Chapitre 5 Chapitre 5

La demande de divorce n'était pas un cri, ni une supplication. Ce n'était pas une révolte bruyante, ni une explosion de colère. C'était un murmure, une vérité posée là, avec calme et certitude.

- Je veux divorcer, Julien.

Amélie s'entendit prononcer ces mots avec une tranquillité qui la surprit elle-même. Elle s'y était préparée, les avait répétés des dizaines de fois dans sa tête, s'imaginant mille réactions possibles. Mais maintenant qu'ils étaient dits, il n'y avait ni tremblement dans sa voix ni hésitation dans son regard.

Assis en face d'elle, Julien haussa à peine un sourcil, comme si elle venait de lui annoncer qu'il allait pleuvoir demain.

- Qu'est-ce que tu racontes ? lança-t-il en s'appuyant contre le dossier de son fauteuil.

Il tenait un verre à la main, un whisky qu'il sirotait distraitement depuis tout à l'heure. Son attitude était nonchalante, détachée, comme si cette discussion ne le concernait pas vraiment.

- Je suis sérieuse, répondit-elle simplement.

Il émit un léger rire, un de ces ricanements moqueurs qu'il avait toujours eus lorsqu'il la trouvait naïve ou émotive.

- Amélie, tu es fatiguée. Tu dis ça sous le coup de l'émotion.

Elle secoua la tête.

- Non.

- C'est ridicule, souffla-t-il en levant les yeux au ciel.

Elle l'observa en silence, analysant chacun de ses gestes, chacune de ses expressions. Il ne la prenait pas au sérieux. Elle le savait d'avance. Julien n'avait jamais cru qu'elle pourrait partir.

- Écoute, reprit-il en posant son verre sur la table basse. Tu es en colère parce que je suis parti trop longtemps. Je peux comprendre. Mais soyons réalistes, tu ne veux pas divorcer.

Il la fixait maintenant avec ce regard condescendant, celui qu'il adoptait chaque fois qu'il voulait lui faire comprendre qu'elle n'était qu'une enfant capricieuse face à lui, l'adulte rationnel.

Amélie inspira profondément.

- J'ai déjà entamé les démarches, Julien.

Il fronça légèrement les sourcils, l'ombre d'un doute traversant son visage.

- Quelles démarches ?

Elle se leva lentement et alla chercher une pochette qu'elle avait posée sur la commode. Lorsqu'elle revint, elle la posa doucement sur la table, juste devant lui.

- Les papiers de divorce.

Le silence qui suivit fut glacial.

Julien regarda la pochette comme s'il s'agissait d'un objet inconnu, quelque chose dont il ne comprenait pas le sens.

- Tu es allée voir un avocat ? demanda-t-il, sa voix légèrement plus grave.

- Oui.

Elle s'assit à nouveau, droite, digne. Son cœur battait un peu plus fort, mais elle ne laissa rien paraître.

Julien attrapa la pochette et l'ouvrit, feuilletant rapidement les documents. Plus il lisait, plus son expression changeait. La désinvolture s'effaçait, remplacée par une lueur de surprise, puis une sorte d'incrédulité.

- Tu es allée jusqu'à faire rédiger un contrat de séparation des biens ?

- Oui.

- Et tu es prête à signer ça ?

- Je l'ai déjà signé.

Il releva lentement la tête vers elle.

- Tu es sérieuse.

Elle soutint son regard sans fléchir.

- Très sérieuse.

Il referma brusquement la pochette et la jeta sur la table.

- C'est ridicule.

- Pourquoi ?

- Parce que... parce que c'est nous, Amélie !

Elle haussa un sourcil.

- Nous ? Quel "nous" ?

Julien ouvrit la bouche pour répondre, mais aucun mot ne sortit.

Amélie sourit tristement.

- Il n'y a jamais eu de "nous", Julien. Il y a toujours eu toi, tes absences, tes silences. Et moi, à t'attendre, à espérer quelque chose qui n'est jamais venu.

Il passa une main dans ses cheveux, l'air frustré.

- Ce n'est pas si simple.

- Si, ça l'est. Je veux divorcer.

Il la regarda longuement, puis se leva brusquement, faisant grincer sa chaise sur le parquet. Il fit quelques pas dans la pièce, l'air agité, les mains dans les poches.

- D'accord. Supposons que tu sois sérieuse, dit-il en se retournant vers elle. Pourquoi maintenant ?

- Parce que j'ai changé.

- Non, rétorqua-t-il immédiatement. Tu veux me punir pour être parti.

Elle secoua la tête.

- Ce n'est pas une punition, Julien. C'est une libération.

Il croisa les bras.

- Tu veux être libre ?

- Oui.

Un silence pesant s'installa.

Julien baissa les yeux vers les papiers, puis revint les poser sur elle.

- Et si je ne veux pas signer ?

Amélie s'attendait à cette question.

- Je divorcerai quand même.

Son ton était calme, posé. Elle n'avait pas besoin de crier, de supplier. Elle ne cherchait pas son approbation.

Julien passa une main sur son visage, visiblement pris au dépourvu.

- Amélie...

Il s'interrompit, cherchant ses mots.

- C'est toi qui disais qu'un mariage, ça se respecte, que ça se travaille.

- Un vrai mariage, oui.

Il grimaça, mais elle continua.

- Pas un arrangement. Pas un contrat familial. Pas une vie où je suis transparente.

Il ouvrit la bouche, puis la referma.

Amélie prit une profonde inspiration et se leva.

- Réfléchis-y, Julien.

Elle attrapa son sac et se dirigea vers la porte.

- Où est-ce que tu vas ? demanda-t-il, presque inquiet.

- Je sors.

- Avec qui ?

Elle lui lança un dernier regard.

- Avec moi-même.

Et sur ces mots, elle quitta la pièce, laissant Julien seul, face à une réalité qu'il n'avait jamais envisagée.