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Il se tenait là, toujours aussi impassible, son regard perçant comme une lame effilée. Violetta, pourtant habituée à des regards durs et scrutateurs, avait l'impression que chaque parcelle de son être était disséquée par cette simple présence. Un frisson la parcourut alors qu'il se penchait légèrement, comme pour la sonder davantage.
- Pourquoi m'avoir fait venir ici ? murmura-t-elle, bien plus calme qu'elle ne se sentait. Vous n'avez rien à attendre de moi.
Il ne répondit pas tout de suite. Il la regarda, une étincelle d'amusement dans ses yeux sombres. Puis, doucement, il s'avança encore un peu, réduisant l'espace déjà trop mince entre eux.
- Peut-être que j'ai tout à attendre de vous, mademoiselle d'Astiano, dit-il enfin, sa voix toujours aussi basse, mais chargée de sous-entendus. Vous voyez, dans ce palais, tout le monde joue un rôle. Tout le monde attend quelque chose de l'autre. Et vous... Vous ne comprenez pas encore ce rôle que vous avez accepté de jouer.
Elle secoua la tête, une pointe de défi dans la voix.
- Je n'ai accepté aucun rôle. Je suis ici à cause d'une erreur de quelqu'un d'autre. Je ne suis qu'une spectatrice.
Le roi s'arrêta, la regardant un instant, comme si il analysait ses mots. Puis un léger sourire se dessina sur ses lèvres, comme s'il venait de découvrir une facette inattendue de son interlocutrice.
- Vous n'êtes pas une spectatrice, mademoiselle. Vous êtes... un pion qui s'ignore encore. Croyez-moi, cela peut être amusant. Mais ce n'est pas ce que vous croyez.
Elle recula instinctivement, sentant la tension grandir entre eux. Un sentiment étrange montait en elle, un mélange de colère et de confusion. Il lui parlait comme si tout était déjà décidé. Comme si son rôle dans cette danse de cour était déjà tracé.
- Je ne suis pas une "pièce" à déplacer, murmura-t-elle, presque pour elle-même. Pas sur votre échiquier.
Il s'avança d'un pas, ses yeux brillants d'un intérêt glacé.
- Et pourtant, vous êtes ici, avec moi, au centre de tout cela. Vous êtes dans mon jeu, même si vous le refusez. Vous avez attiré mon attention, Violetta. Ce n'est pas la duchesse qui a orchestré votre venue ici. C'est vous. Vos réactions, votre audace. Vous n'avez pas joué le rôle qu'on vous demandait, et c'est cela qui m'a intrigué.
Elle sentit un poids se poser sur ses épaules, comme une lourde cape invisible. Ses pensées s'embrouillaient. Il était le roi. Tout dans cette salle, dans ce palais, gravité autour de lui. Elle était un grain de poussière pris dans son sillage. Et pourtant...
- Vous ne comprenez pas, dit-il, d'un ton plus sombre, plus sérieux. Ici, vous êtes plus qu'une simple invitée. Si vous me défiez, cela aura des conséquences. Pas seulement pour vous, mais pour tout ce qui vous entoure.
Les mots avaient un poids. Elle les sentit en elle, envahissant son esprit comme un poison lent.
Elle s'éloigna de quelques pas, le regard fuyant, les mains tremblantes. Un instant, elle crut que l'air devenait plus dense, qu'elle étouffait. Ce n'était pas la noblesse ni les rumeurs qui la troublaient. C'était ce roi devant elle. Ce roi, qui savait exactement comment manipuler les fils invisibles des vies des autres, comme s'il était le marionnettiste. Et elle était là, prise dans son jeu, sans même savoir les règles.
- Et que voulez-vous de moi, alors ? demanda-t-elle, sa voix plus basse maintenant, presque un défi. Si je suis un pion, quelle est la prochaine étape ?
Lorenzo s'avança, lentement, comme un prédateur qui approche sa proie. Mais il n'avait pas l'air menaçant, juste... inévitable.
- Tout dépend de vous, mademoiselle d'Astiano, dit-il en la regardant fixement. Je n'exige rien. Je vous observe. Et si vous me surprenez, si vous êtes plus qu'une simple distraction pour moi... alors, peut-être que ce jeu deviendra bien plus intéressant.
Il s'éloigna alors, sans un autre mot, s'effaçant dans la lumière tamisée du bal. Mais ses derniers mots résonnaient encore dans la tête de Violetta.
Elle avait l'impression d'être face à un abîme, un précipice sans fond, et qu'elle n'avait d'autre choix que de le regarder.
