Chapitre 5 05

Le duc de Monteloro la regarda silencieusement pendant un long moment, comme si ses mots avaient été pesés et mesurés. Il n'était pas un homme à perdre son temps avec des énigmes ou des hésitations. Il avait cette aura de calcul froid qui semblait exiger que chaque parole, chaque geste, ait un but précis. Enfin, après ce silence, il s'avança d'un pas, l'air pensif mais intrigué.

- Vous êtes audacieuse, mademoiselle, dit-il d'une voix grave, presque admirative. Vous avez le courage de jouer un jeu que vous ne comprenez même pas encore. C'est... rare.

Violetta soutint son regard sans fléchir. Elle n'était pas en position de se laisser intimider, même si la lueur dans les yeux du duc la perturbait. Ce qu'il disait n'était pas seulement un compliment, c'était un avertissement déguisé.

- Je ne suis pas ici pour plaire, dit-elle d'une voix calme. Ni à vous, ni à lui.

Le duc haussait légèrement un sourcil, un sourire à peine perceptible se dessinant sur ses lèvres.

- Non, vous n'êtes pas ici pour cela. Mais vous êtes ici parce que vous comprenez une chose que beaucoup d'autres ignorent : il n'y a pas de place pour l'indécision dans ce palais. Soit vous prenez le pouvoir, soit vous êtes écrasée par lui.

Il s'approcha encore un peu, jusqu'à ce que la distance entre eux devienne presque intime.

- Je ne pense pas que vous soyez encore prête à comprendre ce que cela implique. Les jeux de cour, les intrigues, la danse du pouvoir... C'est un univers où l'innocence n'a pas sa place. Vous allez devoir choisir de quel côté vous vous tenez. Mais je peux vous offrir une perspective. Une alliance. Un avertissement, si vous voulez.

Violetta le dévisagea, une légère irritation montant en elle. Cette manière de parler, comme s'il était le seul à détenir la vérité, la dérangeait profondément. Mais il avait raison sur un point : elle ne pouvait pas se permettre de naviguer dans l'ignorance. Elle avait déjà trop vu, trop ressenti, pour se laisser entraîner aveuglément. Elle devait comprendre les rouages de ce monde, aussi sombres et perfides soient-ils.

- Et quel genre d'alliance proposez-vous, duc ? demanda-t-elle, son ton tranchant.

Il sourit lentement, se redressant et reculant d'un pas, appréciant sans doute le changement dans son attitude.

- Une alliance discrète. Ce que vous ignorez, c'est que ce que vous appelez "jeu" ne se joue pas seulement avec des pions comme vous, mademoiselle d'Astiano. Il y a des forces en jeu que vous ne pouvez pas encore percevoir. Et si vous vous y engagez sans préparation, vous ferez partie du sacrifice. Mais si vous écoutez les bonnes voix, vous pourrez peut-être tirer votre épingle du jeu.

Il s'arrêta un instant, son regard devenant plus insistant.

- Vous avez vu Lorenzo de près. Vous avez vu ce qu'il peut faire. Mais il n'est qu'un joueur parmi tant d'autres. D'autres, plus discrets, plus dangereux, observent chaque mouvement, chaque parole.

Violetta le fixa sans répondre, un éclat d'intelligence brillant dans ses yeux. Elle comprenait la manœuvre. Ce qu'il lui offrait, c'était un fil d'Ariane dans ce dédale d'intrigues. Mais était-elle prête à l'accepter ? Était-elle prête à s'allier à un homme comme lui, à prendre ce risque de plus dans un monde déjà trop incertain ?

Elle serra les poings, un mélange de colère et de décision dans son cœur. Elle avait été entraînée dans ce jeu sans l'avoir choisi, mais elle n'allait pas se laisser dicter sa voie par les autres. Elle avait la force d'agir, de choisir ses alliés, même si cela signifiait plonger dans des eaux bien plus profondes et dangereuses.

