Je me perds dans les chiffres, dans les graphiques, dans les stratégies. Mais rien ne parvient à occulter cette question qui me tourmente depuis des heures : pourquoi moi ? Pourquoi est-ce qu'il insiste tant pour que je sois impliquée dans chaque projet ? Et surtout, pourquoi ce regard, comme s'il attendait quelque chose de moi ?
Je suis interrompue dans mes pensées par un message qui apparaît sur mon écran. Un email d'Alexandre.
Objet : Dîner.
Camille,
Je veux discuter de la campagne plus en détail ce soir. Sois prête à 20h, à mon appartement. Nous ferons une pause dans le travail, mais je t'attends pour clarifier quelques points.
Alexandre Leroy
Je reste là, immobile, à fixer l'écran. Le message est simple, direct, presque froid. Mais la mention de son appartement me perturbe. Est-ce une réunion professionnelle, ou une invitation plus personnelle ? Une partie de moi hésite. Je sais que je devrais refuser, que ça pourrait être une mauvaise idée. Mais l'autre partie, plus curieuse et désireuse de comprendre, me pousse à accepter.
Je prends une profonde inspiration et réponds rapidement.
Réponse :
Je serai là à 20h. Camille.
Le message est envoyé. Et soudain, je me sens envahie par une vague de stress. Est-ce la bonne chose à faire ? Est-ce que je me perds dans quelque chose que je ne peux pas contrôler ?
Je m'efforce de rester calme en attendant la soirée. Toute la journée, je vais de réunion en réunion, mon esprit constamment distrait par ce dîner à venir. Théo, de son côté, semble aussi s'être rapproché de moi. Il vient me parler plus fréquemment, me posant des questions sur mon travail et faisant des allusions à Alexandre, toujours avec ce même sourire en coin. Je ne sais plus si c'est de la sincérité ou du jeu.
La soirée finit par arriver. Je rentre chez moi, prends une douche rapide et m'habille avec soin. Rien de trop extravagant, mais suffisamment élégant pour donner l'impression que j'ai pris le temps de réfléchir à ce moment. Un jean noir, un chemisier en soie, des talons discrets. Rien qui puisse trahir mon nervosisme.
Je quitte mon appartement une demi-heure avant l'heure prévue, m'assurant d'arriver à l'heure exacte. Je prends un taxi pour le trajet, les mains moites et le cœur battant. Mon esprit ne cesse de divaguer, cherchant des réponses que je ne trouve pas. Que veut-il vraiment de moi ? Que se cache-t-il derrière cette invitation ? Et surtout, est-ce que je peux encore ignorer tout ce qu'il représente ?
Arrivée devant son immeuble, je prends une grande inspiration avant de pousser la porte. L'interphone répond immédiatement.
- Oui ?
- C'est Camille... je suis là pour... la réunion.
- Monte au dernier étage.
Je n'ai même pas le temps de répondre qu'il a déjà coupé. Je prends l'ascenseur, mon estomac se serrant à chaque étage. Quand les portes s'ouvrent, je me retrouve dans un long couloir sombre, éclairé uniquement par des lumières tamisées. Le décor est chic mais sobre, minimaliste. Une grande porte en bois massif se trouve au bout du couloir. Je me dirige vers elle et frappe doucement.
- Entre.
Sa voix résonne à travers la porte, autoritaire mais calme. Je prends une dernière inspiration et pousse la porte.
Son appartement est vaste, moderne, avec des fenêtres qui donnent sur la ville. Une vue imprenable sur Lyon, mais tout ici semble étrangement froid. Comme si le confort n'était qu'une façade, une illusion de chaleur. Alexandre se tient près de la fenêtre, un verre de vin rouge à la main, son dos tourné vers moi.
- Tu es à l'heure. Il se retourne lentement, un sourire qui semble à la fois sincère et calculé aux lèvres. Je t'en prie, installe-toi.
Je m'approche de la table basse et m'assois dans un fauteuil en cuir, un peu plus loin. Le silence qui s'installe entre nous est lourd, pesant. Il ne s'assoit pas, se contente de me regarder, comme s'il attendait quelque chose, ou peut-être me jauge-t-il. Il finit par s'approcher de la table et pose son verre.
- Tu sais pourquoi tu es ici, n'est-ce pas ? demande-t-il enfin, son ton toujours aussi direct.
Je fronce légèrement les sourcils.
- Je pense que oui, Alexandre. On doit discuter de la campagne.
- Pas seulement de la campagne, dit-il en s'asseyant enfin face à moi. Tu vois, il y a quelque chose que tu ignores, Camille. Il marque une pause, son regard perçant ne quittant pas le mien. Tu n'es pas seulement une assistante ici. Tu as un rôle bien plus important à jouer, et il va falloir que tu prennes une décision.
Je suis prise au dépourvu par sa déclaration. Un rôle important ? Décision ? Qu'est-ce qu'il veut dire par là ?
- Quel genre de décision ? Je parviens enfin à articuler, ma voix tremblante malgré moi.
Il incline légèrement la tête, un sourire en coin qui me glace le sang.
- Tu verras bien, Camille. Mais tu ne pourras pas rester neutre indéfiniment.
Je sens une étrange chaleur m'envahir, mais c'est loin d'être réconfortant. C'est plus une sorte de pression, une tension qui s'intensifie à mesure qu'Alexandre parle. Il a cette manière de m'immerger dans un monde où je suis à la fois spectatrice et actrice, forcée de jouer un rôle dont je n'ai ni le script, ni les clés.
