« Tout est parfait, » murmura-t-il en passant derrière elle, posant brièvement une main sur son épaule.
Elle aurait voulu croire à la douceur dans son ton, mais le contact était aussi mécanique qu'un automate bien huilé. Depuis plusieurs semaines déjà, elle avait remarqué des nuances dans son comportement, des absences déguisées sous le masque de responsabilités, des regards évités avec une maladresse inhabituelle.
La sonnette retentit, tranchant le silence feutré de leur maison. Luna se redressa, son instinct lui criant que ce moment était un tournant, bien qu'elle n'en comprît pas encore la portée.
Ethan alla ouvrir la porte, et une voix féminine s'éleva, douce et contrôlée, avec une touche de chaleur calculée.
« Merci de m'accueillir chez vous, Ethan. Je suis ravie de pouvoir enfin rencontrer votre épouse. »
Luna se retourna, son cœur battant plus vite. Elle n'avait pas été préparée à cette rencontre, pas vraiment. Quand Ethan lui avait parlé, plus tôt cette semaine, d'un « ajustement nécessaire à son équipe », il n'avait pas jugé bon de préciser que l'ajustement en question prendrait la forme d'une femme manifestement aussi confiante qu'élégante.
Isabella Black fit son entrée avec une grâce naturelle qui lui donnait l'air de glisser sur le sol. Sa robe noire parfaitement ajustée contrastait avec sa chevelure blonde brillante, et un sourire impeccable illuminait son visage comme si elle savait exactement quel effet elle produisait.
« Luna, voici Isabella, ma nouvelle assistante personnelle, » déclara Ethan, son ton neutre comme s'il annonçait l'arrivée d'un nouveau partenaire commercial.
Luna s'avança, tendant une main polie. « Enchantée de vous rencontrer, Isabella. »
La poigne d'Isabella était ferme, assurée, mais quelque chose dans son sourire semblait trop maîtrisé, trop parfait pour être sincère.
« Le plaisir est pour moi, madame Blackwood. Votre mari ne tarit pas d'éloges sur vous. Il est rare de rencontrer une femme avec autant de force et de grâce. »
Les compliments glissèrent sur Luna comme de l'eau sur une vitre froide. Elle détecta une note d'hypocrisie, ou peut-être était-ce son imagination, mais quelque chose dans le regard d'Isabella la mettait mal à l'aise.
Ethan coupa court à l'échange en les invitant à s'installer autour de la table. Il semblait presque soulagé de pouvoir échapper à cette interaction.
Au cours du déjeuner, Isabella se montra charmante, riant aux anecdotes d'Ethan, posant des questions pertinentes sur les projets de la société, et tissant avec une aisance déconcertante un réseau invisible entre elle et les deux époux. Pourtant, Luna sentit rapidement qu'Isabella ne s'adressait à elle que par courtoisie, ses véritables attentions étant dirigées vers Ethan.
Une phrase, cependant, ébranla l'atmosphère soigneusement construite.
« Votre mari est un homme fascinant, Luna. Vous avez beaucoup de chance de partager sa vie. »
La coupe de vin que Luna portait à ses lèvres trembla légèrement, mais elle reprit contenance en posant doucement son verre sur la table.
« Oui, c'est un homme exceptionnel, » répondit-elle, mesurant chaque mot.
Ethan esquissa un sourire qui ne parvint pas à masquer son malaise. « Isabella est un atout précieux pour l'entreprise. Sa vision et son énergie vont vraiment faire avancer nos projets. »
« J'en suis certaine, » murmura Luna, luttant pour maintenir un ton cordial.
Mais au fond d'elle, quelque chose grondait. Elle savait reconnaître une rivalité masquée derrière une courtoisie polie. Et si Isabella était un atout pour l'entreprise, pourquoi Luna avait-elle l'impression qu'elle s'imposait déjà dans leur espace personnel ?
À la fin du repas, Isabella s'excusa pour passer un appel. Ethan la raccompagna brièvement vers le salon, laissant Luna seule un instant. Elle en profita pour calmer les pensées qui tourbillonnaient dans son esprit, mais ses doigts continuaient de tapoter nerveusement la nappe.
Quand Ethan revint, il paraissait agité, ses traits tirés.
« Elle est vraiment talentueuse, tu sais, » dit-il soudain, comme pour briser un silence qu'il trouvait insupportable.
Luna le fixa, sa voix calme, mais ses mots acérés comme une lame. « Je suis sûre qu'elle l'est, Ethan. Mais pourquoi ai-je l'impression que tu n'as pas tout dit à son sujet ? »
Il fronça les sourcils, visiblement pris au dépourvu. « Je ne vois pas de quoi tu parles. C'est une professionnelle, rien de plus. »
« Alors pourquoi cette nervosité ? » insista-t-elle, croisant les bras.
Ethan s'éloigna, passant une main dans ses cheveux, un geste qu'il faisait toujours lorsqu'il se sentait acculé.
« Luna, je gère des pressions que tu ne peux pas imaginer. Embaucher Isabella était une décision stratégique. C'est pour le bien de l'entreprise, rien d'autre. »
« Rien d'autre, » répéta-t-elle, goûtant l'amertume de ses mots.
Il soupira, l'air exaspéré. « Pourquoi veux-tu toujours chercher des problèmes là où il n'y en a pas ? »
Elle se leva lentement, ses yeux fixant les siens avec une intensité qui le força à détourner le regard.
« Parce que je te connais, Ethan. Et je sais quand quelque chose ne va pas. »
Un silence lourd s'abattit sur eux, brisé uniquement par le bruit lointain d'Isabella qui parlait au téléphone dans l'autre pièce.
« Tu t'inquiètes pour rien, » lâcha-t-il finalement, mais son ton manquait de conviction.
Luna ne répondit pas. Elle n'avait pas besoin de mots pour comprendre que cet échange ne résolvait rien. Au contraire, il ne faisait qu'éclairer la distance grandissante entre eux.
Isabella revint peu après, souriante et détendue comme si elle ne percevait pas la tension palpable dans la pièce.
« Merci encore pour ce déjeuner délicieux, » dit-elle à Luna en s'apprêtant à partir. « C'était un véritable plaisir. »
Luna hocha la tête, souriant par pure obligation.
Quand la porte se referma derrière Isabella, Luna resta debout un long moment, le regard fixé sur Ethan.
« Alors, » dit-elle doucement, mais avec une fermeté sous-jacente, « combien de temps penses-tu que cela va durer ? »
Il releva les yeux vers elle, surpris.
« Quoi donc ? »
« Ce jeu. Cette illusion que tout est normal. »
Il resta silencieux, mais dans ce silence, Luna trouva une réponse bien plus bruyante qu'elle n'aurait voulu.
Isabella n'était pas qu'une simple assistante. Luna le sentait dans ses tripes. Et si Ethan pensait qu'elle allait ignorer ce qui se jouait devant elle, il se trompait lourdement.