Chapitre 6 L'Épée de Damoclès (1)

Ma tête cogne contre la vitre et le choc me réveille brusquement. Je nettoie le filet de salive au coin de ma bouche avec le manche de mon pull.

Je me redresse correctement sur la banquette arrière de la voiture dans laquelle je suis.

Nous sommes garés dans le parking en face d'une Église.

Le chauffeur de la voiture est assis à l'avant, la radio jouant des musiques rétros.

Je jette un coup d'œil à l'extérieur et je constate que la messe est finie. Une foule de personnes est amassée à l'extérieur de la bâtisse imposante. Mon regard se pose sur Robin qui discute avec un vieil homme et un prêtre.

J'essaie d'ouvrir la portière mais celle-ci est bloquée. Le chauffeur remarquant mon geste, la débloque à son niveau et je sors de l'habitacle.

Le ciel s'est un peu dégagé aujourd'hui, le soleil fait son apparition derrière les nuages restants. Les rayons solaires caressent mon visage et je m'étire pleinement, craquant quelques os de mon corps engourdi. La cloche de l'Église retentit enfin marquant le début de l'après-midi, le son me vrillant les tympans par la même occasion.

Robin se retourne et me fait signe de la main d'approcher. Je traverse la route et la rejoins en quelques pas.

Le vieil homme avec qui elle était me sourit tendrement et je ne peux m'empêcher de lui rendre son sourire. Grand de taille, soigné, assez mince et les cheveux grisonnant, il a la même couleur de peau que Robin et ils se ressemblent un peu tous les deux. Sauf ses yeux qui ont une couleur bleue. Il utilise une canne en bois noir sculptée avec des figures animales pour se tenir debout. Je présume que le monsieur doit être le grand-père de mon amie.

- Pépé, voici la petite sœur de ma meilleure amie, Éliane.

Il me tend la main et je la lui serre.

- Enchanté jeune fille. Vous êtes ravissante.

Je sens mes joues chauffer et je bafouille une réponse, prise de court par son compliment. Je tourne ma tête vers le prêtre à présent, qui depuis tout à l'heure me fixe les sourcils froncés.

- Monseigneur Delacroix, voici Éliane, la petite sœur de mon amie. Je l'héberge chez moi pendant quelques jours.

Il esquisse un semblant de sourire et me tend la main gauche où son chapelet y est enroulé pour que je la serre.

- Ellie, voici l'Évêque Delacroix. Il est aussi prêtre exorciste.

Il met une pression particulière sur ma main et je fronce les sourcils à mon tour.

- Vous avez une aura... intéressante jeune fille, dit le prêtre dans un ton sinistre.

J'enlève ma main rapidement et je croise mes bras sur ma poitrine. Un frisson m'a traversé l'échine lorsqu'il a prononcé cette phrase.

- Il va officier la messe et bénir le repas lors de l'anniversaire de mon grand-père la semaine prochaine, continue Robin enjouée de l'événement dont elle est l'organisatrice.

J'observe l'homme religieux qui porte son intérêt sur Robin à présent. Malgré sa soutane, il paraît lui aussi mince. Moyen de taille et brun. Ils continuent à discuter et au bout de quelques minutes on se sépare.

Robin et moi reprenons la voiture et le chauffeur nous ramène directement chez elle.

Dès qu'elle ouvre la porte de la maison, je me précipite aux toilettes à l'étage pour vomir mon petit-déjeuner. Pendant tout le trajet j'avais des bouffées de chaleur et des remontées acides que je refoulais.

Je remonte la manche gauche de mon pull et constate avec horreur que les marques de mon bras bougent. Les ailes des papillons bleues s'agitent tout autour de mon bras et ma peau picote. J'ai les larmes qui montent aux coins de mes yeux. Je ne sais pas quoi faire...

J'entends quelques coups légers à la porte.

- Éliane, ça va ? Je t'ai entendu vomir. Il y a un problème ?