- Si je devais accepter une alliance, duc, cela ne serait que sous mes conditions. Je ne suis pas ici pour être un instrument, et encore moins un pion dans vos jeux d'ombre.

Il ne répondit pas immédiatement. Au lieu de cela, il la regarda, presque amusé, comme si son obstination l'amusait.

- Très bien, mademoiselle, dit-il finalement. Vous avez du caractère. C'est ce qui vous permettra de survivre ici. Mais soyez prudente. Le pouvoir n'est pas une arme à prendre à la légère.

Il s'inclina légèrement, comme pour marquer la fin de leur conversation.

- Je vais vous laisser à vos réflexions. Mais sachez une chose : il est déjà trop tard pour revenir en arrière. Nous avons tous fait un choix. À vous de voir si vous l'assumez.

Il tourna les talons et disparut dans l'ombre du corridor, laissant Violetta seule, le poids de ses paroles résonnant dans son esprit.

Elle resta là, une fois de plus, face à ce choix qui se dressait devant elle. Le duc avait raison sur un point : tout avait déjà commencé, et elle ne pourrait plus échapper à ce monde de calculs et d'intrigues. Mais elle n'était pas une simple spectatrice. Pas cette fois. Elle avait décidé de jouer.

La question restait : jusqu'où serait-elle prête à aller pour gagner ce jeu ?

Violetta se tenait seule, ses pensées s'entrechoquant dans son esprit comme des vagues furieuses frappant des rochers. Elle savait que la route qu'elle avait choisie était semée d'embûches, que chaque pas pourrait la mener un peu plus près d'un abîme qu'elle ne comprenait pas encore. Mais une partie d'elle, une partie profonde et insoupçonnée, sentait la nécessité de jouer ce jeu. Si elle voulait survivre dans ce monde, elle devait en maîtriser les règles, aussi cruelles et impitoyables soient-elles.

Les mots du duc tournaient en boucle dans sa tête. "Le pouvoir n'est pas une arme à prendre à la légère." Il n'avait pas tort. Elle pouvait se défendre, mais pas sans comprendre les dynamiques complexes qui régissaient ce palais, ce royaume. Elle avait vu les premiers signes du danger en croisant le regard de Lorenzo et en observant les manœuvres des autres courtisans. Mais au fond d'elle, un feu ardent brûlait : elle ne se laisserait pas écraser. Elle avait plus à offrir que ce que ces hommes et ces femmes pensaient.

Elle se détourna de la porte et avança dans le corridor, décidée. Chaque pièce, chaque recoin de ce palais semblait lui crier que les apparences étaient trompeuses. Ce n'était pas juste un lieu de fête et de danse. C'était un terrain de guerre, où les alliances se formaient et se déformaient aussi rapidement que les rumeurs se propageaient.

Alors qu'elle marchait d'un pas rapide, elle croisa une servante, portant un plateau chargé de verres. La jeune femme la salua brièvement, mais Violetta ne s'arrêta pas. Elle ne voulait plus de cette distraction, de ce monde parallèle d'apparences et de sourires. Elle savait maintenant qu'elle devait se concentrer sur l'essentiel.

Elle tourna un coin et entra dans un salon plus discret, plus intime, loin du tumulte de la fête. Là, au fond, elle aperçut une silhouette qu'elle n'avait pas vue depuis un moment. C'était Andrea, qui semblait l'attendre, comme s'il savait qu'elle viendrait. Lorsqu'il la remarqua, il se redressa et lui adressa un sourire furtif.

- Vous avez fait votre choix, mademoiselle ? demanda-t-il, sans préambule, comme s'il attendait une réponse depuis longtemps.

Violetta le fixa, hésitante. Ses émotions étaient un mélange de colère, de confusion et de détermination. Andrea était peut-être son allié, ou peut-être une autre pièce du puzzle qu'elle devait comprendre avant qu'il ne soit trop tard.

