Chapitre 2 Chapitre 2

Enroulant un châle de laine autour de mes épaules, je m'assois sur le lit. Les cordes du cadre gémissent, le matelas s'enfonce, et si je n'y étais pas habituée, je serais tombée au milieu dans une chute maladroite. Je retrouve mon équilibre et lance un regard sévère à ma sœur.

« Tu es repartie dans Whispering Wood. » Ce n'est pas une question. Je connais Brielle.

Son front se plisse légèrement. « Et si c'était le cas ? »

« C'était après le coucher du soleil ! » Les mots m'échappent, et je baisse précipitamment la voix. Il n'y a personne d'autre dans la maison pour entendre, seulement des ombres. Mais ce soir, les ombres semblent... à l'écoute. « As-tu seulement idée de combien c'est dangereux ? »

Brielle a la décence d'avoir l'air au moins un peu honteuse. Elle est attirée par le bois comme une créature sauvage, une chose indomptable que je ne pourrais jamais maîtriser. Si elle le pouvait, elle passerait ses journées à vagabonder dans ces ombres vertes, ramassant baies et champignons. Elle aurait probablement disparu dans la forêt depuis longtemps - volée par les Fae ou partie de son propre gré, peu importe - si ce n'était pour moi. Elle m'aime. Elle sait à quel point je serais anéantie si elle disparaissait.

Mais l'amour ne suffira pas à la retenir ici pour toujours. Un jour, je perdrai Brielle au bois.

« Rien ne s'est passé », grogne-t-elle. Sa voix est boudeuse mais tremble légèrement, preuve d'un certain remords.

Je soupire et secoue la tête. Puis, tapotant le lit à côté de moi, j'ouvre mon châle, invitant ma sœur à venir.

Brielle se balance sur le montant du lit, les lèvres pincées dans une moue.

« Je ne suis plus un bébé. »

C'est à mon tour de hausser les épaules. Mon bras reste tendu.

Avec un roulement d'yeux exagéré et un soupir, Brielle saute du pied du lit pour venir s'installer près de moi. J'enroule le châle autour d'elle alors que sa tête trouve naturellement ma poitrine. Ce n'est plus le petit paquet qu'elle était encore l'année dernière. Elle est maigre, oui, mais à onze ans, elle commence déjà à montrer les premiers signes de féminité. Bientôt, elle sera trop grande pour tenir sous mon bras.

Je ferme les yeux et presse ma joue contre le sommet de sa tête. De sept ans mon aînée, j'ai été une mère de substitution pour Brielle depuis qu'elle était bébé. Cela n'a jamais été facile et ce ne sera pas plus simple à mesure que les années passeront. Pour l'instant, je la serre contre moi et je tente de prétendre que je peux encore la protéger. Encore un peu.

« Pourquoi es-tu si tard ? » demande Brielle après un moment, son ton moins acerbe.

« Tu sais que je ne peux pas dormir tant que tu n'es pas rentrée saine et sauve. »

« Où est père ? »

« Il était parti avant même que je ne rentre de chez Maîtresse Peren. »

Brielle renifle.

« Il ne reviendra pas avant l'aube, j'en suis sûre. Tu crois que les Fae pourraient l'emporter une de ces nuits ? »

On ne peut qu'espérer. Mais il faut aussi donner l'exemple pour sa petite sœur capricieuse. Je mords ma langue et dépose un baiser sur la tête de Brielle. Quand elle me regarde avec un demi-sourire, me donnant une vue claire de son visage pincé, mon regard se fixe sur une tache brune sur sa joue. Elle a une forme légèrement en cœur, un peu plus grande que le reste de ses taches de rousseur, et elle est là depuis le matin de sa naissance. Je me souviens que Mère m'avait dit que c'était un baiser de fée, et que cela signifiait qu'elle était marquée pour de grandes choses.

Quand j'étais petite, je trouvais cette idée charmante, excitante même. Maintenant, en regardant cette tache, je ne peux m'empêcher de ressentir un frisson d'effroi.

« Il fait froid », dis-je. « Tu veux dormir ici ce soir ? »

« Sur ce vieux matelas pourri ? » Brielle s'écarte de mon étreinte et saute au sol. « Il va s'effondrer dans la nuit et nous étouffer toutes les deux ! Je préfère encore risquer de geler toute seule, merci. »

Encore un autre signe de l'indépendance grandissante de ma sœur. Je hoche tristement la tête. Depuis l'année dernière, elle a insisté pour occuper une des autres chambres vides de la maison Normas, chez Radvy, au lieu de partager la mienne. La combattre est inutile. J'ai depuis longtemps appris à choisir mes batailles avec Brielle.

« Bonne nuit alors », dis-je.

Brielle me lance un sourire rapide et saute vers la porte. Avant de l'ouvrir, elle s'arrête et scrute la pièce.

« Il y a une drôle d'odeur ici. »

Je fronce les sourcils. « C'est juste la bougie, je pense. »

« Non, ce n'est pas le suif, c'est... » Ses lèvres se pincent un moment, en pleine réflexion.

« Doux », dit-elle. « Et un peu épicé. Comme... je ne sais pas. Exotique. »

« Je ne sens rien. »

« Hmmm. » Elle hausse les épaules et lève les sourcils. « Tant pis. Fais de beaux rêves, Vali. »

« Dors bien, Brielle. »

Lorsque la porte se referme derrière elle, la pièce devient immobile, emplie d'ombres. Je serre plus fort mon châle autour de moi, ramène mes pieds sur le lit et laisse mon regard errer... Non. Je ne laisserai pas mon imagination prendre le dessus. On peut s'attirer de graves ennuis ainsi, surtout en vivant aussi près de Whispering Wood.

Je souffle la bougie, m'allonge et tire la couverture jusqu'à mon menton, fermant fermement les yeux. Demain arrivera trop tôt. Je devrai me lever avant l'aube pour préparer quelque chose pour le petit-déjeuner de Brielle, en essayant de ne pas réveiller Père, endormi quelque part dans la maison, là où l'a laissée sa stupeur ivre. Ensuite, j'irai chez Mistress Peren pour achever la nouvelle robe de Lady Leocan. Une journée comme aujourd'hui, comme la veille, comme l'avant-veille. Ainsi, la vie suit son rythme monotone à Inesca.

Je ferme les yeux plus fort pour retenir les larmes qui menacent de monter. J'ai abandonné les pleurs depuis longtemps. Seules les belles dames ont le temps de s'apitoyer sur leur sort. Je n'ai pas ce luxe. Je dois être forte. Pour ma sœur.

Je pousse un long soupir, un peu tremblant à la fin. Puis, dans le silence complet, je laisse la fatigue m'envahir et m'attirer vers le sommeil. L'air est froid sur mon visage.

Puis, soudainement, il devient chaud. Chaud comme une respiration.

            
            

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