Chapitre 2 Chapitre 2

La journée aurait pu s'étirer comme un lendemain ordinaire de fête, mais il y avait ce quelque chose dans l'air, une tension que personne n'admettait mais que tout le monde ressentait. Les domestiques, habituellement discrets, semblaient glisser d'une tâche à l'autre avec une nervosité inhabituelle, murmurant à voix basse dans les couloirs. Élodie, encore alourdie par la fatigue de la veille, décida de se promener dans la maison, espérant apaiser cette sensation d'inconfort qui ne la quittait pas.

Dans la galerie principale, près du grand escalier, des voix s'élevèrent, étouffées, mais suffisamment claires pour attirer son attention. Le ton était bas, mais les mots avaient cette cadence particulière d'une conversation que l'on ne voulait pas ébruiter. Lentement, elle s'approcha, s'arrêtant juste avant d'être à découvert. Victor parlait.

« Tu sais ce que ça signifie. Si quelqu'un l'apprend, ce sera la fin. »

Le silence répondit à ses paroles, suivi d'un bruissement de tissu. Élodie, les sens en alerte, se pencha légèrement pour voir. La femme de chambre, une brune élégante dont elle ne connaissait que le prénom – Lila – était là, debout f ace à Victor, les bras croisés. Ses yeux brillaient d'une étrange intensité. Elle avait cette posture, à la fois provocante et calculée, qui détonnait avec la réserve attendue d'une domestique.

« Personne ne le saura si vous restez prudent, » répondit-elle enfin, la voix basse, presque un murmure.

Victor se pencha légèrement, réduisant l'espace entre eux. Il parlait à nouveau, mais cette fois, sa voix était trop basse pour qu'Élodie distingue les mots. Elle sentit son cœur s'accélérer, une boule d'appréhension montant dans sa gorge. Ce n'était pas une conversation normale.

Ils se turent soudainement, et Lila tourna la tête, ses yeux effleurant presque l'endroit où Élodie se tenait cachée. Le souffle coupé, elle se recula d'un pas, suffisamment pour être hors de vue, mais pas assez pour se sentir en sécurité. Lorsque les pas se rapprochèrent, elle fit volte-face et monta précipitamment l'escalier, s'efforçant de paraître nonchalante. Arrivée à l'étage, elle jeta un coup d'œil par-dessus la balustrade. Lila sortait du salon, ses doigts ajustant nerveusement son tablier. Victor, lui, était resté en retrait, un verre à la main, le regard fixé sur un point invisible.

Dans sa chambre, Élodie tourna en rond, incapable de penser à autre chose qu'à cette scène. Les mots de Victor résonnaient dans son esprit : « Si quelqu'un l'apprend... » Apprendre quoi, exactement ? Lila. C'était évident que cette femme n'était pas une simple employée. Quelque chose dans sa manière de se tenir, de parler, lui donnait une importance bien au-delà de sa fonction.

Au dîner, elle surveilla les interactions avec plus d'attention. Victor était égal à lui-même, dominant la table par sa présence imposante. Mais ce fut Lila qui retint son regard. Elle servait les plats avec une élégance mécanique, mais il y avait quelque chose de plus dans ses mouvements, une sorte de complicité silencieuse avec Victor. Ils échangèrent plusieurs regards, des éclats d'informations passant entre eux sans qu'un mot ne soit prononcé.

« Tu sembles ailleurs, » remarqua Victor, brisant le silence.

Élodie, prise au dépourvu, redressa la tête. « Juste fatiguée, je suppose. »

Il plissa les yeux, comme pour jauger la véracité de ses propos, mais n'insista pas. Pourtant, elle sentit son regard la suivre plus longtemps qu'il n'aurait dû, comme s'il soupçonnait quelque chose. Elle termina son repas en silence, résistant à l'envie de l'interroger directement.

Plus tard dans la soirée, alors que le manoir sombrait peu à peu dans le calme, un bruit inhabituel attira son attention. Ce n'était pas le type de bruit que produisent les vieilles maisons, ni les murmures des domestiques qui finissent leurs corvées. C'était un son feutré, presque étouffé, comme un livre qu'on referme trop vite ou une chaise qu'on déplace sur un tapis. Il provenait de la bibliothèque.

Poussée par une curiosité qu'elle ne pouvait plus ignorer, Élodie sortit discrètement de sa chambre. Les couloirs, plongés dans l'obscurité, semblaient plus étroits qu'à l'accoutumée, comme si les murs eux-mêmes resserraient leur emprise sur elle. Arrivée devant la porte de la bibliothèque, elle hésita un instant, la main posée sur la poignée. L'écho de sa propre respiration semblait soudain trop fort.

Elle poussa lentement la porte. La pièce était vide. Les rayonnages imposants se dressaient autour d'elle, abritant des milliers de volumes qui semblaient la surveiller en silence. Une faible lueur provenait de la lampe au-dessus du bureau de Victor, mais il n'y avait personne. Pourtant, elle était certaine d'avoir entendu quelque chose.

S'avançant prudemment, elle parcourut la pièce du regard. Un léger frisson lui parcourut l'échine lorsqu'elle remarqua que certains livres avaient été déplacés, laissant des espaces vides sur les étagères. Elle s'approcha du bureau, ses doigts effleurant la surface en bois poli. Rien. Tout était impeccablement ordonné, comme toujours. Mais cette sensation de malaise persistait, un sentiment presque tangible qu'elle n'était pas seule.

Un bruit sourd derrière elle la fit sursauter. Elle se retourna brusquement, mais ne vit rien d'autre que la porte, légèrement entrebâillée. Son souffle était court, son cœur battant à tout rompre. Elle attendit, tendant l'oreille, mais aucun autre son ne vint.

« Il y a quelqu'un ? » lança-t-elle, sa voix résonnant dans la pièce vide.

Pas de réponse. Elle se força à respirer profondément, essayant de calmer sa nervosité. Peut-être avait-elle simplement imaginé tout cela. Ou peut-être quelqu'un était-il là, tapi dans l'ombre, guettant ses moindres mouvements.

De retour dans sa chambre, elle verrouilla la porte, s'appuyant contre elle comme pour se protéger de ce qu'elle ne pouvait nommer. La maison entière semblait conspirer contre elle, chaque mur, chaque meuble, chaque regard croisé dans les couloirs alimentant ses doutes.

Elle savait une chose avec certitude : il se passait quelque chose de profondément étrange dans ce manoir. Et si elle voulait comprendre, elle devrait être plus prudente que jamais.

            
            

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