Nous avons retrouvé un collègue américain qui semble très habitué à la vie à Istanbul, et il ne manque pas de nous briefer quant aux risques de ne pas ressortir vivant de ce pays soumis totalement à la main de fer de Recep Tayyip Erdogan, le président de cette république qui a pourtant été dans les années trente, la première démocratie arabe laïque
Malheureusement, depuis le coup d'État manqué de la nuit du 15 au 16 juillet 2016, des milliers d'opposants moisissent en prison. De plus, cette répression féroce ne connaît pas de frontière, et s'appuie sur les gouvernements dits populistes de la Hongrie, l'Italie, l'Autriche et la Pologne.
« Ladies and gentlemen, we are sorry for this delay, but the air police are stopping your plane ».
Le commandant de bord nous informe qu'une alerte à la bombe a fait évacuer l'aéroport et que nous ne pouvons qu'attendre la suite des événements.
Le personnel navigant passe entre les rangées de sièges pour rassurer les passagers et les haut-parleurs de l'avion nous annoncent qu'un repas va nous être servi durant cette attente.
Mon portable sécurisé se met à vibrer dans la poche intérieure de ma veste. Paris doit s'impatienter de ne pas avoir de nouvelle depuis notre arrivée programmée.
C'est en effet Auguste du Brian qui m'interpelle dès que je me connecte :
« Alors Doc, qu'est-ce qui vous arrive, vous deviez nous appeler dès votre arrivée au consulat. »
Si je ne me trompe, je me prends un « savon », pourtant je lui explique le retard pris par notre débarquement, ce qui ne manque pas de l'inquiéter car les relations se sont un peu tendues ces derniers jours, suite à l'élimination d'un opposant kurde en plein centre de Paris. L'assassin n'a même pas cherché à se dissimuler, et a disparu des caméras de surveillance en montant, suite à son forfait, dans une voiture banalisée qui a été retrouvée brûlée dans la banlieue du nord de la capitale.
La DGSE basée au 141 boulevard Mortier a formellement identifié un membre de l'ambassade ottoman, Farek Aslan, qui avait déjà été extradé du pays pour suspicion de participation logistique à l'assassinat de Sakine Ansiz en 2013. C'était une opposante très active à Erdogan, une des fondatrices du PKK au côté d'Abdullah Öcalan. Farek aurait été l'agent de liaison de Ömer Ziya Güney, décédé en prison avant son procès
Depuis ce nouvel attentat sur le sol français, le Président Al-Mansûr a rappelé notre ambassadeur en Turquie, pour « consultation ». Cette poussée de colère du président français a entraîné en retour une recrudescence des passages de réfugiés libyens vers les îles grecques et vers l'Italie, avec le soutien protecteur de la marine turque.
Reste que notre mission n'est pas annulée et que Paris maintient la recherche des commanditaires de l'attentat de Calais.
On me fait savoir que l'Ambassadeur français est rentré à Ankara, et que normalement des collègues doivent nous faciliter notre passage à la douane, car même si notre arsenal principal est arrivé par la valise diplomatique il y a deux jours, nos bagages en soute contiennent quelques armes de poing et leurs munitions.
Certes, elles sont dissimulées par un tout nouveau matériel de brouillage des rayons X qui fait que les douaniers n'y verront que notre matériel de toilette et deux paires de chaussures de marche, on ne sait jamais.
« Mesdames, Messieurs, nous venons d'avoir le feu vert pour aborder la passerelle qui va vous permettre de rejoindre le hall d'arrivée, merci de remettre au passage aux hôtesses la fiche d'immigration que vous avez remplie », après avoir répété le message en anglais, notre appareil s'arrête enfin. Il faut encore plusieurs longues minutes avant que les portes s'ouvrent, qui laissent entrevoir, en faction sur la passerelle, deux militaires en arme prêts à contrôler tous les passagers à la descente de l'avion.
Bien que nous voyagions en classe affaires, nos passeports sont immédiatement saisis et scannés sur un appareil situé derrière l'un des hommes. Ce n'est seulement après cette opération que nous pouvons parcourir la passerelle vers le contrôle des arrivées où je l'espère nous sommes attendus par le personnel du consulat.
En effet après avoir parcouru les longs couloirs et tapis roulants nous émergeons dans un hall flambant neuf. D'emblée, j'aperçois la pancarte aux couleurs de France brandie par un jeune diplomate accompagné de deux types en uniforme probablement de la police des frontières.
« Votre arrivée nous a été signalée de la passerelle mon général, avec l'aide de ces messieurs nous allons rejoindre rapidement les voitures, vos bagages suivront plus tard », nous annonce, tout sourire, notre compatriote.
Et en effet, encadrés par les deux hommes en uniforme noir assez galonnés et qui n'ont pas échangé un seul mot avec nous, Mathilde, Hugues, Margot, notre collègue américain et moi avons vite fait de rejoindre la sortie où nous attendent trois berlines encadrées de deux voitures banalisées mais gyrophares en action qui démarrent dès que nous nous sommes répartis à bord des deux voitures du Consulat. Malgré notre escorte, il va falloir plus de deux heures pour rejoindre le consulat depuis le nouvel aéroport international ce qui va nous permettre d'échanger avec l'attaché consulaire qui ne semble guère être informé de notre mission, si ce n'est qu'elle serait organisée en collaboration avec le MIT, ce qui ne manque pas de l'étonner.
