Quand vient l'amour 2
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Chapitre 5 Chapitre 5

Tessa Quand je remonte dans ma voiture, je ne me mets pas à pleurer comme j'aurais cru le faire. Je reste juste assise derrière le volant et je regarde devant moi. La neige s'est déposée sur le pare-brise et me cache du monde extérieur. Puis le vent se déchaîne, il emporte la neige en tourbillons et m'offre un refuge à l'intérieur. À chaque flocon qui se pose sur la vitre, une barrière s'installe entre la dure réalité et la voiture. Je n'arrive pas à croire qu'Hardin soit venu à l'appartement pendant que j'y étais. J'avais espéré ne pas le croiser.

Pourtant, ça m'a aidée, pas pour la douleur mais pour la situation en général. Au moins maintenant, je peux tourner la page de ce chapitre désastreux de mon existence. Je veux le croire, je veux croire qu'il m'aime, mais j'étais trop crédule quand je me suis mise dans cette situation. Et qu'est-ce que ça change qu'il m'aime ? Ça n'effacera pas tout ce qu'il a fait. Ça n'enlèvera rien à cette terrible farce, à son abominable vantardise sur nos rapports, ni à ses mensonges. J'aimerais pouvoir payer le loyer de cet appartement toute seule, y rester et en chasser Hardin. Je ne veux pas retourner à la cité U et avoir une nouvelle coloc. Je ne veux pas partager une salle de bains. Pourquoi tout a-t-il commencé par un mensonge ? Si nous nous étions rencontrés d'une autre manière, nous pourrions être dans cet appartement maintenant, à rire sur le canapé ou à nous embrasser dans la chambre. Au lieu de quoi, je suis seule dans ma voiture et je n'ai nulle part où aller. Lorsque je mets la clé dans le contact, mes mains sont gelées. Pourquoi ne pouvais-je pas devenir SDF pendant l'été ? J'ai encore l'impression d'être Catherine, mais cette fois-ci pas ma Catherine habituelle, celle des Hauts des Hurlevent. Non, cette fois-ci, je m'identifie à la Catherine de Northanger Abbey 1 : en état de choc et forcée d'entreprendre un grand voyage seule. Bon, je n'ai pas à parcourir plus de cent kilomètres en partant de Northanger, totalement humiliée après en avoir été chassée, mais tout de même, je ressens sa douleur. Je n'arrive pas à décider quel personnage attribuer à Hardin dans cette version de l'histoire. D'un certain côté, il est comme Henry, intelligent, plein d'esprit et sa culture littéraire est aussi grande que la mienne. D'un autre, Henry est bien plus gentil qu'Hardin qui, sur ce point, ressemble plus au personnage de John : arrogant et insolent. En errant sans but à travers la ville, je me rends compte que les mots d'Hardin résonnent en moi plus que je voudrais l'admettre. Le voir me supplier a pratiquement recollé les morceaux, juste pour tout casser de nouveau. Je suis certaine qu'il ne veut me faire rester que pour se prouver qu'il peut le faire. Ce n'est pas comme s'il s'était mis à m'appeler ou m'envoyer des messages depuis mon départ. Je me force à retourner sur le campus pour passer mon dernier examen avant les vacances de Noël. Je me sens si détachée pendant l'examen que c'est impossible que les autres ignorent ce que je traverse. Au fond, un sourire hypocrite et un peu de conversation peuvent masquer une douleur des plus atroces. J'appelle ma mère pour savoir si elle a pu m'obtenir une nouvelle chambre, mais je n'obtiens d'elle qu'un vague « pas de chance » marmonné avant de raccrocher rapidement. Je conduis encore sans vraiment savoir où aller et je me retrouve à quelques rues de chez Vance. Là, je me rends compte qu'il est cinq heures du soir. Je ne veux pas profiter de la générosité de Landon et lui demander encore de dormir chez eux. Je sais que ça ne lui poserait pas de problème, mais je n'ai pas à entraîner la famille d'Hardin dans ce désastre et, en toute honnêteté, il y a trop de souvenirs dans cette maison. Je ne le supporterai pas. Je dépasse une rue bordée de motels et me gare devant l'un des plus potables. Je réalise que je n'ai jamais couché dans un motel, mais puisque je n'ai nulle part où aller... Le petit homme derrière le comptoir a l'air assez gentil lorsqu'il me sourit pour me demander une pièce d'identité. Quelques petites minutes plus tard, il me tend une carte magnétique et un bout de papier avec le code Wifi dessus. C'est bien plus simple que je l'aurais cru, un peu cher, mais je ne veux pas dormir