Omar est venu les chercher, il a voulu sortir les vers du nez à sa tendre épouse mais elle ne faisait que rassurer. Même ses enfants n'ont pas parlé à la demande de leur mère.
Cette nuit, Khar n'a pas dormi. De 1 heure du matin à 4 heures, elle ne cessait de prier avec son chapelet. Prier pour Issa, prier pour que cette diffamation dont elle est victime n'existe plus.
Ass l'a trouvée dans le salon. S'essuyant les yeux avec un côté de son voile. Il n'a rien dit, il s'est seulement couché sur sa cuisse pliée. Elle a sursauté un peu mais n'a rien dit. Il faut qu'elle reste forte, surtout pour ses enfants qui n'auraient pas dû être présent lors de cette humiliante scène.
C'est en serrant la cuisse de sa mère que le petit a pu dormir paisiblement.
Le matin, comme à son habitude, Khar et ses enfants étaient déjà prêts. Omar faisait entrer la marchandise de Khar derrière, dans la malle. Dans la voiture, Omar discutait mais Khar répondait distraitement. Il lui caresse tendrement la main pour ramener en quelque sorte son esprit au moment présent. Sa femme se retourne pour lui servir un sourire afin de le rassurer.
La vente de Khar a été bien rangée et ses fils grignotaient des biscuits attendant qu'il reste dix minutes pour entrer en classe.
Ass et son frère sont partis. L'aîné avant de s'en aller a pris longuement sa mère dans ses bras. Comme s'il avait compris quelque chose, quelque chose qui se passera et qu'il ne peut pas dire.
Khar était ému. Elle savait que son fils était éveillé en plus d'être très poli. Il savait quand sa mère souffrait ou non. C'était la raison pour laquelle hier soir, il n'a pas dormi. Il est sorti avec courage se soulager, c'est à ce moment-là qu'il a entendu sa mère prier. À voix basse mais la prière était tellement sincère qu'il l'a peut-être sentie.
Khar lui donne un autre Bonbon qu'il a refusé de prendre, disant qu'il n'avait pas faim. Amadou, lui il a mis dans son sac avant de faire un sourire à sa maman.
Ses enfants partis, elle se sentait seule. Ses bonbons étaient presque finis. Elle a cherché Issa partout mais ne l'a pas vu. Cela voulait dire qu'il n'était pas guéri et même que probablement la maladie s'est empirée. Elle angoisse en y pensant.
Khar est revenue de chez elle avec ses deux glacières. La cloche assourdissante venait de sonner. Les élèves mangeaient avant de venir acheter du jus. Les professionnels eux, achetaient déjà les jus locaux de Khar.
Alors qu'elle mettait dans un sachet noir des bouteilles achetées par une dame pour ses coéquipiers au bureau, elle voit la mère d'Issa habillée en habit traditionnel simple, des lunettes noires cachant ses yeux. Son sourire se fige en la voyant ainsi mais elle refuse de comprendre ce qui paraît évident à ses yeux.
-J'ai fait un déplacement personnel malgré la douleur pour te féliciter. Non, tu peux continuer à sourire. Tranquillement! Tu as rongé hier soir la dernière partie du cœur de Mon Fils. Il est mort, il ne reste plus rien de lui. IL EST MORT! MORT! Ce matin. Tu m'as pris mon Benjamin. Il n'avait que 8 ans. Son père et moi avions placé tous nos espoirs sur sa soeur et lui. Quel genre de personne es-tu? Ah j'oubliais, tu es une sorcière. Une sorcière!
-Arrêtez, balbutie Khar. Je n'ai rien à voir avec la mort d'Issa. Si je devais lui faire quelque chose, autant le faire à mon fils qui a le même âge que lui. Vous ne me connaissez pas et votre accusation est infondée. Je ne suis pas une sorcière je n'ai mangé le cœur de personne.
Les clients s'en allaient sans aucune discrétion, la regardant avec de la méfiance. Même celle qui l'a défendue la veille n'a pu rien dire aujourd'hui. Pour eux Issa est mort et c'est Khar qui a mangé son cœur. Khar est une sorcière aux yeux de tous.
Ses enfants encore présents devant la scène se montraient spectateurs.