Nous arrivons enfin devant le Consulat qui curieusement donne directement dans la rue et il nous faut gravir plusieurs marches afin de passer une double porte qui nous permet enfin de rencontrer le consul Monsieur Francis Fériaux qui semble s'impatienter à nous attendre depuis plusieurs heures.
« Désolé, Monsieur le Consul, notre avion a été bloqué à l'arrivée, et il faut reconnaître que bien que nos homologues turcs nous ouvraient le chemin, la route nous a paru plus longue que le vol Bruxelles Istanbul. »
Retrouvant malgré tout son sourire diplomatique, notre représentant national nous propose de le suivre vers son bureau qui se situe au fond du bâtiment en traversant un patio assez bien entretenu.
« Messieurs, je n'ai reçu que peu d'information de Paris concernant votre présence en Turquie, toutefois j'ai déjà reçu un appel de Monsieur Bahhardin Öztürk sous-directeur du MIT à Istanbul qui s'inquiétait de votre arrivée et souhaitait organiser une rencontre ».
Le Consul nous confirme qu'il a temporisé et promis de rappeler dès notre arrivée.
« Monsieur le Consul, je crois nécessaire pour mon équipe et mon collègue américain de prévoir un temps de repos et de concertation avant de rencontrer ce monsieur », je lui explique que nous devons nous organiser et élaborer notre plan d'action, car notre présence en Turquie se doit d'être la plus brève possible au risque de provoquer des réactions guères sympathiques de nos collègues turques.
Après une petite collation, chacun se voit désigner une chambre, j'ai demandé que nos chambres soient le plus possible communicantes, quatre d'entre nous vont pouvoir se voir sans attirer l'attention du personnel et des gardes. Hugues, Mathilde et Margot peuvent rejoindre ma chambre discrètement et je les y invite dans le quart d'heure qui suit. Le consul ayant organisé à 21 heures un repas avec les principaux collaborateurs du consulat en particulier l'attaché militaire que je connais depuis des années le colonel Gérard de Maillechort, ancien de l'aéronavale.
À l'heure dite, nous nous retrouvons dans ma chambre à quatre. Je les informe qu'il va falloir décider ceux d'entre eux qui vont m'accompagner de l'autre côté du Bosphore clandestinement afin de prendre contact avec les « rebelles » kurdes qui souhaitent nous rencontrer afin de monnayer les informations en leur possession à propos de l'organisation de l'attentat de Calais.
D'emblée, Hugues et Mathilde se proposent, certes ils sont les plus entraînés mais je vois bien que Margot qui n'a pas encore vraiment fait ses preuves dans notre équipe tourne son nez.
« Margot as-tu réussi à récupérer notre matériel et te connecter avec Paris ? ». Je l'interroge car c'est elle qui avait la responsabilité de la logistique.
Elle me confirme qu'elle a réussi dès son arrivée à la représentation française à récupérer tout le matériel y compris nos moyens sophistiqués de communication et m'informe que Paris souhaite un contact avec moi dès que possible.
Il est temps de les informer de mon projet d'opération que nous déclencherons cette nuit sans feu vert de Paris, et décide compte tenu des capacités de Margot de demander à Hugues d'assurer la liaison avec nos collègues américains qu'il ne s'agit pas d'informer de notre action sachant que j'ai prévu 72 heures avant notre retour à Istanbul.
Mathilde et Margot m'accompagneront donc au bateau du sieur Mahmud Özdernir qui nous attend à 01.00 heure à bord de sa vedette dont j'ai pu juger de la qualité sur les photos montrées par mon ami à Bruxelles.
Je donne donc mes instructions à Hugues afin de faire patienter tant le Consul que Paris et notre collègue américain qui va sûrement le harceler durant les trois jours à venir, sans compter les services du MIT qui vont sûrement ne pas rester inactifs.
Margot n'assistera pas au repas consulaire afin de préparer notre équipement et contacter notre capitaine pilote selon le code fixé par JP.
C'est à ce moment que trois coups plus un sont tapés à la porte de ma chambre. Je fais signe à mes acolytes de rejoindre leurs chambres. Et j'ouvre la porte du couloir pour voir apparaître le colonel de Maillechort, mon ancien compagnon de chambrée.
« Tu m'as demandé de passer discrètement te voir Alex, je suis là mais je n'ai que quelques minutes, le consul attend déjà dans la salle à manger. »
J'invite mon ami à entrer et nous prenons place dans les deux fauteuils que viennent tout juste de quitter mes « hommes ». S'il est attentif, il doit deviner que le fauteuil était occupé quelques secondes avant, mais il n'en dit rien.
« J'ai un service à te demander, Gérard, il me faut une voiture vers minuit et demi pour me rendre sur les quais du Port Enterance sachant que nous serons trois, équipés pour une expédition vers le Kurdistan. Nous devons nous exfiltrer du consulat discrètement, notre point de rendez-vous pour traverser s'y trouve à 01.00 heure. »
Ma demande n'a pas l'air de surprendre le colonel qui s'engage à faire préparer une voiture qu'il conduira lui-même, à cette heure-là en moins d'une demi-heure on y sera, selon lui. La voiture sortira du consulat par un garage souterrain vers l'arrière des bâtiments, elle ne pourra pas être repérée selon lui.
« Merci je n'avais pas vraiment de solution tu vas nous faire gagner beaucoup de temps, je vais pouvoir donner le feu vert à Paris ».
« Allons dîner maintenant, cher ami. »