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La pluie tambourinait contre le toit de chaume alors que Sienna s'agenouillait dans l'ombre de la petite cabane, ses doigts effleurant les racines fraîches qu'elle venait de récolter. L'odeur terreuse des plantes médicinales, combinée à l'humidité de l'air, pénétrait ses narines avec une familiarité qui la calmait. Elle savait que la pluie allait durer encore des heures, et cela la forçait à ralentir. Elle n'avait jamais appris à vivre comme les autres, à dépendre de ce que la société pouvait lui offrir.
La solitude, la discrétion, c'étaient là ses seules compagnes, et elles l'avaient toujours été. En dehors de ces murs, au-delà des bois, il y avait des villages, des meutes, des regards curieux, inquisiteurs. Mais ici, dans cet endroit reculé, tout était différent.
Le temps semblait se suspendre dès qu'elle franchissait les limites de la forêt. La nature, avec ses bruits de créatures nocturnes et son murmure ininterrompu, était son seul monde. Loin des regards accusateurs, loin des murmures qui disaient qu'elle était maudite, que sa naissance portait malheur, que son existence était une malédiction pour tous ceux qui s'en approchaient. Ces rumeurs étaient loin, mais leur écho lui revenait parfois, même ici.
Le vent souffla, et les feuilles se mirent à frémir autour de la cabane. Sienna se redressa, laissant derrière elle la préparation des herbes. Son regard se porta sur la silhouette qui se découpait dans la brume. C'était une silhouette humaine, mais aussi plus que cela. Son corps semblait être une part de la forêt elle-même, ancrée profondément dans la terre, mais capable de se mouvoir avec une agilité surnaturelle. Son cœur, battant au rythme des vieux secrets, lui confirma que l'étranger n'était pas une simple personne, mais une créature qui connaissait la forêt aussi bien qu'elle.
Elle se glissa silencieusement vers la porte, prenant soin de ne pas faire de bruit. Le visiteur s'approchait. Il ne l'avait pas encore remarquée, mais Sienna savait qu'elle n'échapperait pas à son regard affûté bien longtemps. Elle s'éloigna doucement, se fondant dans l'ombre, sa respiration à peine audible.
Elle n'avait pas voulu être ici, mais le destin semblait l'avoir mise sur un chemin sans retour. Fuir les meutes, fuir les villages, éviter tout contact avec ceux qui auraient pu lui offrir une place parmi eux. Mais à quel prix ? La douleur de la solitude s'infiltrait dans ses os chaque jour un peu plus. Si seulement elle pouvait se rappeler du passé, si seulement elle pouvait retrouver ceux qui avaient un jour été ses proches, sa meute. Mais ces souvenirs étaient flous, effacés par des années de silence et de fuite.
La silhouette s'arrêta à quelques pas de la cabane, comme si elle savait que quelqu'un se trouvait à l'intérieur. Le cœur de Sienna s'accéléra. Elle savait que l'heure de la confrontation était proche. Elle pouvait sentir la tension dans l'air, cette énergie étrange qui se dégageait de l'étranger. Il n'était pas humain, elle le savait. Pas entièrement. Il n'y avait qu'une poignée de créatures capables de percevoir son existence à distance. L'odeur du loup imprégnait l'air autour de lui, mais elle était différente. C'était un loup porté par une malédiction, une bête déchue. Elle se tenait là, figée dans l'obscurité, attendant qu'il fasse le premier mouvement.
Il y eut un instant de silence, puis la porte s'ouvrit avec un grincement léger. L'étranger entra, ses pas lourds, chargés d'une présence qui occupait tout l'espace. Sienna recula encore d'un pas, ses yeux cherchant une issue, une échappatoire. Mais il n'y en avait pas. Pas cette fois.
« Je sais que tu es là, » dit la voix grave de l'étranger. Elle se fit plus nette, plus présente, comme une onde qui traversait l'air. « Je suis venu pour toi. »
Sienna ne répondit pas immédiatement. Elle se tenait dans l'ombre, ses doigts serrant les bords d'une vieille couverture. Elle voulait savoir qui il était, pourquoi il l'avait suivie, mais il y avait trop de questions qui tournaient dans sa tête. Pourquoi maintenant ? Pourquoi après tant d'années de silence ? Elle n'avait pas cherché de lien avec le monde extérieur. Elle avait appris à survivre seule.
