukengwa. Nos ancêtres veillent sur nous, et l'amour que nous avons pour notre peuple et nos enfants est plus puissant que n'importe quelle peur.
Le roi, apaisé par ses paroles, se leva lentement. Il savait que les jours à venir seraient décisifs, mais il avait aussi compris que la peur ne ferait que le ralentir. Il fallait agir, pour ses fils, pour le royaume, pour l'avenir. Et dans cette nuit noire d'incertitude, un rayon d'espoir semblait se frayer un chemin vers lui.