Chapitre 4 04

Violetta resta là, son esprit tournant en rond comme un oiseau captif, battant des ailes contre des barreaux invisibles. Chaque mot, chaque geste de Lorenzo, semblait tisser autour d'elle un réseau de pièges subtils, des fils invisibles qu'elle ne pouvait éviter. Elle avait cru, au début, qu'elle pourrait sortir indemne de cette mascarade, qu'elle pourrait simplement jouer son rôle et s'éclipser sans conséquences. Mais plus elle restait dans cette salle, plus elle comprenait que le prix de cette illusion serait plus élevé qu'elle ne l'avait imaginé.

Elle s'éloigna du balcon, se frayant un chemin à travers la foule qui se mouvait lentement autour d'elle. Les robes et les costumes flottaient comme des spectres, leurs rires et leurs voix se fondaient dans une mer de banalités. Mais Violetta ne les entendait pas vraiment. Elle se sentait... déconnectée, comme une spectatrice de sa propre existence.

Un autre regard la frôla, un regard insistant qui la fit frissonner. Elle se tourna instinctivement, ses yeux cherchant l'origine de ce sentiment étrange, mais la foule se resserra autour d'elle et elle ne put le retrouver. Pourtant, une sensation persistante, presque palpable, restait accrochée à sa peau. Comme si quelque chose, ou quelqu'un, la suivait, la surveillait. Il y avait ce sentiment d'être observée, encore et encore.

Elle se dirigea vers une porte discrète, espérant trouver un peu de répit loin des éclats de cristal et des conversations feutrées. La salle du bal était vaste, mais cet espace de calme, tout à l'autre bout, lui semblait une oasis. Quand elle y pénétra, la fraîcheur de l'air lui coupa presque le souffle. Elle inspira profondément, fermant les yeux un instant pour se recentrer. Mais le moment de répit fut bref.

Un bruit de pas derrière elle la fit se retourner brusquement. Elle croisa à nouveau le regard de Lorenzo, là, dans l'ombre, comme s'il l'avait suivie dans cette pièce déserte. Il s'avança lentement, sans un mot, son regard accrochée à elle comme une force invisible.

- Vous n'avez pas encore compris, mademoiselle, dit-il, sa voix effleurant l'air comme une caresse menaçante.

Elle se redressa, son regard se durcissant.

- Je crois que j'ai compris, dit-elle, sa voix plus ferme qu'elle ne se sentait. Vous aimez jouer, mais vous oubliez que je ne suis qu'une pièce dans ce jeu que vous tissez. Vous me l'avez dit, vous m'avez choisie, mais je ne suis pas un pion. Et je ne vous appartiens pas.

Lorenzo la fixa un instant, une expression étrange traversant ses traits. Pas de colère, pas de réprimande. Juste une forme de... compréhension. Il s'arrêta à quelques pas d'elle, son regard perçant l'intensifiant encore.

- Vous n'êtes qu'un pion, Violetta. Vous le serez toujours. Mais vous êtes une pièce précieuse. Et parfois, c'est cette valeur qui vous fait avancer sur l'échiquier. Vous pouvez prétendre ne pas comprendre, mais vous jouez ce jeu bien mieux que vous ne le croyez.

Elle le défia du regard, refusant de fléchir sous l'intensité de son attention.

- Et si je refuse de jouer ?

Un sourire presque imperceptible se dessina sur ses lèvres, et il s'approcha encore un peu plus, jusqu'à ce qu'il ne reste plus qu'un mince espace entre eux.

- Vous pouvez refuser, mademoiselle. Mais alors, vous perdrez bien plus que vous ne l'imaginez. Ce jeu est inévitable, et il vous engloutira peu à peu, jusqu'à ce qu'il ne reste plus rien de vous.

Ses paroles flottaient dans l'air comme des menaces voilées, et Violetta sentit une pointe de peur la saisir, mais elle refusa de céder à cette émotion. Elle n'allait pas lui donner ce pouvoir. Pas encore. Elle tourna la tête, brisant le regard de Lorenzo, et s'éloigna d'un pas résolu, mais le poids de ses mots la suivait, lourd et implacable.

Elle se dirigea vers une autre porte, plus discrète cette fois. Elle devait sortir. Trouver un peu d'air. Mais alors qu'elle ouvrait la porte, une voix familière s'éleva derrière elle, la stoppant dans son élan.

- Violetta.

C'était Andrea, qui apparaissait soudainement, presque comme s'il sortait de l'ombre pour se dresser entre elle et l'échappatoire. Il la regarda avec un sourire amusé, mais ses yeux trahissaient une inquiétude qui ne lui échappa pas.

- Vous n'allez pas fuir encore, n'est-ce pas ?

Elle le dévisagea, hésitante.

- Il n'y a pas de fuite, Andrea. Vous l'avez dit vous-même : je suis déjà dans son jeu.

- Et vous croyez que fuir changera cela ?

Elle le fixa, les bras croisés, son esprit en tourmente.

- Peut-être que je vais découvrir comment jouer à mon tour.

Andrea la regarda longuement, une expression difficile à déchiffrer traversant son visage. Il s'avança lentement, comme pour lui offrir un peu de réconfort, mais aussi pour s'assurer qu'elle ne se laissait pas emporter par l'illusion de la liberté qu'elle semblait encore entretenir. Il connaissait mieux que quiconque les dangers de ce palais, les fils invisibles qui reliaient chaque acteur à un autre, et il savait que Violetta ne pourrait pas échapper à l'énigme qu'elle était en train de devenir.

