Sa voix est calme, posée, mais il y a quelque chose de sous-jacent, une tension subtile que je suis la seule à percevoir.
Je redresse les épaules, cherchant à ignorer la sensation dérangeante qui me noue l'estomac.
- Hélène m'a transmis un aperçu des projets prioritaires, oui, dis-je d'un ton neutre. Je vais approfondir la lecture aujourd'hui et organiser un suivi des échéances.
Il hoche la tête, sans quitter mon regard.
- Bien.
Une nouvelle pause, lourde de sous-entendus.
- Ce poste demande de la rigueur et de la disponibilité, poursuit-il. J'attends de toi un travail irréprochable.
Je pince imperceptiblement les lèvres. Comme si j'avais besoin qu'il me le rappelle.
- Je suis parfaitement consciente des exigences du poste, répliqué-je sans ciller.
Son regard s'attarde un peu plus longtemps sur moi, cherchant peut-être à déceler une faille, une hésitation. Mais il n'en trouvera pas.
Je ne suis plus la Camille d'autrefois.
- Parfait, conclut-il simplement. Dans ce cas, je te laisse t'installer.
Je n'attends pas qu'il me congédie une seconde fois. Sans un mot de plus, je pivote et quitte la pièce, sentant encore son regard peser sur moi alors que la porte se referme doucement derrière moi.
À peine ai-je fait quelques pas dans le couloir qu'un soupir m'échappe. Je desserre mes poings, réalisant que mes ongles se sont enfoncés dans ma paume.
Travailler sous les ordres d'Alexandre Leroy.
Quelle mauvaise blague.
Je n'ai pas le temps de me perdre dans mes pensées qu'une voix enjouée me tire de mes réflexions.
- Camille, c'est bien ça ?
Je lève les yeux et tombe sur une jeune femme aux cheveux châtain clair attachés en une queue-de-cheval haute. Ses grands yeux pétillants me détaillent avec une curiosité non dissimulée.
- Oui, c'est moi.
Elle me tend la main avec un sourire chaleureux.
- Je suis Maëva, assistante en communication. Bienvenue dans l'équipe !
Je serre sa main, surprise par son enthousiasme.
- Merci.
- J'ai entendu dire que tu allais travailler directement avec le grand patron, ajoute-t-elle avec un clin d'œil complice. Courage, il est... exigeant, mais pas insurmontable.
Je me contente d'un sourire poli.
Si seulement elle savait.
- Je vais te montrer ton bureau, me propose-t-elle en m'invitant à la suivre.
Nous traversons l'open space lumineux où règne une effervescence constante. Les claviers crépitent, les téléphones sonnent, les conversations se croisent. Un univers dynamique, à l'opposé du silence glacial du bureau d'Alexandre.
Maëva m'amène jusqu'à un espace semi-fermé, adjacent au bureau de la direction. Mon bureau.
- Voilà ton royaume, plaisante-t-elle. Juste à côté de celui du patron.
Je hoche la tête en posant mon sac sur le bureau.
- Merci, Maëva.
- Si tu as besoin de quoi que ce soit, n'hésite pas.
Elle me laisse seule, et je prends une grande inspiration avant d'ouvrir mon ordinateur portable.
Peu importe Alexandre. Peu importe le passé.
Je suis ici pour avancer.
Mais une petite voix au fond de moi murmure déjà que ce ne sera pas aussi simple.
Je m'installe à mon bureau et allume mon ordinateur, essayant d'ignorer les pensées parasites qui menacent de me distraire. Une nouvelle vie, un nouveau départ... Voilà ce que ce poste était censé représenter. Pourtant, il a suffi d'une seule rencontre avec Alexandre pour que mes résolutions vacillent.
Je me concentre sur les dossiers transmis par Hélène, scannant rapidement les documents pour m'imprégner des projets en cours. Un en particulier attire mon attention : une campagne publicitaire de grande envergure pour une marque de sport en pleine expansion. Sponsoring d'athlètes, vidéos promotionnelles, événements à organiser... Un projet ambitieux, et bien sûr, dirigé directement par Alexandre.
