Je frappe le sac de toutes mes forces. Mes poings s'écrasent dessus dans un rythme régulier, comme si la douleur dans mes mains pouvait faire taire les pensées qui tambourinent dans mon crâne. Chaque coup est plus fort que le précédent, chaque impact résonne dans ma poitrine comme un écho de ce que je ressens.
*Dufresne.*
Son nom me hante. Je ne peux pas m'en débarrasser. Ce connard ne me lâche pas. Chaque fois que je ferme les yeux, je le revois, avec son sourire suffisant, ses yeux glacés, cette confiance en lui que je voudrais lui arracher. Ce n'est pas seulement de la compétition. C'est pire que ça. Il me provoque sans dire un mot, juste avec ce regard. Et ça me rend fou.
Je donne un dernier coup au sac, plus fort, plus violent. Le sac se balance sous l'impact, mais ça ne suffit pas. Rien ne suffit.
- Tu vas finir par te casser les mains, Gauthier.
Cette voix. Même sans le voir, je sais que c'est lui. Léo. Toujours là, toujours à apparaître quand je veux l'oublier. Je serre les poings jusqu'à sentir mes ongles s'enfoncer dans ma paume, puis je me retourne, lentement, prêt à l'affronter.
Il est là, à l'entrée de la salle d'entraînement, les bras croisés sur son torse. Son regard se pose sur moi avec une facilité déconcertante, comme si j'étais un simple adversaire, comme si je ne représentais aucun danger pour lui. Cette assurance. Putain, ça m'insupporte.
- T'as rien de mieux à faire que de venir me surveiller ? je crache, les mâchoires serrées.
Son sourire s'élargit, et je sens une chaleur désagréable monter dans ma poitrine. Pourquoi ça me fait ça ? Pourquoi à chaque fois qu'il me regarde de cette façon, j'ai l'impression que mes tripes se retournent ?
- Je m'assure juste que mon futur adversaire soit en forme. Ce serait dommage que tu te blesses avant qu'on ait l'occasion de monter sur le ring, non ? dit-il, son ton est calme, presque amusé.
Je le fixe, mes yeux accrochés aux siens, et pendant une seconde, je ne sais pas quoi répondre. Ce n'est pas juste un combat entre nous. C'est comme si à chaque fois qu'on se parle, il y avait autre chose, un jeu de pouvoir, de contrôle. Et je hais ça.
Je m'approche de lui, lentement, chacun de mes pas résonnant sur le sol de la salle vide. Lui, il ne bouge pas, comme s'il savait que j'allais venir à lui. Plus je m'avance, plus je sens cette foutue tension entre nous, cette étincelle que je voudrais étouffer à coups de poing. Quand je suis assez proche pour sentir son souffle, je me penche un peu vers lui.
- T'en fais pas pour moi, Dufresne, je grogne, les dents serrées. Je vais être en pleine forme. Et quand je serai sur le ring avec toi, tu vas regretter de m'avoir sous-estimé.
Ses yeux brillent d'un éclat étrange, un mélange de provocation et... autre chose. De la curiosité ? De l'intérêt ? Non, je dois me tromper. C'est juste dans ma tête.
- Sous-estimé ? répète-t-il doucement, ses lèvres s'étirant dans un sourire plus large. Gauthier, si je te sous-estimais, je ne serais pas ici, maintenant, à te regarder te battre contre tes propres démons.
Je le repousse, mes deux mains s'écrasant contre son torse. Ce que je ressens à cet instant me dépasse, c'est trop fort. C'est de la colère, je me dis. Rien d'autre que de la rage. Mais quand mes mains touchent son corps, je sens la chaleur qui émane de lui, et ça me brûle de l'intérieur.
- Ferme-la, je grogne. Je ne me bats pas contre des démons. C'est toi que je vais détruire, Dufresne. Toi.
Son sourire ne disparaît pas. Il ne me repousse pas. Il reste planté là, à me regarder comme si je n'étais pas sérieux. Comme si tout ça, c'était juste un jeu pour lui.
- Si c'est ce que tu veux croire, Élias. Mais on sait tous les deux que ce n'est pas moi que tu essaies de battre. Pas vraiment.
Son utilisation de mon prénom me déstabilise. Personne ne m'appelle Élias. Pas ici. Je suis Gauthier pour tout le monde, et c'est très bien comme ça. Mais quand il prononce mon prénom, c'est comme s'il transgressait une limite invisible. Comme s'il s'autorisait à entrer dans un espace que je m'efforce de garder fermé à clé.
Je fais un pas en arrière, frustré de ne pas pouvoir exprimer ce qui bouillonne en moi. Je veux lui crier dessus, lui dire qu'il a tort, qu'il ne sait rien de moi, mais les mots ne sortent pas.
Léo, lui, semble parfaitement détendu, comme toujours. Il me regarde encore un instant, puis se détourne, prêt à partir. Mais avant de franchir la porte, il se tourne une dernière fois vers moi.
- On se voit bientôt, Gauthier. Sur le ring. Prépare-toi.
Et il disparaît, me laissant là, seul avec cette putain de rage qui ne veut pas s'éteindre.
Je frappe le sac à nouveau. Plus fort. Encore plus fort. Mais cette fois, ce n'est pas seulement la colère qui me fait frapper. C'est autre chose, quelque chose que je n'ose même pas nommer.
Et ça, c'est ce qui me fait le plus peur.