Chapitre 2 02

Elena ne réagit pas immédiatement. Elle se contenta de fixer l'obscurité qui avalait les derniers reflets du crépuscule derrière les montagnes. Un murmure de vent glissa entre les maisons, soulevant une poussière fine qui dansa brièvement avant de retomber dans un silence pesant.

Le vieil homme recula d'un pas, comme si sa simple présence à ses côtés le mettait en danger. Son regard fuyant, hanté par quelque chose qu'il ne voulait pas nommer, en disait long.

- Ne restez pas ici, insista-t-il dans un souffle. Partez avant qu'il ne soit trop tard.

Elena laissa échapper un sourire sans chaleur. Ces mises en garde, elle les avait entendues des dizaines de fois. Elles n'étaient jamais qu'un prélude à la traque.

- Trop tard pour qui ? Pour moi... ou pour eux ?

Elle ne lui laissa pas le temps de répondre et s'éloigna, franchissant la porte grinçante de l'auberge. L'intérieur était aussi morne que l'extérieur : un comptoir en bois sombre, quelques tables bancales et une cheminée dont les braises mourantes diffusaient une chaleur insuffisante pour chasser l'humidité.

Quelques villageois étaient là, rassemblés en petits groupes silencieux. Leurs conversations s'étaient éteintes dès son entrée. Ils la regardaient, certains avec méfiance, d'autres avec cette résignation propre à ceux qui savent que le malheur est inévitable.

Elle s'approcha du comptoir où se tenait une femme d'âge mûr, aux traits tirés par l'inquiétude.

- Une chambre.

La femme ne posa aucune question. Elle se contenta de hocher la tête, tendant une clé avant de retourner à sa tâche, comme si prolonger l'échange aurait pu attirer un malheur supplémentaire sur sa tête.

Elena prit la clé et gravit l'escalier en bois qui craqua sous son poids. La chambre était simple : un lit étroit, une commode vieillie par le temps et une fenêtre donnant sur la lisière de la forêt.

Elle s'approcha et l'ouvrit, laissant l'air glacé s'engouffrer dans la pièce.

La nuit était tombée.

Et dans l'obscurité des bois, quelque chose la regardait.

Elle ne pouvait pas le voir, mais elle le sentait. Une présence, tapie dans l'ombre, qui l'observait avec une patience inhumaine.

Elle referma lentement la fenêtre, mais son cœur, lui, battait déjà au rythme de la chasse à venir.

Ils savaient qu'elle était là.

Et ils attendaient.

La nuit s'étira, oppressante, comme une bête prête à frapper. Elena se laissa tomber sur le lit, son esprit tourné vers tout ce qu'elle avait appris, tout ce qu'elle savait déjà. Les loups-garous n'étaient pas simplement des créatures de chair et de sang. Ils étaient des prédateurs, des forces primitives qui dévoraient tout sur leur passage, mais aussi des êtres régi par des règles anciennes. Une hiérarchie. Des codes. Des rituels. Des rites qu'elle n'avait jamais pris le temps de comprendre, tant sa quête de vengeance l'avait consumée.

Elle ferma les yeux un instant, se laissant aller à la fatigue. Les images de sa famille massacrée par les vampires, les visages des innocents qu'elle avait dû sacrifier pour se venger, tout cela se mélangeait dans un tourbillon de douleur et de rage. La haine était tout ce qui la maintenait en vie. Elle n'était plus qu'un instrument de destruction, une arme forgée dans l'acier et la vengeance.

Mais il y avait quelque chose dans cette nuit, quelque chose d'inexplicable, qui la rongeait. Une sensation qu'elle n'arrivait pas à définir. Elle se redressa brusquement, balayant la pièce de son regard perçant. L'ombre dans les coins semblait s'étirer, se tordre comme si elle cherchait à se libérer de ses propres chaînes.

Elena se leva, prête à affronter ce qu'elle ne comprenait pas. Mais avant même qu'elle ne pose le pied sur le sol, un coup sec à la porte la fit sursauter.