dans un établissement au rabais et risquer ma sécurité. – Votre chambre se situe au bout du trottoir à gauche, me dit-il en souriant. Je le remercie et ressors dans l'air glacé pour déplacer ma voiture devant la chambre et m'éviter d'avoir à trop porter mes sacs. Voilà ce que je suis devenue à cause de ce garçon égotiste et sournois : une personne qui loge dans un motel, seule, avec toutes ses affaires fourrées pêle-mêle dans des sacs. Une personne sans ami sur qui s'appuyer, au lieu d'être celle qui a toujours un plan. J'attrape mes sacs et ferme ma voiture qui a l'air d'une poubelle comparée à la berline garée juste à côté. Au moment où je pense avoir touché le fond, un de mes sacs m'échappe et s'écrase sur le trottoir enneigé. Mes vêtements et quelques livres tombent sur la neige humide. Je me précipite pour les ramasser de ma main libre, craignant de voir de quels livres il s'agit : je ne pense pas être en mesure de supporter en plus la destruction de ce qui m'est le plus précieux, pas aujourd'hui. – Laissez-moi vous aider, Mademoiselle, dit un homme derrière moi en tendant la main pour m'aider. Tessa ? En état de choc, je lève les yeux et rencontre un regard bleu plein de sollicitude. – Trevor ? Que fais-tu ici ? – Je te demanderais bien la même chose ! – Euh... Je... Je mordille ma lèvre inférieure, mais il m'épargne d'avoir à fournir une explication en m'interrompant : – Ma tuyauterie a pété les plombs, alors me voilà. Il se penche, ramasse quelques-unes de mes affaires et me tend un exemplaire détrempé des Hauts de Hurlevent en levant un sourcil. Puis, il ajoute quelques pulls mouillés et Orgueil et préjugés en ajoutant tristement : – Tiens... Celui-ci est en mauvais état. À ce signe, je sens que l'univers s'est ligué contre moi. Mais il ajoute en souriant gentiment : – Je me doutais que tu aimais les classiques de la littérature. Il me prend les sacs des mains, je lui adresse un petit signe de tête en guise de remerciement avant de glisser la carte magnétique dans la serrure. La chambre est gelée, je me dirige immédiatement vers le chauffage pour le mettre au maximum. – Vu le prix qu'ils font payer, on pouvait espérer que la facture d'électricité ne soit pas leur souci, commente Trevor en posant mes sacs sur le sol. Je souris en acquiescant. J'attrape les vêtements tombés par terre et les étends sur la barre du rideau de douche. Lorsque je reviens dans la pièce principale, un silence gêné s'installe avec ce garçon que je connais à peine, dans une chambre qui n'est pas vraiment la mienne. J'essaie d'entamer la conversation pour apporter un peu de vie à l'espace. – Ton appartement est dans le coin ? – Ma maison. Oui, juste à un ou deux kilomètres. J'aime bien habiter près de mon travail, ça me permet de n'être jamais en retard. – C'est une bonne idée... C'est exactement le genre de chose que je ferais. Trevor a l'air si différent lorsqu'il n'est pas habillé pour aller travailler. Je ne l'ai vu qu'en costume, mais là, il porte un jean bien ajusté et un pull rouge. Ses cheveux, d'ordinaire parfaitement modelés à grand renfort de gel, sont en bataille. – Je le crois aussi. Alors, tu es toute seule ? Il baisse les yeux au sol, à l'évidence mal à l'aise à l'idée d'être indiscret. – Ouais. Je suis seule. Encore plus qu'il le croit. – Je ne veux pas me mêler de ce qui ne me regarde pas, mais je te demande juste ça car ton petit ami n'a pas l'air de beaucoup m'apprécier. Il rit à moitié et repousse ses cheveux noirs de son front. – Oh, Hardin n'aime personne, ne le prends pas pour toi. (Je me ronge les ongles.) Ce n'est pas mon petit ami, en revanche. – Oh, désolé. J'ai juste cru qu'il l'était. – Il l'était... enfin plus ou moins. L'était-il ? Il a dit que oui. Mais bon, Hardin a dit beaucoup de choses. – Oh ! encore désolé. Je n'arrête pas de dire tout ce qu'il ne faut pas, admet-il en riant. – C'est pas grave. Peu importe. – Tu veux que j'y aille ? Je ne voudrais pas m'imposer. Il se tourne à moitié vers la porte pour me montrer qu'il le pense vraiment. Je défais mes sacs. – Non, non, tu peux rester. Si tu veux, bien sûr. Comme tu veux. Qu'est-ce qui ne va pas chez moi ? – Alors c'est décidé, je reste ! Il s'assied sur la chaise à côté du bureau. Je cherche où je pourrais m'asseoir et, finalement, j'opte pour le coin du lit. Je suis assez éloignée de lui, en fait