Chapitre 7 Daisy

Je me tourne et me retourne dans le lit très inconfortable de cette chambre d'hôtel alors que deux agents de police font le guet dans le petit salon voisin...

Comme je n'arrive pas à dormir, je prends la tablette dans l'étui de mon portable, et je l'allume pour vérifier si j'ai vu juste. Cet hôtel possède l'Internet gratuit donc je peux m'y connecter...

Je suis moi-même en possession d'un nuage de données qui est relié à tous mes appareils par mon compte Microsoft... Et ils se connectent toujours automatiquement au nuage de données sans que j'aie à entrer mon mot de passe. Alors je me dis que c'est peut-être aussi le cas pour monsieur Wilson.

J'ai encore tout frais à la mémoire la question qu'Ethan lui avait posée... s'il y avait une autre copie... et il avait répondu que non. Ethan l'a assassiné tout de suite après alors chaque fois qu'un policier menace de me poser la question... s'il y avait une copie... j'ai toujours le réflexe de mentir, parce que, à qui je peux faire confiance, moi, hein? Si je remets la dernière copie, ou que je leur parle de ce nuage de donnée, je n'aurai plus aucune carte dans ma manche pour assurer mes arrières!

Je me ronge les ongles tout en appuyant sur le logo de Microsoft... Et effectivement, la tablette se connecte immédiatement au nuage de données de monsieur Wilson. Je vois tout de suite le bon dossier dans ses documents récemment consultés.

Je m'assure tout de même que c'est le bon dossier avant de l'envoyer en format compressé à une adresse de courriel toute nouvelle que je crée spécialement pour ce faire et qui est indépendante de la mienne.

Ensuite, j'efface l'historique de téléchargement dans l'application. Le soleil se lève déjà donc je vais prendre une douche qui est bien méritée.

J'en sors à peine quand mon cellulaire sonne et je vois apparaître l'image bien docile de ma grand-mère, dont la peau chocolatée et les yeux noirs à l'éclat très vif reflètent nos ancêtres congolais. Ma grand-mère est aussi très petite tout comme moi, avec des cheveux blancs et elle a des formes bien rondes et généreuses qui me faisait un excellent coussin quand elle me gardait dans ses bras étant jeune.

Je me sens très émue quand je réponds, mais je m'efforce de conserver une voix d'humeur égale.

- Ah! Ma chérie! Dieu merci tu va bien!

- Grand-maman? dis-je avec anxiété.

Est-ce que quelque chose s'est produit? Pitié. Me dites pas que des policiers sont allés l'interroger! J'avais bien dit de ne pas la déranger! Ma grand-mère a 82 ans et son cœur et fragile!!!

- Ma chérie! Si tu savais! Il y a eu un meurtre à Ottawa et je crois que c'est dans le même quartier que ton patron, monsieur Wilson!

- Ah bon? Moi je n'ai rien entendu grand-maman!

Un des policiers de garde pénètre dans ma chambre à cet instant et me fait signe de raccrocher. J'essaie donc fin à la communication:

- Euh, je dois raccrocher, je suis désolée... Nous avons une réunion d'urgence au PREA, parce qu'une communauté d'une région recule du Nunavut subi une crise majeure... une épidémie de suicides... ils auront besoin de tous les intervenants sur le terrain!

- Nonnnn?

- Siiiiiii! Il est très possible que je sois forcée de prendre un vol d'urgence vers Iqaluit... En plus, monsieur Wilson avait d'jà renvoyé la plupart des bénévoles chez eux. Il ne nous en reste qu'une poignée alors c'est un peu la catastrophe!

- Si tu prends un vol d'urgence est-ce que ça veut dire que tu ne passera pas par la maison avant ton départ?

- Hmmm... c'est très possible... Grand-maman! Là où je vais, les communications sont parfois difficiles... Alors si tu n'as pas de nouvelles de moi, ne t'en fais pas trop d'accord?

Le policier devant moi commence à drôlement s'impatienter. Mais je m'en fiche!

Ma grand-mère me dit de ne pas m'en faire pour elle, moi non plus! Le travail que je fais auprès des Premières Nations est tellement vital! J'ai la larme à l'œil quand je lui dis merci de me soutenir toujours et d'être une grand-mère aussi géniale et que je l'aimerai toujours...

- Ma chérie, tu parles comme si tu n'allais jamais revenir... s'inquiète alors ma grand-mère.

J'essaie de prendre un ton léger quand je m'excuse. Mais non, voyons! Je suis juste un peu émotive parce que la situation au Nunavut me touche beaucoup. Ma grand-mère me recommande alors de ne pas prendre les choses trop à cœur, parce que sinon je ne survivrai jamais dans le métier que je fais! C'est ce que disait toujours mon père, qui était travailleur social lui aussi...

