La tour des certitudes
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Chapitre 3 No.3

II

4ème étage

Mme Aksakov fit la connaissance de Platon dans le hall d'entrée, devant les boîtes aux lettres. C'était le seul lieu de rencontre possible. Platon était accroupi, tentant de rassembler ses lettres et prospectus divers qu'il avait, comme souvent, laissés choir et qui étaient éparpillés sur le sol.

- Bonjour, M....

- Bonjour, madame. Platon, tout le monde me donne ce surnom alors vous pouvez l'utiliser, il me convient. Et vous, c'est...

- Mme Aksakov. Mais je n'ai aucun surnom ni diminutif, ajouta-t-elle en souriant.

- Enchanté. Je crois que nous sommes voisins de palier. J'espère que je ne fais pas trop de bruit avec ma musique classique ?

- Pas du tout.

- Car j'ai un peu tendance à forcer le son et je suis habité par elle, continua-t-il sans tenir compte de la réponse de sa voisine.

Elle le regardait, surprise par cet homme un peu décalé mais très poli. Ce critère était primordial pour elle, qui avait reçu une éducation traditionnelle axée sur les conventions. Pourtant la vie de sa famille avait été mouvementée et certaines figures dénotaient par leur originalité et surtout par leur engagement.

- Vous pourriez vous joindre à moi si vous le souhaitez. Nous pourrions écouter un morceau de votre choix en buvant une tasse de thé. Qu'en dites-vous ?

Mme Aksakov resta interloquée par cette invitation inattendue. Curieusement, elle ne prit pas le temps de réfléchir et accepta.

- Cet après-midi ? à 15 h ?

- Volontiers.

C'est le seul mot qui lui vint à l'esprit. Elle n'avait pas hésité et sa réponse la surprit elle-même.

Elle était heureuse d'apporter un peu de changement dans sa routine, mais se demandait pourquoi elle avait agi avec une telle spontanéité et peut-être un manque de discernement. Mais elle avait accepté et elle irait.

À 15 h pile, elle frappa à la porte de l'appartement de Platon qui lui ouvrit avec un grand sourire.

Mme Aksakov était une petite femme menue, dynamique et toujours aimable. Elle devait être âgée d'environ quatre-vingts ans et avait certainement vécu de nombreux événements durant toutes ces années. Elle était discrète et personne ne s'apercevait de sa présence depuis qu'elle occupait son appartement du 4èmeétage. Très coquette, elle s'habillait de manière classique, élégante mais sans ostentation. Elle semblait s'être échappée d'un livre de contes pour enfants dans lequel la grand-mère prépare de magnifiques gâteaux, pour régaler toute la famille, et console le chagrin des petits et grands enfants en les écoutant tout en leur préparant de grandes tartines de pain avec beurre et confiture maison à foison. Elle respirait la générosité et la bienveillance. Il était rare de croiser de telles personnes calmes et sereines dans ce monde moderne où tout doit aller vite, où la communication n'est plus qu'une transmission d'inepties stériles et où la soi-disant amitié, mise à toutes les sauces, n'est qu'une succession de like sur un ordinateur portable.

Mme Aksakov fut agréablement surprise par l'intérieur de l'appartement de M. Platon, elle avait des difficultés à n'utiliser qu'un surnom pour une personne qui lui était jusqu'alors inconnue. Elle verrait plus tard pour la suppression de l'attribut M. Elle pourrait qualifier l'ambiance décorative de coquette, sans aucun sous-entendu vis-à-vis de cet homme. Elle n'avait rien imaginé de spécial car elle n'avait jamais aucun a priori, mais l'atmosphère chaleureuse rendue par les couleurs claires et veloutées, appliquées sur les murs, et l'utilisation du bois clair pour le parquet lui plaisait énormément. Elle devina immédiatement la passion de M. Platon.

Les livres envahissaient l'entrée et le salon en était tout aussi encombré sur les étagères d'une bibliothèque qui couvrait tout un pan de mur, sur de petites tables parsemées dans la pièce, sur le sol. Ils occupaient l'espace comme pourrait le faire un animal domestique et se l'étaient approprié comme tout être vivant. L'impression était surprenante et ils auraient pu intégrer la magie du conte « Alice aux pays des merveilles » en s'animant soudain, chaque phrase émergeant des pages pour donner vie aux scènes imaginées par l'auteur. Ils vivaient dans cet appartement avec M. Platon, simple entité complémentaire de leur existence.

- Asseyez-vous confortablement, M. Platon l'interrompit dans sa rêverie délirante et lui avança un fauteuil crapaud.

Mme Aksakov apprécia le confort du fauteuil mais garda son maintien de bonne éducation, se retenant difficilement de se laisser absorber par le moelleux du dossier.

Quelques bruits de bouilloire et de vaisselle plus tard, M. Platon apparut les bras chargés d'un plateau sur lequel étaient posées deux jolies tasses en porcelaine anglaise, un sucrier assorti à la théière, aux mêmes motifs que les tasses, et une brioche embaumant agréablement le salon. Avec un air jovial, M. Platon déclara :

- Je fais prendre l'air à la vaisselle héritée de ma grand-mère, que j'ai rarement l'occasion d'utiliser. Ce service à thé a un charme désuet sorti tout droit d'un livre de Proust. Mais je n'ai que de la brioche en guise de madeleine.

Mme Aksakov apprécia cette délicate attention et le remercia. Elle était à la fois amusée et attendrie par cet homme qui aurait pu être ce fils qu'elle avait tant souhaité. Il semblait gêné par ce grand corps aux gestes maladroits, gouverné par une tête envahie de pensées toujours en mouvement, jamais au repos qui le faisait trébucher sur une marche ou se cogner contre un chambranle de porte pourtant suffisamment large pour passer sans même l'effleurer. Sa maladresse ne l'empêchait pas de garder un visage souriant et une douceur dans ses gestes.

Tous deux se mirent à parler de leur goût en matière de lecture et bien que leurs préférences ne soient pas accordées, ils discutèrent ouvertement, sans heurts, chacun respectant l'avis de l'autre bien qu'il soit divergent. Une discussion en bonne intelligence entre personnes ouvertes s'installa.

L'après-midi passa rapidement, la nuit s'introduisit dans la pièce vers 18 h et M. Platon alluma plusieurs lampes de table sans interrompre le flot de paroles qui les animait. Soudain Mme Aksakov tourna son regard vers l'extérieur et s'aperçut que le temps avait passé.

- Je dois rentrer chez moi maintenant, le trajet n'est pas long, environ une dizaine de pas de ce fauteuil à mon entrée.

- Déjà ! J'ai l'impression que vous venez d'arriver ! Si vous êtes d'accord, je serais heureux de vous recevoir à nouveau.

- Eh bien la prochaine fois, vous venez chez moi. Ma porcelaine n'est pas anglaise mais russe, j'ai moins de livres mais nous pourrons ainsi continuer notre discussion.

Ravis tous les deux à l'idée de leur futur débat, ils retrouvèrent leur fausse solitude.

            
            

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