- Oui... ça va Robin. J'avais juste le mal de voiture c'est tout.

- Okay. Je suis là si tu veux quelque chose...

Je ne réponds pas. Elle reste encore un moment derrière la porte, hésitante, puis redescend au rez-de-chaussée. Je me lave le visage et me mire. Le bas de mes paupières est un peu rouge et j'arrange mes cheveux.

Le téléphone dans la poche de mon pantalon vibre, un message:

«C'est Philippe. Viens à la boutique, on doit discuter de quelque chose d'important. »

***

- Tu vas m'aider à organiser l'anniversaire du grand-père de ton amie.

Je lève les sourcils.

- Pourquoi ?

- Parce que tu es mon employée.

- Et ? Je ne sais pas faire ces trucs, dis-je irritée.

- Je sais. Tu vas juste superviser l'installation. Mon équipe a commencé la décoration de la salle aujourd'hui. J'y étais. Je veux juste que tu vérifies que ça avance mardi, vendredi et samedi matin le jour j.

- D'accord...

Il me remet un plan organisationnel de l'événement. Je le lis attentivement. Philippe fait le tour du comptoir qui nous séparait et se place à mes côtés. Je lève ma tête et il continue de me fixer. Je soulève un sourcil, perplexe.

- Un problème ?

Il ne répond pas et tire mon bras gauche soudainement vers lui pour soulever la manche. Les papillons bleus continuent de mouvoir sous ses yeux et il ne semble même pas surpris. Au contraire, son expression faciale semble durcir.

- Qu'est-ce que tu fais ? Dis-je en voulant retirer mon bras de sa poigne mais il tient bon et resserre sa main sur mon poignet.

- Depuis quand tu as ça ?

- Je...

- Pourquoi tu as pactisé avec la mort ?

- Je n'ai jamais pactisé !

- Ah bon ? Explique ces papillons alors. Tu vas crever avant d'avoir atteint 20 ans.

- Je... Ça ne te regarde pas !

Son expression de visage s'adoucit et il me laisse. Il remonte ses lunettes et part s'asseoir sur une des chaises.

- Si ça ne me regarde pas, pense au moins à ta soeur qui s'inquiète pour toi.

Je baisse mon regard au sol et me mord la lèvre inférieure.

Je le guette encore une fois du regard. Philippe est toujours assis, tête baissée. Il tient sa tête et semble se parler tout bas. Sans attendre une minute de plus, je déserte les lieux.

***

Mardi dans l'après-midi après les cours, je me suis rendue aux lieux de l'événement en préparation. La salle de fête appartient à Philippe et il avait prévenu les employés que je viendrai superviser l'installation de la décoration.

La salle louée est grande, pour ne pas dire immense. Robin ayant opté pour le doré et la blanc, les décorateurs viennent à peine de commencer à épingler les banderoles sur les murs. Je fais le tour. Il y'a des pièces adjacentes à la principale et je pénètre l'une d'elles. Elle est aussi en début de décoration et je suppose que les autres le sont aussi.

Selon le plan du bâtiment, chacunes des petites salles ont des latrines. Je les vérifie une à une et constate qu'elles sont propres.

De retour dans la grande salle, je remarque deux hommes en costumes, un en noir l'autre en en gris, au milieu entrain de discuter. Je m'approche et les salue.

L'homme au noir s'avère être le père de Robin. Il est venu inspecter les lieux et voir l'avancée des choses. Et l'autre son homme de main.

Mon téléphone sonne et je décroche.

«Allô.»

«Ellie ? Tu es à la salle de fêtes ?»

«Oui. J'y suis en ce moment. Robin, il y'a un problème ?»

«Oui. Mon père est là-bas ? Tu l'as vu ? Il t'a vu ?»

«Oui. Il est coté de moi en ce moment. Pourquoi-»

«Ellie, sors de cette salle tout de suite. Il va te faire du mal !»

                         

COPYRIGHT(©) 2022