Évidemment.
Je soupire et commence à prendre des notes, détaillant les échéances et les tâches prioritaires. Je suis en plein travail quand un email s'affiche sur mon écran, provenant d'Alexandre.
Objet : Réunion de suivi – 11h
Camille,
Nous avons une réunion avec l'équipe marketing à 11h pour faire un point sur la campagne en cours. Prépare un résumé des tâches déjà assignées et assure-toi d'avoir une vue d'ensemble sur les échéances. On se retrouve en salle de réunion 2.
A. Leroy
Aucun mot de politesse. Rien d'inutile.
C'est bien lui.
Je me redresse et me plonge immédiatement dans les documents. Si Alexandre s'attend à ce que je perde pied face à lui, il se trompe.
-
À 10h55, je rassemble mes notes et me dirige vers la salle de réunion, un carnet en main. L'équipe marketing est déjà installée autour de la grande table en verre, discutant à voix basse. Maëva est là, ainsi que plusieurs autres employés que je n'ai pas encore eu l'occasion de rencontrer.
Je prends place à un bout de la table, et quelques secondes plus tard, Alexandre entre dans la pièce.
Sa présence impose immédiatement le silence.
Il a toujours eu cette aura, ce charisme brut qui attire l'attention sans effort. Mais là où, autrefois, je voyais une étincelle de malice dans ses yeux, je ne perçois aujourd'hui qu'une froideur calculée.
- Bonjour à tous, commence-t-il d'un ton neutre. On va faire un point rapide sur l'avancement du projet. Camille, tu peux nous résumer la situation ?
Tous les regards se tournent vers moi.
Je prends une légère inspiration et me lance, détaillant avec précision l'état d'avancement des tâches, les deadlines à venir et les points de vigilance. Ma voix est assurée, mes explications claires.
Alexandre ne m'interrompt pas, mais je sens son regard peser sur moi tout au long de mon intervention.
Lorsque je termine, il hoche simplement la tête.
- Bien. On va accélérer la mise en place des visuels finaux. Théo, tu te charges de la coordination avec les graphistes ?
Un jeune homme assis à sa gauche acquiesce avec un sourire.
- Bien sûr.
Je note mentalement son nom. Théo. Un collègue à retenir.
La réunion se poursuit avec efficacité. Je garde mon attention focalisée sur mon carnet, évitant soigneusement de croiser le regard d'Alexandre plus que nécessaire.
Finalement, après quarante minutes de discussion, Alexandre conclut d'une voix ferme :
- C'est tout pour aujourd'hui. Camille, reste un instant.
Un frisson parcourt ma colonne vertébrale.
Les autres quittent la pièce, et je me retrouve seule avec lui.
Il referme la porte derrière les derniers employés, puis se tourne vers moi, bras croisés.
- Bon travail, finit-il par dire.
Je ne m'attendais pas à un compliment, et je ne sais pas vraiment comment le prendre.
- Merci, dis-je simplement, méfiante.
Un silence s'installe, chargé de non-dits.
Il me fixe, et dans ce regard, je lis quelque chose que je ne veux pas voir. Une lueur du passé.
- Est-ce que ça va ? demande-t-il soudain.
Sa question me prend au dépourvu.
Il ne devrait pas poser cette question. Il ne devrait pas se soucier de comment je vais.
Et pourtant, je vois dans ses yeux qu'il attend une réponse sincère.
Je pourrais lui dire la vérité. Lui dire que je ne suis pas certaine de pouvoir supporter sa présence jour après jour. Que chaque regard échangé ravive des souvenirs que j'ai essayé d'enterrer.
Mais je ne lui donnerai pas ce pouvoir.
Alors, je me contente d'un sourire poli.
- Parfaitement.
Il ne répond rien, mais je vois sa mâchoire se contracter légèrement.
Il n'y croit pas.
Et moi non plus.