cette chambre est très spacieuse. – Alors tu te plais chez Vance ? me demande-t-il en suivant du bout des doigts les motifs du bois sur le bureau. – Beaucoup. Bien plus que ce que je croyais. C'est vraiment le boulot de mes rêves. J'espère être engagée quand j'aurai terminé mes études. – Ça ne m'étonnerait pas qu'on t'offre un poste bien avant. Christian t'aime beaucoup. L'autre jour, pendant le déjeuner, il n'a fait que parler du manuscrit que tu avais rendu. Il dit que tu as l'œil, de sa part, c'est un énorme compliment. – Vraiment ? Il a dit ça ? Je ne peux m'empêcher de sourire. C'est très étrange et inopportun comme sensation, mais réconfortant en même temps. – Ouais, sinon pourquoi t'aurait-il invitée à la conférence ? Nous n'y allons que tous les quatre. – Tous les quatre ? – Ouais. Christian, Kim, toi et moi. – Oh ! je ne savais pas que Kim venait. J'espère sincèrement que Monsieur Vance ne m'a pas invitée seulement parce qu'il s'y sent obligé à cause de ma relation avec Hardin, le fils de son meilleur ami. – Il ne pourrait pas partir en week-end sans elle, me taquine Trevor. Pour ses talents de gestion et d'organisation, bien sûr. Je lui offre un petit sourire. – Je vois. Pourquoi viens-tu alors ? Je me mets une gifle mentale de lui avoir posé cette question. – Je veux dire, pourquoi es-tu du voyage, puisque tu travailles à la comptabilité, non ? J'essaie de clarifier ma question, mais il répond : – Je comprends. Vous, les littéraires, vous n'avez pas besoin du matheux dans vos pattes. Il grimace, ce qui me fait rire, rire vraiment. – Christian ouvre un second bureau à Seattle dans peu de temps et nous avons des rendez-vous avec un investisseur potentiel. Et nous allons chercher des locaux, donc il a besoin de moi pour s'assurer du prix, et de Kimberly pour vérifier qu'ils correspondent à notre façon de travailler. – Tu es aussi dans l'immobilier ? La pièce s'est enfin réchauffée, je retire mes chaussures pour m'asseoir en tailleur. – Non, non, pas du tout, mais je suis doué avec les chiffres, se vante-t- il. Ce sera sympa en plus. Seattle est une belle ville. Tu y es déjà allée ? – Ouais, c'est ma ville préférée. Non pas que j'aie beaucoup d'autres exemples. – Moi non plus. Je suis originaire de l'Ohio, alors je n'ai pas vu grand- chose. Comparé à l'Ohio, Seattle, c'est un peu New York. Soudain très intéressée par la vie de Trevor, je lui demande : – Qu'est-ce qui t'a fait venir dans l'État de Washington ? – Ma mère est morte lorsque j'étais en terminale et il fallait que je parte. Il y a tant de choses à découvrir, non ? Alors juste avant qu'elle meure, je lui ai promis que je ne passerais pas ma vie dans l'horrible ville où nous vivions. Le jour où j'ai été accepté à WCU a été le meilleur et le pire de ma vie. – Le pire ? – Elle est décédée ce jour-là. Ironique, non ? Il sourit à peine. La façon dont sa bouche se soulève est adorable. – Je suis désolée. – Non, ne le sois pas. Elle faisait partie de ces gens dont la place n'est pas auprès de nous. Elle était trop généreuse, tu vois ? Ma famille a eu plus de temps avec elle qu'elle le méritait et je ne changerais rien à l'histoire. Et toi ? Tu vas rester ici pour toujours ? me demande-t-il avec un vrai sourire. – Non, j'ai toujours voulu vivre à Seattle, mais ces derniers temps, je souhaitais aller encore plus loin. – Tu devrais. Tu devrais voyager et voir tout ce que tu peux. Une femme comme toi ne devrait pas être enfermée dans une cage. Il doit avoir remarqué quelque chose d'étrange sur mon visage, car il reprend rapidement. – Désolé... Je veux juste dire que tu pourrais faire tellement plus. Tu as beaucoup de talent, je peux te le dire. Ce n'est pas ce qu'il dit qui me perturbe, c'est plus sa façon de dire que je suis une femme qui me rend heureuse. Je me sens toujours comme une enfant car je n'ai jamais été traitée autrement. Trevor n'est qu'un ami, un nouvel ami, mais je suis très heureuse d'être en sa compagnie en cette terrible journée. Je lui demande : – Tu as dîné ? – Pas encore. J'étais en train de me demander si j'allais ou non commander une pizza pour ne pas avoir à affronter le blizzard, répond-il en riant. – On pourrait en partager une ? – Affaire conclue. C'est le plus gentil regard que j'ai vu depuis longtemps.

                         

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