J'ai les larmes aux yeux quand je raccroche enfin. Le policier me confisque immédiatement mon cellulaire et me dit qu'une personne pourrait aisément localiser cet appel et que je mets la sécurité de ma grand-mère en danger chaque fois que je lui parle d'ailleurs! Alors je ne devrais plus la contacter!

C'est facile à dire pour lui. Ce n'est pas sa grand-mère! Et ce n'est pas lui qui va devoir tout quitter, renoncer à son métier, sa famille... et même changer d'identité! Alors je voudrais bien le voir à ma place!

En quittant l'hôtel, on me demande de prendre tous mes effets personnels. J'ai beaucoup de bagages parce que je ramenais des tas de trucs de la réserve des Sahtus. Mais je m'en fiche! Je me sens attachée à chaque breloque tout à coup, parce que c'est tout ce qui va me rester de mon ancienne vie!

Je suis conduite dans les locaux de la GRC cette fois et David est là pour m'accueillir à mon arrivée. Il me dit que les négociations ont bien avancé et que les agents de la GRC vont remplir toutes les exigences qu'il avait demandées. Ils me présentent même un document que le Major Nathan McAllister a déjà signé, et il ne reste qu'à apposer ma signature en bas. J'examine une dernière fois le document et je signe tout en bas sous les conseils de David.

Il leur donne ensuite les informations à ma disposition et je leur parle du nuage de données de monsieur Wilson. Le major McAllister est immédiatement très emballé et il prévient son équipier.

Très vite, une fois qu'ils arrivent à avoir accès au nuage de données, ils constatent que ce dossier contient des preuves incriminantes qui feront progresser leur enquête. Mais ce n'est pas encore suffisant pour aller devant le juge. Ils vont devoir surveiller Abernaty et ses complices, et tenter de les prendre la main dans le sac... mais avec ces informations, ce sera bien plus facile!

Cependant suite au meurtre de monsieur Wilson, Abernaty va sûrement se tenir à carreau durant un certain temps, ce qui veut dire que je vais sans doute devoir rester dans le programme de protection des témoins un petit moment, me traduit David, qui comprend tous les sous-entendus de ces agents des forces de l'ordre quand ils échangent.

La gorge serrée, je lui demande de veiller sur ma mère et je lui donne discrètement ma nouvelle adresse de courriel pour qu'il puisse m'envoyer des nouvelles de grand-mère de temps à autre.

Deux agents m'emmènent faire un peu de shoping avant mon départ, pour être sûre que je ne manque de rien, et j'en profite pour mettre dans mes bagages quelques produits bien de chez nous, comme le fromage qui fait quick-quick et du sirop d'érable!!!

Ensuite, on me fait monter dans une berline aux vitres teintées avec une escorte qui me conduira dans un petit aéroport privé qui se situe de l'autre côté de la frontière. Devant le petit Cesna, un grand moustachu portant l'uniforme de Marshal américain, et aux lunettes fumées me salue d'une poignée de main très ferme et il me signale que désormais je suis sous sa protection et que c'est lui qui me conduira vers ma nouvelle destination.

Lui et les trois autres officiers qui l'accompagnent ne me diront cette destination que lorsque je serai dans l'avion afin d'éviter toute oreille indiscrète. Même David ou les agents de la GRC ignorent où je vais.

On me confisque aussi tous mes autres appareils technologiques dont mon portable ainsi que la tablette... avant de monter dans l'avion, tout en m'assurant que je serai dédomagée adéquatement pour cette perte.

Après qu'on m'ait déjà confisqué mon cellulaire, je me doutais qu'ils allaient en faire de même avec tous mes autres gadgets technos... alors, avant de quitter l'hôtel ce matin, je m'étais bien assuré sauvegarder sur mon nuage de données de Microsoft les dernières modifs de ma thèse, que je me suis envoyée à moi-même sur ma nouvelle adresse de courriel, avec quelques photos récentes de grand-mère et de son pékinois tout mignon!

Je suis prête à bien des sacrifices et je ne suis aucunement attachée aux biens matériels, mais ma thèse... et tout ce qui concerne ma grand-mère... ça, j'y tiens énormément!

D'ailleurs, je ne peux arrêter de songer à ma grand-mère, quand je monte dans ce petit avion pour une destination qui m'est encore totalement inconnue...

Je détourne les yeux vers le hublot de cet avion qui décolle, m'éloignant de plus en plus de ma terre natale...

Grand-mère... Te reverrais-je un jour?