« Je ne veux rien de toi, » dit-elle finalement, sa voix aussi calme que possible. Elle ne le regardait toujours pas, mais il était là, tout près. « Tu n'es pas le bienvenu ici. »
L'homme sourit, un sourire qui ne parvint pas à atteindre ses yeux. « Tu n'as pas le choix. Je suis celui que tu redoutes, celui que tu as cherché à fuir, mais je suis aussi celui qui peut te libérer. »
Ces mots frappèrent Sienna comme une décharge. Elle fit un pas en arrière, surprise, mais aussi émue par une angoisse ancienne qu'elle croyait avoir oubliée. Le loup, ce loup qu'elle avait en elle, ce pouvoir qu'elle n'avait jamais maîtrisé, se réveillait en elle. Ce loup, qui était lié à l'homme devant elle.
« Je suis le seul à pouvoir briser la malédiction qui te lie à ce monde, » dit-il en s'approchant encore d'un pas. « Je suis Adrian. Et toi, tu es la clé. »
Les mots d'Adrian résonnèrent dans son esprit comme une révélation et un avertissement. Sienna se redressa, prête à fuir, mais elle savait que l'évasion n'était plus possible. Il la savait. Il connaissait son nom, son histoire. Et il savait ce qu'elle était devenue. Elle n'avait pas été prête à cela, pas prête à faire face à la vérité qui se tenait maintenant devant elle.
Elle se tourna finalement vers lui, ses yeux perçant l'obscurité. « Pourquoi moi ? » demanda-t-elle. « Pourquoi maintenant ? »
« Parce que tu es la seule capable de m'aider, » répondit-il, sa voix calme mais chargée de la souffrance qu'il portait. « Tu es liée à moi, Sienna. Sans toi, je ne pourrai pas me libérer de ce que je suis devenu. Nous sommes faits pour nous croiser. »
Sienna sentit une bouffée de colère monter en elle, une résistance instinctive qui lui disait de fuir, de se battre. Mais une autre partie d'elle, celle qui était fatiguée de la solitude, celle qui savait au fond d'elle qu'elle n'avait jamais vraiment échappé à son passé, ne pouvait pas ignorer les mots qu'il venait de prononcer.
Elle baissa les yeux, son esprit tournant à toute vitesse. La malédiction. Il parlait de la même malédiction qui avait frappé sa propre naissance, de la même malédiction qu'elle avait vécue toute sa vie. Adrian était celui qu'elle avait cherché à fuir, mais peut-être était-ce aussi celui qu'elle devait affronter.
« Alors, que veux-tu ? » demanda-t-elle, son regard fixé sur lui, prête à entendre la vérité qu'elle n'avait jamais osé affronter.
Les jours qui suivirent la rencontre avec Adrian furent marqués par une étrange sensation qui s'éveillait en elle à chaque instant. Ce n'était pas la peur, ni la méfiance, mais quelque chose de plus profond, quelque chose qui se mêlait à la terre elle-même. Chaque mouvement qu'elle faisait semblait répondre à un souffle de la nature, comme si le monde qui l'entourait l'écoutait et répondait à ses appels silencieux. Elle pouvait sentir la vie dans chaque arbre, chaque racine, chaque pierre, et plus encore, elle percevait les créatures qui l'habitaient, leurs émotions, leurs désirs, leurs souffrances.
Ce matin-là, elle se leva tôt, ses pieds nus effleurant la terre humide. Les feuilles bruissaient au-dessus d'elle dans un rythme apaisant, comme une mélodie lointaine. Sans trop y réfléchir, elle tendit la main vers un vieux chêne qui se dressait non loin de sa cabane. À cet instant, un frisson parcourut son bras. Elle sentit la sève circuler dans le tronc, une pulsation douce et régulière, comme un cœur battant sous l'écorce. La nature était vivante, mais ce lien... ce lien entre elle et cette créature majestueuse dépassait tout ce qu'elle avait pu imaginer. Elle ferma les yeux, se concentrant sur cette sensation. Un apaisement s'installa en elle, une chaleur douce, comme si l'arbre l'accueillait, la protégeait.