Khar voulait retenir ses clients mais qu'est ce qu'elle peut bien leur dire.
Seynabou Keïta est partie sans oublier de lui rappeler qu'elle paiera pour tout ça. Les vendeuses qui étaient assis à côté d'elle ont changé de place, ils la regardaient avec dédain. Et pourtant ce sont ceux-là même qu'elle aidait pour terminer leur vente alors qu'elle avait tout vendu depuis longtemps. Ce sont eux-mêmes qui lui tournent le dos.
Khar se sentait mal. Être accusée de sorcière dans un tel pays te met face à toute la société. Tu es pointée du doigt. Personne ne veut te fréquenter, les parents interdiront à leurs fils de jouer avec les tiens. Tu ne vaudras plus rien aux yeux des autres. Sans dignité, sans défense! Poussant même au suicide.
Khar n'avait plus la force d'attendre l'arrivée d'Omar. Ces chuchotements et ces regards de peur qu'on lui sert ne le lui permettront pas cela. Avec ses enfants donc, elle est allée à l'arrêt de bus pour rentrer à la maison. Sa maison!
Hélas! Elle a trouvé un grand rassemblement de femmes et d'hommes devant chez elle, tambourinant avec des pilons ou des chaussures la porte de chez elle. Les autres habitants de la maison, ses colocataires se sont enfermés dans la maison.
Khar a eu peur. Lorsque l'une d'elles l'a bien observé, elle a crié très fort que c'est elle Khar. Que c'est elle qu'ils cherchent tous. Sans ambages, ils se sont jetés sur elle. Les coups pleuvaient de partout. Elle n'a plus senti les mains de ses enfants s'agrippant sur elle. Ils sont entrain de recevoir des coups de l'autre côté. Khar tentait de se faufiler pour protéger ses petits mais elle est tombée. Plusieurs personnes sont montées sur elle. Et c'était des insultes en bambara et des coups insupportables. Ses cris ne valaient rien.
Grâce à Dieu, des environnants ont non seulement fait entrer les enfants dans la maison mais ils l'ont aussi soulevé pour la porter jusqu'à l'intérieur.
Ses colocataires n'ont même pas daigné ouvrir la porte et la soutenir. Personne!
Khar se sentait mal.
C'est comme si un camion chargé a traversé son corps. Ses enfants pleuraient de douleur et elle avait du mal à les soigner. On dirait que son bras gauche est cassé.
Ils n'ont même pas eu pitié de ses enfants. Ils sont plus qu'innocents. Pour eux, ils ont hérité de la "sorcellerie" de leur mère.
Khar mettait de l'alcool sur les plaies des deux frères. Toujours en pleurs, elle se sentait coupable. Coupable par tout ce qu'ils vivent malgré leur jeune âge.
De la cour, les résidants de la maison fulminaient. Ils disaient clairement, voulant sûrement se faire entendre par la concernée que Khar est en réalité une sorcière et que vivre dans cette maison relève d'une insécurité. Ils donnaient des exemples sur leurs enfants qui ont une fois crier pendant leur sommeil. Inventant toutes sortes de choses incroyables. Khar ne s'est pas trop préoccupée de ça. Amadou pleurait beaucoup trop. Son pauvre corps n'a pas supporté une agressivité pareille.
Omar est arrivé très tard. Après 0 heure. Il a trouvé sa famille dans la chambre des enfants. Ass dormait déjà dur le lit. Amadou aussi mais sur la poitrine de sa mère. Khar pleurait doucement en lui caressant la joue.
-Khar? S'inquiète Omar. Khardiata? Qu'est ce qui se passe? Dis-moi!
Elle a couché son petit garçon avec beaucoup d'attention avant de prendre la main de son mari pour bien parler dans la chambre d'en face, la leur.
-Les enfants n'ont pas l'air bien. Ils ont des bandages partout. Et toi? Tu es au plus mal. On vous a agressé. En plus, Biteye, celui qui vit en face m'a dit de me méfier car j'ai épousé une sorcière. Qu'est ce que c'est que cette histoire, Khardiata.
Elle se met à genoux avant de lui prendre les mains.
Elle déballe tout. Tout ce qui s'est passé ces 3 derniers jours. Son mari était sidéré, à tel point qu'il a mis ses deux mains sur sa tête en signe de désespoir.