- Tu sais, Camille, dit-il lentement, sa voix prenant un ton plus grave, il y a des choses qui se passent derrière les rideaux, des enjeux bien plus grands que ce que tu vois ici. C'est pas juste un projet, une simple campagne de pub. Ce que tu ne sais pas, c'est qu'une grande partie de ton avenir ici, dans cette agence, est liée à bien plus que tes compétences professionnelles. Il marque une pause, me fixant avec insistance, comme s'il pesait chaque mot avant de le prononcer. Et je sais que tu n'es pas prête à voir ça. Pas encore.
Je reste là, silencieuse, une boule de confusion se formant dans mon estomac. Ce qu'il me dit semble sortir tout droit d'un univers parallèle, un monde où les règles du jeu ne sont pas celles que je connais. Que veut-il vraiment ? Pourquoi moi ? Pourquoi maintenant ?
- Qu'est-ce que tu sous-entends exactement ? Ma voix est faible, mais je ne peux m'empêcher de la faire trembler. Je cherche des réponses, des explications, mais chaque mot qu'il prononce ne fait qu'ajouter à mon incertitude.
Il sourit à nouveau, mais c'est un sourire étrange, comme s'il me faisait une faveur en me révélant un petit bout de vérité. Un sourire énigmatique, plein de secrets. Il prend son verre de vin et le porte à ses lèvres, avant de reposer le verre sur la table avec une lenteur exaspérante.
- Je sous-entends que ce n'est pas un hasard si tu es ici. Ce n'est pas un hasard si tu travailles avec moi. Il y a une raison pour laquelle tu m'as retrouvé, Camille. Et peut-être que tu commences enfin à comprendre que ton rôle ici dépasse celui de simple assistante.
Mon cœur fait un bond dans ma poitrine. Il parle de manière si assurée, comme si tout cela faisait partie d'un plan plus vaste dont je ne fais que frôler les bords. Une partie de moi veut fuir, ne plus entendre tout ça, mais l'autre, plus curieuse et naïve, veut savoir. Pourquoi moi ? Pourquoi ce jeu étrange ?
Je ferme les yeux un instant pour rassembler mes pensées, essayant de comprendre où il veut en venir. Mais à chaque mot qu'il prononce, je me sens un peu plus perdue.
- Et quoi ? Je finis par dire, en me redressant dans mon fauteuil, plus pour moi-même que pour lui. Qu'est-ce que tu attends de moi, Alexandre ?
Il se lève brusquement, s'approche de la fenêtre et regarde dehors, perdu dans ses pensées pendant un instant. Le silence s'installe à nouveau, lourd, presque suffocant. Je sens mon cœur battre de plus en plus fort, comme si l'air devenait plus rare à chaque seconde qui passe. Et puis il se tourne enfin vers moi, son regard intense.
- Je n'attends rien de toi, Camille. Pas encore. Sa voix est plus basse, presque un murmure. Mais tu vas devoir choisir, tôt ou tard. Et je te préviens, une fois que tu feras ton choix, il n'y aura pas de retour en arrière. Ce que je t'offre... c'est une chance. Une chance que beaucoup d'autres n'auront jamais.
Je le fixe, sans vraiment comprendre, mais un frisson traverse ma colonne vertébrale. Je n'arrive pas à savoir si j'ai affaire à un homme sincère ou à un manipulateur brillant. Chaque mot qu'il prononce m'enfonce un peu plus dans l'incertitude, me fait sentir que tout ce que j'ai cru comprendre sur ma situation était un leurre.
- Et si je refuse ? Ma voix, à peine audible, trahit mon inquiétude. Que se passe-t-il si je décide que tout ça ne me concerne pas ?
Alexandre me fixe un moment, ses yeux perçant les miens avec une intensité qui me déstabilise complètement. Il ne répond pas immédiatement, et pendant une fraction de seconde, je me demande s'il a l'intention de me laisser partir sans réponse, de m'abandonner à mes propres doutes. Mais il secoue doucement la tête, comme si ma question était insignifiante.
- Tu ne peux pas refuser, Camille. Pas vraiment. C'est plus complexe que ça. Il marque une pause, et son ton devient plus dur. Je te l'ai dit : il n'y a pas de retour en arrière. Une fois que tu vois certaines choses, tu ne peux plus les ignorer.
Je me sens prise au piège, comme une souris prise dans les mailles d'un filet que je n'ai pas vu se refermer sur moi. Je voulais rester distante, garder mes distances avec lui, mais il est plus fort que ça. Il joue sur mes peurs, mes désirs refoulés. Il m'oblige à voir ce que je ne veux pas voir, à comprendre ce que je n'étais pas prête à accepter.
Je respire profondément, essayant de reprendre le contrôle de mes pensées. Mais tout en moi me crie que je ne peux pas continuer à être juste une spectatrice. Je suis entrée dans ce jeu, et il semble que j'aie déjà fait un choix, même si je ne m'en rends pas encore compte.
- Je vais y réfléchir. Je finis par dire, plus pour moi-même que pour lui.
Il me fixe un instant, puis hoche lentement la tête, comme s'il avait anticipé ma réponse. Son sourire revient, mais cette fois, il n'est pas rassurant. Il est presque triomphant, comme s'il savait déjà qu'il a semé en moi une graine de doute qui ne cessera de grandir.
- Prends ton temps, Camille. Mais n'oublie pas une chose : plus tu attends, plus la décision sera difficile.
Je le regarde un dernier instant, puis me lève, mes jambes tremblant légèrement sous la pression. Je n'ai pas de réponse à lui donner, pas encore. Mais je sais que, d'une manière ou d'une autre, ce moment marquera le début de quelque chose que je ne peux pas contrôler. Et cela, plus que tout, m'effraie.
Je quitte l'appartement en silence, le cœur lourd, l'esprit en proie aux questions.