Un mariage sans amour. Voilà ce qu'elle avait accepté, ce à quoi elle s'était résignée cinq ans plus tôt. Un engagement vide de sens, dépourvu de cette chaleur qui fait briller les yeux d'une femme lorsqu'elle prononce le mot « oui ». Pourtant, elle l'avait dit. Avec un sourire discret, une élégance mesurée, sous le regard satisfait des invités et le poids silencieux d'une obligation qu'elle n'avait jamais choisie. À l'époque, elle pensait encore pouvoir le faire changer, pensait que le temps suffirait à combler l'absence d'émotions, à créer quelque chose là où il n'y avait que du vide.
Mais le temps n'avait rien arrangé. Il n'avait fait que creuser un gouffre plus profond entre eux, un fossé d'indifférence qu'aucun des deux ne prenait la peine de franchir.
Aujourd'hui marquait leur cinquième anniversaire de mariage, et elle se trouvait seule devant le miroir de sa chambre, ajustant les plis invisibles de sa robe. Une robe qu'elle avait choisie sans raison particulière, simplement parce qu'elle se sentait bien dedans. Il n'y avait plus cette attente fébrile, plus cette peur sourde qui la gagnait à l'idée de l'accueillir en retard, de le voir entrer avec cet air détaché et distant qui était devenu sa signature. Elle savait déjà. Julien ne viendrait pas. Il avait toujours une excuse. Un dîner d'affaires, une réunion tardive, une obligation qui, bien sûr, passait avant elle. Avant eux.
Amélie se surprit à esquisser un sourire en coin. Il y a quelques années, cela l'aurait brisée. Elle aurait attendu des heures, le cœur battant, les yeux rivés sur la porte, guettant le moindre bruit de clé dans la serrure. Elle aurait espéré qu'il se souvienne, qu'il fasse un effort, qu'il la regarde, ne serait-ce qu'une seconde, avec cette lueur qu'elle voyait parfois dans les films, celle qui fait croire que l'amour existe réellement. Mais ce soir, elle ne ressentait plus rien. Pas de colère, pas de tristesse. Juste une lassitude sereine, comme une évidence qui s'imposait à elle : elle n'attendait plus rien de lui.
Dans un geste fluide, elle attacha ses cheveux en un chignon lâche, laissant quelques mèches encadrer son visage. Elle n'avait plus besoin d'être parfaite pour lui. Plus besoin de correspondre à l'image de l'épouse idéale qu'elle avait tenté de lui offrir, en vain. Ce soir, elle n'avait pas envie de jouer un rôle.
Un bruit discret attira son attention. La porte d'entrée s'ouvrit, et elle sentit son cœur ralentir plutôt que s'accélérer. Julien. Il était là, mais elle n'éprouvait même pas la curiosité de tourner la tête. Elle continua à ajuster sa boucle d'oreille, comme si sa présence n'avait plus d'importance.
- Bonsoir.
Sa voix était neutre, polie, sans éclat. Il était comme toujours, impeccable dans son costume, son expression impénétrable. Il posa distraitement ses clés sur la console de l'entrée avant de se tourner vers elle.
- Tu es prête ?
Prête. Pour quoi ? Elle haussa légèrement les épaules avant de se retourner lentement, plongeant ses yeux dans les siens. Il n'y avait rien à y lire. Juste cette même réserve distante, cette absence d'émotion qui la glaçait depuis des années.
- Je ne sais pas, Julien. À quoi suis-je censée être prête ?
Il haussa un sourcil, surpris par sa réponse. D'habitude, elle ne posait pas de questions. Elle acceptait, elle suivait, elle se taisait. Ce soir, elle n'avait plus envie de faire semblant.
Il observa sa silhouette, sa robe simple mais élégante, son port de tête assuré. Il y avait quelque chose de différent en elle, quelque chose qu'il ne parvenait pas à définir.
- Je pensais qu'on pourrait dîner ensemble.
Elle eut un léger rire, doux mais sans joie.
- Toi et moi ? Dîner ensemble ? Après cinq ans où tu as toujours eu une excuse pour ne pas être là ?
Julien fronça les sourcils, visiblement déstabilisé.
- Ce soir est spécial.
- Spécial pour qui ? Pour moi ? Ou pour ton image ?
Il resta silencieux un instant, comme s'il cherchait la bonne réponse. Mais Amélie n'attendait plus de réponses. Elle s'avança lentement, passa à côté de lui et s'arrêta juste avant d'atteindre la porte.
- Tu sais, Julien... Je crois que le plus surprenant dans tout ça, ce n'est pas que tu sois en retard. Ni que tu sois absent la plupart du temps. Ce qui est surprenant, c'est que ça ne me fait plus rien.
Il tourna la tête vers elle, comme s'il venait de percevoir quelque chose qu'il n'avait jamais remarqué auparavant.
- Amélie...
Elle se retourna, un sourire triste sur les lèvres.
- Ne t'inquiète pas. Je ne vais pas faire une scène, je ne vais pas pleurer. Je veux juste que tu comprennes une chose : j'ai arrêté d'attendre.
Elle attrapa son sac et se dirigea vers la porte.
- Où vas-tu ?
Sa voix était posée, mais il y avait une pointe d'inquiétude qu'elle ne lui connaissait pas.
- Dîner. Mais pas avec toi.
Et elle quitta l'appartement sans se retourner, laissant derrière elle l'ombre d'un mariage qui n'avait jamais eu de sens.