Chapitre 3 La Bête

Dans mon rêve, il faisait nuit. Je me trouvais dans le hall d'un musée. Il faisait froid et je grelottais sur place. Les voix des œuvres d'art autour se se font toujours entendre; elles grondent, m'insultent, me maudissent. Je regardais autour de moi pour voir si il y a une porte ou une sortie, rien. La lumière des étoiles essayait de se frayer un chemin à travers les hautes fenêtres perchées sur les murs.

Nonobstant l'insuffisance de luminosité, je sentais le bout de mes doigts devenir frigide ainsi que de la buée se former à chaque expiration. La température ambiante ne faisait que baisser. Je devais sortir d'ici au plus vite. Je marchais malgré moi, mes jambes tenaient bon. Si je reste sur place, le froid allait me paralyser et me tuer, même dans le monde réel.

J'arrivais enfin dans une grande salle, grande salle où une ampoule brillait de toute sa lueur en son centre. Au milieu de la pièce, une statue mise en exergue par l'éclairage présent. Faite en marbre, elle se dressait dans toute sa splendeur. Elle représentait une femme, aux formes généreuses dont le torse était nu mais le bas de son corps était recouvert d'un tissu cachant ses parties génitales et ses jambes. Je m'approchais un peu plus pour l'observer. Ses cheveux étaient attachés en un chignon bas, dont une natte faisait le tour de la tête comme une couronne. Cependant, il manquait des bras à la sculpture.

- La Vénus de Milo..., dis-je dans un souffle.

Les autres voix se turent au moment où je prononçai cette phrase pour laisser place à une seule.

- Éliane...

La voix de Jude, la voix de la mort. Comme la salle était plongée dans la pénombre, je n'arrivais pas à voir.

- Jude ? Où es-tu ?

- Éliane... Sors d'ici rapidement.

***

Après m'être douchée et habillée pour l'école, je descendis à la cuisine faire mon petit-déjeuner. Ma grande soeur n'est pas rentrée hier soir. Je me fis une omelette et une tasse de thé puis, pris place à la salle à manger. Sur la commode qui y est, je trouve une paire de lunettes rondes. Au même moment, je reçois un message d'Alvine dans mon portable:

« Éliane, désolée si je ne suis pas rentrée hier soir. Ma garde est finie tardivement et j'ai dormi chez Tom.»

Je prends la paire de lunettes et l'examine. Son cadre est gris pointillé de noir. Je réponds au message de ma sœur.

« Pas grave. Au fait, j'ai trouvé des binocles à la salle à manger. À qui sont-elles ?

- Ce sont les lunettes de Philippe. Vu que je ne suis pas prête de rentrer maintenant, tu peux les lui rendre ? Je vais t'envoyer l'adresse de sa boutique en journée.

- Mouais...

- Merci ! À ce soir !»

Je ne prends pas la peine de répondre et finis mon petit-déjeuner. Il est 6h50 lorsque je sors de la maison. Arriver à l'école aussi tôt ne va rien m'apporter alors je décide de rendre une petite visite à mon grand frère. Je prends le bus direction l'hôpital centrale de la ville.

La dame de l'accueil, habituée à mes visites fréquentes, me sourit et enregistre ma venue dans son ordinateur. Ensuite, je me dirige vers la chambre où est hospitalisé mon frère accompagnée d'une infirmière.

- Il n'a toujours pas fait signe de réveil depuis la dernière fois.

- Ça fait déjà 3 ans depuis la dernière fois, dis-je la mine abattue.

L'infirmière pose une main consolatrice sur mon épaule et sort de la pièce. Je m'assois sur les bords du lit et le regarde. Il a maigri et son teint est devenu livide, ses cheveux ne sont plus d'un jais éclatant comme jadis. Ses joues se sont encore creusées depuis ma dernière visite, sa peau flétrie. Des tuyaux respiratoires sortent de son nez et l'électrocardiogramme affiche ces courbes montantes et descendantes qui défilent de façon régulière. Il semble mort, seule sa poitrine qui respire et la machine à nos cotés prouvent le contraire. Je soupire et remets une mèche de cheveux derrière mon oreille.

- Jude.

Un frisson traversa mon échine et je sentis la chair de poule parcourir mon corps. Il est là. Posté derrière moi au niveau de la fenêtre, je savais qu'il m'observe néanmoins je ne me retourne pas, toute mon attention est sur mon frère.