Puis, un bruit de feuilles froissées rompit la tranquillité de l'instant. Des loups. Elle les entendait avant de les voir, un groupe errant dans la forêt. Elle s'approcha lentement, toujours guidée par cette sensation étrange. Ils étaient là, dans une clairière proche, leur présence emplissant l'air de leur énergie sauvage. Mais il n'y avait pas de menace dans leur approche, pas d'agressivité. Ils étaient tout aussi perdus qu'elle dans cette forêt, tout aussi dépendants de son instinct. Sans réfléchir, elle se laissa guider par cet instinct nouveau, s'avançant vers eux.
Les loups la regardèrent sans peur, leurs yeux brillants d'intelligence et de curiosité. Un à un, ils se rapprochèrent, leurs corps imposants frémissant dans l'ombre des arbres. Sienna se tenait là, au centre de leur cercle, et, avec un simple geste de la main, elle sentit l'atmosphère changer. Comme si une brume apaisante enveloppait les créatures. Leur agitation se dissipa lentement, leurs corps se détendirent. Elle n'avait pas prononcé un mot. Pourtant, les loups la comprenaient, elle le savait. Ils étaient apaisés. L'un d'eux s'avança doucement, frottant son flanc contre sa main, une marque de respect, un acte de soumission.
Mais alors qu'elle se laissait envahir par cette connexion, un bruit de branches brisées fit sursauter les loups. Les premiers grondements se firent entendre au loin. Le vent apporta l'odeur du danger, l'odeur humaine. Les chasseurs. Un groupe de trois, peut-être quatre, se rapprochait à grands pas, leur présence lourde et menaçante, telle une ombre pesant sur la clairière. Sienna sentit son cœur se serrer, un instinct de survie brutal se réveillant en elle. Les loups se mirent immédiatement en alerte, leurs sens aiguisés détectant les intrus. Elle se tourna vers eux, sachant que leur rencontre paisible était terminée.
Les chasseurs étaient encore loin, mais Sienna savait qu'ils étaient déjà sur leur chemin. Ils traquaient la faune, mais plus encore, ils traquaient des créatures comme elle. Les échos de leurs pas firent frémir les loups, qui s'éloignèrent d'elle, prêts à défendre leur territoire, prêts à attaquer si nécessaire. Sienna, pourtant, n'hésita pas. Elle attrapa ses maigres affaires, enfilant sa veste de laine épaisse, et courut, sa respiration lourde, dans les profondeurs de la forêt.
Les arbres semblaient lui offrir une couverture, mais Sienna savait qu'elle ne pouvait pas rester là. Elle était plus rapide que les hommes, mais moins qu'un loup, et elle ne pouvait pas se permettre d'être prise au piège. Plus elle s'enfonçait dans les bois, plus elle sentait la présence des chasseurs se rapprocher. Les loups, eux, suivaient leur propre chemin, faisant diversion pour couvrir sa fuite. Les sons de la forêt semblaient se transformer en une symphonie de mouvement, des bruits d'ailes, des grognements, des feuillages écrasés.
Enfin, Sienna s'arrêta, haletante, à la lisière de la forêt, un ruisseau s'étendant devant elle. Elle se coucha à plat ventre dans l'herbe, espérant que les chasseurs ne la détecteraient pas. Ils passèrent sans la voir, leurs voix rauques et impatientes se perdant dans le vent. Leurs pas s'éloignèrent finalement, mais Sienna savait qu'ils reviendraient, plus déterminés que jamais. Elle devait partir, quitter cette vie. Fuir encore.
Son cœur battait la chamade, mais cette fois-ci, ce n'était pas la peur qui dominait. C'était une certitude. Elle ne pourrait pas échapper indéfiniment à son passé, ni à la vérité qu'elle commençait à effleurer. Cette affinité étrange avec la nature, avec les loups, n'était pas un hasard. Elle était la clé. Mais pour quoi ? Pour qui ? Et si ces chasseurs n'étaient que les premiers d'une longue série ? Elle serra les dents et se redressa, prête à partir. Sa vie venait de changer, et elle devait le comprendre.
Elle n'était plus simplement une fille bannie. Elle n'était plus simplement une étrangère dans un monde qui ne l'avait jamais acceptée. Elle était liée à quelque chose de plus grand. Elle avait un rôle à jouer. Un rôle que ni les loups ni les chasseurs ne comprenaient encore.