-Je ne suis pas une sorcière. Tu dois me croire, Omar. Je te jure que je n'ai aucun pouvoir. Je n'ai pas mangé ce petit. Tu dois me croire, s'il te plaît. C'est une injustice. Ne m'abandonne pas. Je t'en supplie. Pleure-t-elle.
-Je ne vais pas te laisser. Calme-toi Khardiata. Hé, fais-moi confiance. Je n'ai jamais pensé que tu étais une sorcière. Jamais! Et ce n' est pas parce qu'une inconnue t'accuse que je vais te laisser, croyant toutes ces salades. Tu es ma femme et je te fais confiance. L'Africain est comme ça. Facilement, ils peuvent te traiter de sorcier. Mais ne t'en fais pas, je suis là. Avec vous, ce n'est qu'une mauvaise passe, on va tout surmonter. Je veillerai sur vous. Inshallah.
Le lendemain, Omar devait les amener à l'hôpital pour qu'on les consulte car Khar avait un bras cassé et une entorse au pied, Amadou a des lésions très sérieuses, Ass qui s'est un peu défendu possède des blessures moins graves.
Omar attendait Khar et ses enfants dans le taxi, tôt ce matin.
Khar a bien fermé la porte de son appartement. Puis elle a porté Amadou sur son épaule droite faisant attention à son bras. Et c'est parti pour l'hôpital.
-Omar, déverrouille les portes, s'il te plaît. Demande-t-elle à travers la vitre du côté passager.
Il ne répond pas mais fixe Khar.
-Je sais que tu es fatigué et que tu n'as pas dormi hier à cause de mes cris de douleur mais nous allons être en retard. Omar, c'est à toi que je parle.
Elle fait descendre Amadou, contourne la voiture en boitillant pour soi-disant aller lui tirer les oreilles.
Elle ouvre la portière et change la position de sa tête.
-Oh mon Dieu! Arrive-t-elle à dire.
Découverte macabre!
Surprise désagréable!
Douleur incontestable!
Qu'est ce qui se passe?
Omar? Pourquoi? Pourquoi lui?
Qu'est ce qui se passe ici? Et ce qu'il lui a dit hier? Qu'il ne la laissera jamais. Qu'il sera là pour les protéger.
Qui a fait ça? Qui lui a pris son mari? Son appui? Le père de ses bouts de bois? Qui a fait ça? Pourquoi a-t-il fait ce truc? Sur quelle base? Que lui a fait Omar?
POURQUOI ELLE RETROUVE SON MARI ÉGORGÉ?
Cela fait à peine dix minutes qu'il est sorti. La porte n'a pas été cassée et le petit tiroir qui contient ce qu'il gagne n'est pas ouvert. Ils n'ont rien pris. Ce ne sont pas des malfaiteurs dans ce cas. Ce crime a été commandité.
Le responsable auquel Khar pense n'est pas censé connaître son mari. Si c'est elle, il n'y est pour rien dans cette affaire. Elle aurait pu la tuer elle mais pas son mari. Pas Omar. Pas lui! Pas lui!
Khar tremble, comme cette feuille d'hiver. Elle vient de se rendre compte que ses enfants ont vu. Ils ont vu le corps sans vie de leur père. Les yeux ouverts comme s'il les regardait.
Cette image, ils ne l'oublieront pas de si tôt.
Khar a posé ses genoux par terre, sur le sable, elle lui a pris la main. Avec le contact de sa peau déjà froide, elle sanglote bruyamment. Ses enfants avaient depuis qu'ils l'ont découvert commencé à pleurer en criant "pape".
Désemparée, Khar a couru à l'intérieur de la maison pour demander de l'aide. Elle croyait qu'il était encore possible de sauver son mari.
Malheureusement, personne n'est sorti de sa chambre. Absolument personne. Ils ont fait fi de ses hurlements et de ses appels au secours. Elle est entrée dans une des chambres, à peine commence-t-elle à expliquer qu'elle se fait renvoyer.
Elle court encore et c'est pour arrêter les voitures afin qu'ils transportent son mari à l'hôpital. Quelqu'un s'est arrêté pour savoir ce qui la met dans cet état. Elle l'a amené au niveau du taxi. Cependant lorsque l'homme découvre ce qui se passe, il refuse de prendre la responsabilité. Khar lui a demandé d'appeler une ambulance mais il n'a pas écouté, il a presque fui.