Elle resta là, figée, ses pensées en tumulte. Le roi s'était éloigné, mais son regard, lourd de promesses et de menaces, la suivait, invisible mais omniprésent. La salle, bien qu'éloignée de quelques mètres, semblait soudainement un océan bruyant où elle se noyait dans les murmures et les regards discrets des invités.
Elle prit une profonde inspiration, essayant de retrouver son calme. Tout autour d'elle, les conversations reprenaient, comme si rien ne s'était passé, comme si elle n'avait pas été l'objet d'une attention bien plus dangereuse que tout ce qu'elle aurait pu imaginer en venant ici. Le poids des robes, la chaleur de l'atmosphère, tout semblait devenu trop lourd, trop claustrophobique. Ses mains tremblaient à peine, mais ses jambes commençaient à protester.
Elle se détourna, son cœur encore battant fort contre ses côtes, et chercha la sortie. L'idée de fuir, ne serait-ce que pour un instant, la possédait. Elle voulait simplement disparaître, sortir de cette cage dorée où chaque mouvement était observé, où chaque mot prononcé semblait avoir une signification plus profonde, plus dangereuse.
Mais à peine eut-elle fait quelques pas qu'une silhouette se glissa dans son champ de vision. Elle se figea.
Lorenzo.
Il se tenait à une distance calculée, juste assez loin pour ne pas être intrusif, mais assez proche pour que son ombre recouvre presque la sienne. Il observait toujours, sans paraître pressé. Comme un prédateur patient.
- Vous essayez de fuir, mademoiselle d'Astiano ? demanda-t-il, sa voix suave mais tranchante.
Elle se retourna lentement, les poings serrés, son regard se durcissant.
- Je n'essaye pas de fuir, je cherche simplement à respirer. Ce lieu me fait suffoquer.
Il sourit alors, un sourire calme mais presque trop calculé.
- Vous avez été une distraction, une petite tempête dans cette mer tranquille. Mais je pense que vous aimez l'illusion de la liberté, n'est-ce pas ? Vous aimez croire que vous pouvez échapper à tout, même à moi.
Elle le regarda sans ciller, refusant de laisser voir la moindre faille dans sa façade.
- L'illusion de la liberté est la seule que j'ai jamais eue. Vous avez déjà tout, tout ce que vous voulez. Je ne suis qu'une ombre pour vous, n'est-ce pas ? Quelque chose d'intéressant à observer, mais qui n'a pas de véritable importance.
Il la regarda longuement, comme s'il cherchait à comprendre si elle disait cela par défi ou par vérité.
- Vous êtes plus que cela, mademoiselle. Plus qu'une simple ombre.
Il s'approcha d'un pas, son regard se faisant plus pénétrant. Il n'était plus qu'à quelques centimètres d'elle, et cette proximité la déstabilisa encore plus. Il avait cette manière de rendre tout ce qu'il disait ou faisait aussi dangereux que fascinant.
- Vous ne le voyez pas, mais vous avez déjà attiré l'attention de bien plus que moi, dit-il doucement. Et lorsque le roi se penche sur un sujet, il ne le laisse pas partir aussi facilement.
Elle sentit un frisson courir le long de sa colonne vertébrale, mais refusa de flancher.
- Alors, qu'attendez-vous de moi ? Vous voulez que je me plie à vos règles ? Que je sois l'ombre parfaite dans votre jeu de pouvoir ? Que je me conforme à la mascarade de ce palais ?
Il la dévisagea un instant, et une lueur d'amusement passa dans ses yeux sombres.
- Je n'attends rien, Violetta. Pas encore. Mais vous, vous attendez quelque chose. Vous êtes là, dans ce monde étrange, avec ses promesses et ses pièges, et vous n'avez pas la moindre idée de ce que vous allez faire avec cela.
Elle le défia du regard.
- Vous avez raison sur un point, je n'ai aucune idée de ce que je suis censée faire ici. Mais je suis ici, et c'est tout ce que vous devez savoir.
Lorenzo se redressa, un sourire plus doux cette fois, comme s'il trouvait finalement la réponse qu'il cherchait chez elle.
- Très bien, mademoiselle. Continuez donc de chercher. Peut-être que vous trouverez plus que ce que vous pensiez.
Il s'éloigna, la laissant seule dans un coin à l'écart, mais quelque chose en elle, quelque chose de plus profond que sa simple volonté, savait que ce n'était que le début d'un jeu bien plus complexe.
Un jeu dans lequel elle n'avait pas encore compris les règles, mais pour lequel elle savait qu'elle ne pourrait plus revenir en arrière.