- Qui est là ? demanda-t-elle, sa voix tranchante, prête à exploser.

Silence.

Elle attendit, ses sens aiguisés, mais rien ne vint. Aucun bruit.

Un autre coup, plus doux cette fois, se fit entendre.

Elena s'approcha lentement, le cœur battant plus fort. Elle savait que ce n'était pas un simple villageois qui se trouvait derrière la porte.

Elle prit une profonde inspiration et ouvrit la porte d'un coup sec.

Le vieil homme, celui qu'elle avait croisé plus tôt dans la rue, se tenait là, le regard fuyant.

- Il faut partir, maintenant.

Elle le fixa sans bouger.

- Pourquoi ?

- Parce que ce n'est pas un hasard, tout ça. Vous êtes tombée dans un piège.

Il semblait perdu, effrayé, mais aussi déterminé à la convaincre.

- Qu'est-ce que vous voulez dire ?

Le vieil homme jeta un regard nerveux derrière lui, comme s'il s'attendait à être suivi, avant de se pencher en avant.

- Ils savent que vous êtes là... Vous avez tué des leurs, n'est-ce pas ? Des lycans. Ce n'est pas que des rumeurs. Ils viennent pour vous. Pour vous tuer.

Un frisson parcourut l'échine d'Elena, mais elle ne se laissa pas déconcerter.

- Je suis une chasseuse, vous l'avez bien vu. Si eux viennent, je serai prête.

Le vieil homme se passa une main tremblante sur le visage, comme s'il était sur le point de tout révéler.

- Ce n'est pas si simple. Vous croyez que vous êtes seule à les traquer. Mais vous n'êtes pas la seule chasseuse. Il y en a d'autres. Des plus puissants que vous. Et ce ne sont pas des loups-garous ordinaires que vous avez affrontés... C'est leur alpha. Darius Vinter. Celui qui dirige tout. Celui qui peut faire en sorte que vous ne sortiez pas de ce village en vie.

Le nom de Darius Vinter fit écho dans son esprit, comme un éclair frappant le sol. Elle l'avait entendu, certes, dans les rumeurs, mais jamais elle n'avait imaginé qu'il se trouvait ici, dans cet endroit perdu.

Elle se redressa brusquement, écartant le vieil homme d'un geste impitoyable.

- Je n'ai pas peur de lui.

Mais le vieil homme la saisit fermement par le bras, ses doigts crochus serrant sa peau, presque désespérés.

- Ce n'est pas de la peur, c'est de la prudence. Vous n'avez aucune idée de ce dont il est capable. Vous ne comprenez pas...

Elena lui jeta un regard glacial.

- Je comprends assez pour savoir qu'il est trop tard pour me retirer.

Elle tourna les talons, décidée. Elle se dirigea vers le bas de l'escalier, où le silence de la taverne laissait entrevoir les premiers signes de l'inévitable. Ses sens étaient en alerte, chaque muscle tendu à l'extrême. Quelque chose approchait. Elle le sentait.

Les loups étaient là. Et ce n'était pas le vieil homme qui allait l'arrêter.

Elle était prête.

Le bruit de ses pas résonnait dans l'auberge vide, amplifié par le silence inquiétant qui s'y était installé. Elena s'arrêta un instant dans l'entrée, son regard se posant sur les fenêtres obscurcies par la nuit tombée. L'air dehors avait changé, devenant plus lourd, plus dense. Chaque souffle semblait emporté par un vent surnaturel, une brise invisible qui soufflait à l'intérieur de ses veines.

Elle ne prit même pas la peine de fermer la porte derrière elle. Ses yeux, tels des loups, scrutaient l'obscurité. La brume s'étendait déjà à l'horizon, serpentant entre les arbres, couvrant le village d'un voile opaque. Elle s'engagea dans la rue déserte, chaque sens en alerte, la peur des inconnus se mêlant à une rage prête à exploser.