- Éliane.

- Il en a encore pour combien de temps ?

- Je ne sais pas... dit-il hésitant, comme il est dans le coma, je n'arrive pas à savoir quand il rendra l'âme.

Je reste silencieuse un moment, moment où je réfléchis et essaie de me souvenir. Cela fait 3 ans que qu'Ervin est dans le coma mais je ne me souviens pas des événements qui l'ont plongé dans ce sommeil prolongé.

- Et je ne peux même pas l'aider...

Je me lève et me tourne pour faire face à Jude.

- Et toi, comment oses-tu envahir mes rêves ?

- Très chère, commença t-il sur un ton moqueur, si j'étais apparu dans un de tes rêves, tu serais enfermée dans un frigo à la morgue en ce moment précis.

Je l'appréhende du regard, il ne paraît pas mentir et il n'est sûrement pas du genre à le faire. Quelqu'un toque à la porte et l'infirmière de tout à l'heure entre.

- Il est l'heure pour lui de manger, me dit-elle en prenant place sur la chaise à côté de lui.

Elle tient un bol entre ses mains, ainsi qu'une seringue. Je m'éloigne d'eux et me place à côté de la porte prête à partir.

- Il y a un instant, continue t-elle, j'ai cru entendre une seconde voix, vous étiez avec quelqu'un ?

Je lorgne la fenêtre et remarque que Jude s'en est déjà allé.

- Non, m'empressai-je de répondre, j'étais au téléphone et je l'ai mis sur haut-parleur. Voilà pourquoi vous aviez cru entendre une deuxième personne.

Elle me sourit et poursuit ce qu'elle faisait. Je sors de la pièce, sceptique. Si cette femme a réussi à entendre la voix de Jude dans la chambre, son heure va bientôt sonner.

***

Après les cours, je me dirige à l'adresse que ma sœur m'a envoyé en journée. Il est 16h, le soleil a déjà commencé sa course inverse et il fait chaud. J'ai porté un sweat ce matin car le temps était un peu frisquet, apparemment j'ai eu tort de le faire.

La boutique, qui se nomme "La Cave de Mercure", se trouve se trouve dans le quartier commercial de ma petite ville, à côté du pressing "Le Prestige".

Lorsque je m'y retrouve, une affiche sur la porte indique fermée. Je guette l'intérieur à travers les baies vitrées pour voir s'il y a quelqu'un. Je décide d'entrer en poussant la porte et un tintement retentit signalant mon arrivée. Une odeur de vieillot m'accueille et je grimace. L'endroit paraît assez grand. Il y a des étagères un peu partout et la plupart des objets qui y sont posés, sont couvert de drap blanc. Les murs sont d'une couleur marron ennuyeuse et écaillée. Il y un comptoir à ma gauche où est placé une caisse enregistreuse ainsi qu'un carnet. Mon regard balaie les environs, rien n'attire vraiment mon attention. Malgré l'aspect désuet, la pièce est assez propre.

Une femme sort de l'une des portes derrière le comptoir et s'approche de moi. Elle est rousse et des tâches de rousseur parsèment son visage juvénile. Ses yeux sont verts. Elle est très jolie.

- Bon après-midi, entamai-je, je cherche Philippe Rallis, est-il là ?

Le jeune dame ne me répond pas et me fixe toujours du regard.

- Hum... je suis venue lui apporter ses lunettes.

La vue des verres lui fait écarquiller les yeux et elle secoue la tête vivement. Je les lui tends et elle s'empresse de les prendre.

- Bon... Au revoir ?

Elle ne répond toujours pas et disparaît derrière la porte par laquelle elle est entrée. Son comportement est étrange. Quelque chose attire mon attention à terre. Il y a un morceau de marbre là où la femme se trouvait il y a quelques secondes, or il n'y était pas lorsque je suis entrée.

***

Le menu de ce soir c'est spaghettis à la sauce bolognaise. Je n'ai pas l'habitude de cuisiner et c'est ma grande sœur qui s'occupe toujours de la nourriture à la maison. Je m'affale dans un des canapés au salon et m'empare de la télécommande pour zapper à vive allure les chaînes à la télévision. Je me rends bien vite compte qu'il n'y a rien d'intéressant. Mon téléphone signale dans la poche de mon pantalon batterie faible et je le mets en charge à côté du téléviseur.