Elle ne connait pas le numéro des ambulances.
Que faire?
Elle se rassoit par terre et implore son Seigneur de lui venir en aide. Elle se relève et interpelle encore les automobilistes. Un d'entre eux a accepté de l'amener jusqu'à l'hôpital mais ils devront se mettre à la place des moutons. Avec son aîné, Khar a réussi à le faire monter même si avec un bras ce n'est pas évident. Avec ses enfants, elle pleurait de plus en plus fort. Omar ne respire visiblement plus. Les battements du coeur de Khar sont de plus en plus frénétiques.
L'inconnu les a déposé à l'hôpital Fann. Là bas, ils l'ont immédiatement reçu
Ce qu'elle ne voulait croire est ce que lui a dit le médecin. Qu'Omar était mort. Celui-là lui a proposé de faire une déposition auprès de la police afin qu'une enquête soit lancée et qu'on retrouve le coupable.
Khar ne l'a pas trop écouté. Ce qui était urgent est de pleurer la mort prématurée de son cher et tendre époux, 35 ans il n'avait que cet âge-là.
Difficilement, elle a pu prévenir sa famille qui est maintenant à Thiès. Ils n'y croyaient pas tellement Khar était sereine et calme. En fait il le fallait pour ses enfants qui doivent voir en elle une certaine force même si elle n'est qu'apparente.
Le lendemain, la levée du corps a
été faite. Il n'y avait que les collègues d'Omar, ses amis du garage, la famille de Khar. Ses voisins ne sont pas venus. Et même à la maison, ils n'ont pas voulu présenter les condoléances à Khar.
Les parents de Khar étaient tristes pour elle. Elle se retrouve veuve à 29 ans. Seule pour prendre soin et éduquer deux garçons. Ce n'est peut-être pas impossible mais ça reste difficile.
Au huitième jour, après le récital du Coran, les parents de Khar sont rentrés. Sa solitude était plus que ressentie. Ses enfants ne sont pas retournés à l'école depuis lors. Khar avait déposé la plainte contre X pour dévoiler celui qui lui a pris son mari.
Le soir, alors qu'ils étaient déjà entrain de dormir, des coups assourdissants se sont faits entendre à la porte de son appartement.
Inquiète, elle est allée ouvrir et c'est la police. Ils ont présenté un mandat d'arrêt contre elle pour le meurtre de son mari. Elle n'avait rien compris. Ou si, on vient de l'accuser d'avoir assassiné son propre mari. C'est absurde!
Elle a accepté de les suivre pour éviter qu'on lui passât les menottes à cause de son plâtre. Ses enfants pleuraient encore en lui demandant où elle allait. Elle a juste demandé à Ass de fermer la porte et de s'occuper correctement de son frère.
Khar a été conduite dans une cellule, elle était là bas avec d'autres femmes. Elle ne s'est pas rebellée et n'a pas demandé d'explications. Pour elle, c'est juste un quiproquo et ça va se résoudre.
Au milieu de la nuit, elle a senti une douleur lancinante au bas ventre et plus les minutes passent plus cela devient insupportable. Elle a senti comme des écoulements et chaque fois que ça sortait, on dirait qu'on lui ouvre le ventre avec une machette. Elle a crié, la garde pénitentiaire l'a menacée.
C'est uniquement quand une détenue a vu des taches de sang sur le carrelage qu'elle a dit à la garde de venir la faire sortir car cela ressemble à un avortement.
Et c'était bien cela. À l'infirmerie, ils lui ont confirmé cela et elle a été acheminée à l'hôpital le plus proche pour une prise en charge. Seule sur une table en fer avec une infirmière désagréable, elle a perdu le bébé. Un bébé d'Omar.
Dès 7 heures, elle est retournée en prison. Elle n'était pas dans son état normal ni physiquement ni moralement. Elle a perdu beaucoup de sang et est encore faible. Elle pensait à ses enfants qui se sont réveillés sans elle. Et si les émissaires de Seynabou Keïta reviennent et leur font du mal. Que va-t-elle faire?