Ce n'était pas une simple traque. Elle le savait désormais. Cette nuit allait être différente de toutes les autres.

Là, dans l'ombre des arbres, une silhouette s'ébaucha. Au début, ce ne fut qu'un mouvement, imperceptible, entre les troncs sombres. Mais peu à peu, l'image se précisa. Un homme grand, à la posture droite, indomptable. Darius Vinter. Elle ne l'avait jamais vu de ses propres yeux, mais elle reconnaissait les signes de son pouvoir dans la façon dont il dégageait une aura presque palpable. Il n'avait pas besoin de parler pour imposer sa présence. C'était un homme qui incarnait la menace, un prédateur dans sa forme la plus pure.

Il s'avança lentement, ses yeux fixés sur elle comme deux lames tranchantes.

- Elena Krovac, murmura-t-il, sa voix grave résonnant dans l'air froid.

Elle ne répondit pas immédiatement, le défi dans ses yeux suffisant à répondre à son appel. Il n'était qu'un autre loup, et elle était prête à le chasser comme les autres.

Darius s'arrêta à quelques pas d'elle, ses yeux ne quittant pas les siens.

- Tu t'es faite une idée bien précise de ce que tu es venue chercher, mais ce n'est pas ce que tu vas trouver ici.

Un sourire glacial se dessina sur les lèvres d'Elena.

- Je trouve ce que je veux, peu importe où ça me mène.

- Ce n'est pas une question de volonté, répondit-il. C'est une question de réalité. Les chasseurs finissent toujours par se retrouver face à leur propre nature.

Elle n'eut pas le temps de réagir. Darius se déplaça avec une rapidité qu'elle n'avait pas anticipée, aussi fluide et féroce qu'un prédateur en chasse. Il était sur elle avant même qu'elle ait pu dégainer son couteau.

Un cri perça la nuit, mais ce n'était pas celui de la jeune chasseuse. C'était un bruit sourd, étouffé, qui venait de la forêt. Le vent souffla plus fort, emportant la brume, et révélant les autres.

Ils étaient là. Une meute de lycans. Leur présence, lourde et menaçante, remplissait l'air d'une tension palpable. Il n'y avait pas de retour en arrière. Elena était piégée.

Elle se redressa, l'adrénaline bondissant dans ses veines. Chaque fibre de son être était prête à exploser dans un fracas de violence. Mais Darius, toujours aussi calme, la fixa, l'empêchant de bouger d'un simple mouvement de la main.

- Tu n'as aucune idée de ce qui t'attend, murmura-t-il. Ce n'est pas juste une question de chasse. C'est un test. Un choix que tu vas devoir faire.

Il fit un pas en arrière, comme s'il lui permettait de respirer. Les autres lycans restèrent dans l'ombre, leurs yeux brillants observant chaque mouvement d'Elena. Ils étaient prêts à en découdre, et elle le savait.

Mais quelque chose dans les paroles de Darius la perturba. Un choix ? Un test ? Quel genre de jeu était-il en train de jouer avec elle ? Elle qui avait toujours été en contrôle de chaque situation, qui avait chassé avec une précision implacable, se sentait soudainement vulnérable, comme une proie.

- Je n'ai rien à prouver, déclara-t-elle d'une voix calme, presque détachée. Si vous voulez me tuer, alors faites-le.

Darius la fixa, un éclat étrange dans les yeux. Ce n'était pas de la colère, ni de la frustration. C'était... un défi.

- Tu n'as pas compris. Ce n'est pas toi qui choisis qui vit ou meurt ici. C'est le clan. Et tu es ici pour une raison plus grande que ta propre vengeance.

Les mots d'Elena se bloquèrent dans sa gorge. Quelque chose dans la manière dont il parlait semblait l'atteindre. Mais avant qu'elle ne puisse réagir, un rugissement fit vibrer l'air autour d'eux.

Darius leva les yeux, son regard se durcissant.

- Ils arrivent. Vous avez réveillé bien plus que des lycans, Elena.

            
            

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