Je débarrasse mon assiette, le place dans le lave-vaisselle puis repars faire une ronde des programmes télé.

Soudain, un violent coup retentit sur la porte d'entrée et je sursaute. Je me redresse de mon siège et fixe la porte, mes mains lâchèrent la télécommande doucement sur la table basse. Je reste calme et sur mes gardes, aucun bruit de pas dehors. Un deuxième coup plus violent que le premier se fit entendre et je me levai cette fois-ci.

- Qui est-ce ? Hurlai-je depuis le salon.

Un troisième coup et je vis le bois de la porte s'enfoncer et craquer. Je ramasse la batte de Base-ball en bois à côté de la télévision et la serre entre mes poings. Le quatrième coup défonce complètement la porte et ce qui entra me fit ouvrir les yeux en grand. Quelqu'un ou quelque chose se tenait sur le pas de la porte, dégarnie de peau ou bien cette couleur rouge dégoulinante était la couleur de sa peau. La bête était grande et ses pattes antérieures pourvues de griffes, longues, sales et acérées. Ses yeux jaunes luisaient d'insanité et il me montrait ses crocs poisseux. Il se rapprocha de moi en un bond et me porte un coup que j'esquive avec agilité. J'assène la batte sur son crâne et elle se brisa au contact de sa tête.

La bête émit un hurlement se mêlant à des claquements de langue qui fit trembler les meubles de la maison et éclater les vitres des fenêtres au salon. Il essaie de me donner un deuxième coup de patte que j'évite encore de justesse mais déchire le bas de mon sweat au passage.

Je pris le tabouret à côté de la table basse et l'appliqua sur sa tête de toutes mes forces. L'impact lui fait effet car il glapit de douleur et se tient le visage. Je profite pour m'enfuir à la cuisine et prendre un couteau.

Il me poursuivit et lorsqu'il fût assez proche de moi, je lui enfonçais l'arme blanche dans la poitrine. La bête s'écroula à terre et se tordit en rugissant. Je ne perdis pas de temps et monta à l'étage pour m'enfermer dans ma chambre. Je verrouille la porte à double tour et m'adosse contre un mur, tremblante de peur.

J'entendis mon assaillant se balader dans le couloir, frappant les portes et fouillant à l'intérieur des pièces à ma recherche.

Je sentais les larmes se former dans les coins de mes yeux et je tirais sur mes cheveux, sachant ma fin proche. Mon téléphone est resté en bas. Je n'ai pas le choix, je dois l'appeler.

- Jude !

La bête envoya un premier coup dans la porte. J'écarquille les yeux d'effroi.

- Jude ! JUDE !

Je hurlais à plein poumons mais rien, aucune trace du garçon brun. Je pleurais à chaudes larmes et me recroquevilla sur moi-même. Je manquais d'air et je basculais pour essayer de me rassurer. J'entendais la chose donner des coups sur la porte. J'allais mourir, comme ça, tuée par je ne sais quoi.

Il eût un silence, puis un fracas et enfin des grognements plaintifs qui paraissaient s'éloigner de la porte. Je relève la tête et scrute la porte, ma tête tourne toujours et ma vue vacille. Je me dirige vers celle-ci et déverrouille la porte. Je l'entrouvre et jette un coup d'oeil à l'extérieur. Personne. Je sors complètement et inspecte les lieux. Plus aucunes traces de la chose. Je perçois les pas de quelqu'un monter les marches des escaliers. Prise de panique, je me fige sur place.

- Jude, c'est toi ?

Aucune réponse et quand la personne atteint le haut des escaliers, mon cœur s'allège considérablement.

- Alvine ? Alvine !

Ma grande sœur lâcha le couteau ensanglanté qu'elle avait en main au sol et accourut vers moi pour me prendre dans ses bras. Elle prit mon visage entre ses mains et me scrutait de haut en bas, soulagée. Elle tremblotait un peu, toujours sous le choc des événements précédents.

- Tu n'as rien ? Dis-moi que tu n'as rien. J'avais tellement peur pour toi !

Elle déposa un bisou sur mon front et caressa ma crinière hirsute. Une autre foulée de larmes remonta et je plonge dans son étreinte. J'hoquetais et reniflais dans ses bras. Sa présence me rassurait. Elle me caressait le dos avec tendresse et entona une berceuse.

- Désolée du retard soeurette. Je suis là maintenant.

            
            

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