- Vous avez raison, dit-elle après un long silence. Je ne peux plus reculer. J'ai vu assez pour savoir que ce monde ne me laissera pas choisir l'innocence. Je vais devoir me battre pour être celle qui dicte les règles, ou du moins, qui les comprend.

Andrea hocha la tête, un air presque approbateur traversant ses traits.

- C'est une décision sage, même si elle est lourde de conséquences. Mais vous n'êtes pas seule dans cette aventure, Violetta. Si vous choisissez de marcher dans cette direction, vous aurez besoin de savoir à qui faire confiance. D'autres, comme moi, vous regarderont et jugeront vos actions.

Elle s'arrêta un instant, prenant une profonde inspiration. Il y avait quelque chose dans sa voix, une nuance qu'elle n'arrivait pas à saisir. Elle savait qu'Andrea cachait des choses, des secrets qu'il ne lui avait pas encore dévoilés. Mais elle n'avait pas d'autre choix que d'accepter de marcher dans l'ombre de ces alliés douteux, d'espérer qu'ils la guideraient sans la trahir.

- Qu'est-ce que vous voulez dire exactement ? demanda-t-elle, son regard se durcissant.

Il s'avança d'un pas, ses yeux sombres se fixant sur elle avec une intensité palpable.

- Il y a des alliés que l'on choisit, et des alliés que l'on se voit attribuer, répondit-il d'une voix grave. Et je suis sûr que vous comprendrez bientôt que les choix ne sont jamais aussi simples. Vous allez devoir faire face à des révélations qui vous surprendront, Violetta. Ce que vous pensez savoir, ce que vous pensez comprendre, tout cela pourrait se révéler faux. Mais vous avez l'air d'aimer les défis.

Elle le dévisagea, son cœur battant plus fort à chaque mot. Que cachait-il ? Et surtout, pourquoi lui parlait-il de cette manière énigmatique ? Elle était au centre de ce jeu, mais les pièces semblaient se déplacer d'elles-mêmes, échappant à tout contrôle.

- Je ne veux pas être une simple spectatrice, répondit-elle enfin, une pointe de défi dans la voix. Si je dois être manipulée, alors autant manipuler moi-même le jeu.

Un léger sourire effleura les lèvres d'Andrea, mais il ne répondit pas tout de suite. Il s'approcha d'elle, posant une main sur son épaule avec une fermeté inattendue.

- Soyez prudente, Violetta, murmura-t-il. Le pouvoir a un prix. Et ce prix, il vous le faudra payer un jour.

Elle le regarda sans détourner les yeux, un léger frisson parcourant son échine. Il avait raison, elle le savait au fond d'elle. Mais elle n'avait plus le temps de reculer. La partie était lancée. Et elle comptait bien la jouer jusqu'au bout, quelles que soient les conséquences.

- Je suis prête, dit-elle simplement, ses lèvres se fermant sur une détermination silencieuse.

Andrea la laissa à ses pensées et se détourna. Avant de partir, il lui lança un dernier regard, un regard qui contenait autant d'avertissements que de promesses.

- Très bien, mademoiselle d'Astiano. Restez sur vos gardes. Et souvenez-vous : ce jeu n'a de place pour les faibles.

Lorsqu'il quitta la pièce, Violetta resta seule, plongée dans ses réflexions. La soirée était loin d'être terminée, et chaque instant qui passait semblait l'enfoncer davantage dans ce labyrinthe d'intrigues. Mais elle n'était plus la même. Elle n'était plus la jeune femme naïve d'autrefois, se perdant dans les rires et les danses. Elle était une actrice du jeu, prête à en assumer les conséquences.

Et le roi... Lorenzo. Elle ne savait pas encore où il se trouvait dans tout cela, ni ce qu'il attendait d'elle. Mais une chose était certaine : elle ne serait pas seulement une pièce sur son échiquier.

                         

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