- Vous pensez pouvoir manipuler le jeu, mademoiselle d'Astiano ? demanda-t-il, un sourire presque cynique jouant sur ses lèvres. Vous croyez que vous avez encore le contrôle ?

Violetta croisa les bras plus fermement, sentant un défi naître en elle à l'idée même de se soumettre à cette vision de l'impuissance qu'il semblait lui attribuer.

- Je ne sais pas si je vais manipuler le jeu, répondit-elle d'une voix calme, mais déterminée. Mais j'ai l'intention de jouer avec ses règles. Du moins, tant que cela m'arrange.

Andrea s'arrêta devant elle, ses yeux scrutant les siens, comme cherchant à percer les pensées qui s'y cachaient.

- Vous vous trompez, Violetta, dit-il d'une voix plus grave. Ce jeu... ce n'est pas vous qui le contrôlez. Ce n'est pas même le roi qui le contrôle totalement. Vous ne savez pas encore ce que vous êtes en train de déclencher. Vous entrez dans un territoire où chaque mouvement a son prix.

Elle le regarda, prête à répliquer, mais il l'interrompit d'un geste.

- Mais cela ne veut pas dire que vous êtes impuissante. Cela veut juste dire que vous n'avez pas encore vu l'ampleur du jeu. Vous vous croyez libre, mais ce que vous ressentez, ce que vous appelez liberté, ce n'est qu'une illusion. Vous êtes prise dans un piège beaucoup plus grand que ce que vous imaginez.

Ses paroles résonnèrent en elle, et malgré sa volonté de les ignorer, un malaise grandissant se forma dans son estomac. Il y avait un fond de vérité dans ce qu'il disait. Elle pouvait sentir les fils invisibles autour d'elle, le poids de son ignorance, mais aussi la promesse de quelque chose de plus grand. Quelque chose qu'elle pourrait contrôler, ou du moins manipuler à son avantage.

Elle secoua la tête, chassant ces pensées. Elle ne pouvait pas se laisser submerger maintenant. Pas après tout ce qu'elle avait traversé pour en arriver là.

- Alors, qu'est-ce que vous attendez de moi ? demanda-t-elle, un défi palpable dans sa voix. Vous êtes là, en train de me dire que je suis un pion, une marionnette... Mais vous n'avez toujours pas expliqué ce que vous attendez de moi.

Andrea la regarda un instant, ses yeux scintillant d'une lueur étrange. Puis il s'avança d'un pas, abaissant un peu la voix, comme s'il se préparait à révéler un secret.

- Ce n'est pas moi qui vous manipule, Violetta. Ce n'est pas moi qui vous ai mise dans cette position. Le roi a son propre plan. Il a ses raisons d'agir ainsi. Il a vu quelque chose en vous, quelque chose que vous ne comprenez pas encore.

Violetta se raidit. Le nom de Lorenzo, encore une fois, flottait dans l'air entre eux, comme une menace sous-jacente.

- Et vous croyez qu'il me veut ? Que je suis une pièce qui l'intéresse vraiment ? Je suis une inconnue, un oiseau fragile dans cette cage dorée.

Andrea soupira, une légère frustration traversant son visage.

- Vous ne comprenez toujours pas, Violetta. Ce n'est pas vous en tant que personne qu'il veut. Il veut ce que vous pouvez devenir. Vous êtes une inconnue, mais vous êtes aussi une possibilité. Il vous a vue. Et ça, c'est bien plus dangereux que vous ne l'imaginez.

Il laissa ses mots s'accrocher dans l'air avant de se détourner, se dirigeant vers la porte.

- Et ne vous trompez pas, mademoiselle. Ce que vous choisissez de faire de ce pouvoir que vous avez maintenant, cela changera tout. Mais sachez une chose : personne, ici, n'échappe au roi. Pas même ceux qui croient pouvoir jouer avec lui.

Violetta le regarda s'éloigner, son esprit toujours en ébullition. Chaque parole d'Andrea la heurtait comme un coup de poing. Elle savait que tout était plus complexe qu'elle ne l'avait imaginé. Lorenzo... Le roi... Il n'était pas qu'un souverain. Il était un calcul, une force de la nature que personne ne pouvait totalement comprendre.

Et elle, elle était là, au cœur de ce calcul, un élément en mouvement dont elle ne savait encore quelle forme il prendrait. Mais une chose était certaine : elle ne serait plus la spectatrice passive de ce jeu. Elle allait comprendre les règles, les manipuler. Peu importe à quel prix.

Elle se tourna alors, prête à affronter ce monde qui semblait se refermer sur elle. Mais une autre voix, plus douce mais tout aussi pénétrante, l'arrêta dans son élan.

- Vous avez pris votre décision, mademoiselle d'Astiano ?

Violetta se figea, reconnaissant immédiatement la voix du duc de Monteloro, un des plus puissants alliés de Lorenzo. Il se tenait là, dans l'ombre, une lueur d'intérêt dans ses yeux sombres.

- Vous savez déjà ce que je vais faire, dit-elle, sans détourner le regard. Je vais jouer.

            
            

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