Et enfin, le tumulte qui régnait en elle se dissipa. Samantha observa beaucoup chacun des trois clients, les gestes, les expressions, les postures... Si bien que lorsqu'elle dut intervenir pour expliquer les deux projets, elle sut quelle attitude adopter afin de capter leur entière attention.
C'est en début d'après-midi que tout bascula dans une dimension parallèle.
À son retour de pause, elle se remit au travail sur un projet mis en attente le temps que celui de Durand soit finalisé.
La ligne fixe se mit à sonner, fait extrêmement rare car elle n'était pas l'interlocutrice privilégiée des clients. Elle eut une seconde d'hésitation avant de se saisir du combiné. Il s'agissait d'un appel extérieur, vu le numéro qui s'affichait...
- Samantha Swann, annonça-t-elle.
- Bonjour mademoiselle, tout du moins, rebonjour...
La jeune femme ne répondit pas, curieuse d'entendre la suite.
- Léo Duval... Nous nous sommes rencontrés ce matin, lors de la présentation du projet de communication Durand. Je n'ai pas pour habitude de contacter chaque collaborateur que nous mandatons, mais je dois avouer que votre intervention a retenu toute mon attention.
- Est-ce positif ?
- Bien sûr. J'ai d'ailleurs quelques questions et sujets sur lesquels j'aimerais que l'on discute... Seriez-vous libre la semaine prochaine ? Peut-être à déjeuner, lundi ?
Samantha redoutait de comprendre.
- Nous pouvons parfaitement organiser une seconde entrevue, avec Mme Guyot qui dirige les projets de communication, et notamment mon travail, si vous avez des interrogations ou besoin d'autre chose.
Duval ne releva pas la parade.
- Mon planning est déjà bien occupé, pour tout vous avouer. Je dispose de peu de temps.
- Quant à moi, je n'ai pas pour habitude de déjeuner seule avec des clients. Et je ne prendrai aucune initiative à l'insu de ma directrice de communication. Je suis parfaitement ouverte à discuter de ce qui vous intéresse, Mme Guyot également. Je peux m'assurer de sa disponibilité lundi, si vous voulez ?
L'homme s'était tu à l'autre bout du combiné. Samantha visait juste... Première fois en trois ans au sein de l'agence qu'elle se faisait ostensiblement aborder.
Il fallait du tact pour remettre en place l'importun tout en ne compromettant pas le contrat, qui ne tenait peut-être plus qu'à un fil pour une raison totalement en dehors du cadre professionnel. Elle était loin de se douter que le projet pouvait être remis en cause pour ce genre de chose... Impensable !
- Je vais la contacter directement, ainsi nous verrons ce qui peut concorder. Merci pour votre travail, en tout cas. Passez une excellente journée...
- Vous aussi.
Et Léo Duval raccrocha, laissant pantoise Samantha qui n'avait pas imaginé un tel virage dans ce contrat.
La jeune femme devait s'empresser de prévenir Cynthia de ce qui venait de se passer. Elle laissa donc en suspend son travail, verrouilla l'écran de son ordinateur, et fonça au bureau de la directrice de communication. La porte ouverte l'invitait à entrer, ce qu'elle fit, avant de s'immobiliser de surprise. Cynthia, son téléphone portable collé à l'oreille, semblait en pleine conversation avec le même interlocuteur qu'elle, quelques instants plus tôt.
Il venait de la devancer d'une courte tête ! Elle s'en mordit la lèvre inférieure de frustration, puis attendit... Leur échange fut de courte durée, ce qui devait signifier que Léo Duval n'avait pas beaucoup épilogué sur le sujet.
- Tu tombes bien, Sam. Lundi midi, déjeuner avec M. Duval pour le projet Durand, il a quelques questions et idées... Libère-toi si tu es occupée.
- Je ne le suis pas...
Samantha allait expliquer à sa supérieure ce qu'il s'était passé, puis se ravisa. Après tout, quel intérêt cela pouvait-il avoir à cet instant ? Aucun.
Elle se tiendrait sur ses gardes lors de cette entrevue.
- Parfait ! Il n'a pas précisé ce qu'il attend, donc on emmène tout.
Samantha acquiesça avant de retourner à son travail.
Une petite heure plus tard, alors qu'elle était très concentrée, elle fut surprise par un nouvel appel sur son poste fixe, qui la fit sursauter et affola son cœur.
- Ils vont me rendre dingue... marmonna-t-elle pour elle-même avant de décrocher.
- Mademoiselle Swann... C'est Laura, à l'accueil... Vous avez reçu un colis, mais je ne peux pas monter, je suis toute seule...
- Je descends, répondit Samantha avec un ton compatissant.
Tout en effectuant le trajet patiemment dans l'ascenseur, elle s'interrogea. Attendait-elle des échantillons ou toute autre chose sur un projet en cours ? Il ne lui semblait pas, et sa mémoire plutôt bonne ne la trahissait jamais.
Laura afficha un sourire affable lorsqu'elle arriva derrière le comptoir de l'accueil.
- Je vous l'ai mis de côté, affirma-t-elle, jubilante. J'imagine que si je l'avais laissé à la vue de tous, il aurait suscité des jalousies !
Samantha fronça les sourcils.
Laura plongea sous son large bureau foncé et en sortit un gros bouquet de fleurs mélangées. La grande blonde se figea. Qui pouvait lui faire parvenir un bouquet de fleurs ? Son sang se glaça lorsqu'elle pensa à l'appel reçu un peu plus tôt de la part de Léo Duval.
- Il n'aurait pas osé...
- Que dites-vous ? demanda Laura.
- Heu... Rien, je me parlais à moi-même...
Elle s'empara des fleurs avec délicatesse.
- Merci, Laura...
Et elle s'éloigna. Elle ne voulait pas de témoin de ce qui allait se révéler. Une carte accompagnait le bouquet, le mystère allait bientôt se lever.
Remontant dans l'ascenseur, elle sélectionna le plus haut étage de l'immeuble qui donnerait accès au toit-terrasse, seul endroit où elle serait tranquille.
Bravant le froid mordant, elle fit quelques pas dehors, ouvrant la carte qui accompagnait la composition.
« Tu as raison, perdre nos moments d'improvisation, c'est nous perdre tous les deux... Et il est hors de question de nous éloigner de qui nous sommes.
Sois prête ce soir à 20 h et laisse-toi guider !
Je t'aime, Ian. »
Samantha sentit des larmes d'émotion lui monter aux yeux. Elle fourra le mot dans la poche arrière de son jeans et reprit le chemin de son bureau, le bouquet en main.
Heureusement, ses craintes concernant Léo Duval n'avaient été que l'extrapolation de son imagination.
Ian la surprenait, même après sept années passées ensemble. Et elle espérait que leur relation, malgré les fluctuations passagères, se tiendrait à un équilibre permettant à chacun de s'épanouir.