Je devrais ignorer l'appel. Mais j'ai besoin de lui faire signer un dernier papier. La seule chose qui me protégera vraiment.
Je décroche, les mains tremblantes.
- « Claire... » Sa voix est étrangement douce, presque mielleuse. « S'il te plaît. On doit parler. Une dernière fois. Je t'attends au café Les Amants. »
Les Amants. Là où il m'a embrassée pour la première fois. Il joue la carte de la nostalgie. C'est d'un pathétique calculé.
- « J'arrive, » dis-je, ma voix blanche.
Je raccroche. Je sors de mon sac le document que j'ai préparé en urgence avec un avocat en ligne. Une convention de divorce par consentement mutuel. Rapide. Définitive.
Je marche jusqu'au café. Mes jambes sont en coton, mais ma volonté est en acier trempé.
Il est là, assis à notre table habituelle, celle près de la fenêtre. Il se lève quand j'arrive. Il a l'air fatigué, ou du moins, il feint de l'être.
Je m'assois sans le regarder.
Il tend la main par-dessus la table. Il prend la mienne. Sa paume est chaude, possessive. La mienne est un bloc de glace.
- « Claire, » commence-t-il, sa voix tremblante d'une émotion parfaitement fabriquée. « J'ai réfléchi. Je me suis comporté comme un idiot. Je suis désolé. On peut recommencer ? Je te promets que... »
Il me regarde avec ces yeux de chien battu qui marchaient si bien autrefois, ceux qui m'avaient fait tout accepter.
- « Je veux qu'on se marie. Vraiment cette fois. »
Je sens mon cœur se fissurer. Pas par amour. Par pitié. Il croit vraiment qu'il suffit de claquer des doigts pour effacer des années de mépris.
J'ouvre mon sac. Ma main effleure le dossier froid.
- « Raphaël, je... »
Soudain, le son de la télévision accrochée au mur du café augmente, coupant ma phrase.
« Flash Spécial. Grave accident sur le périphérique Nord. Une berline noire impliquée... »
L'image montre une voiture écrasée contre la glissière de sécurité.
Raphaël se fige. Son visage se vide de toute couleur, comme si on venait de le frapper.
- « C'est... c'est la voiture de Marie. »
Il lâche ma main comme si elle le brûlait.
Il se lève d'un bond, renversant sa chaise dans un fracas qui fait tourner toutes les têtes.
- « Marie ! »
Il ne me regarde pas. Il ne me dit pas au revoir. Il ne finit pas sa phrase sur le mariage.
Il court vers la sortie. Il me laisse là, au milieu du café, avec ma main tendue dans le vide et mes papiers de divorce non signés.
La nausée revient, violente. Le monde tourne. Je m'agrippe au bord de la table pour ne pas glisser.
Un serveur s'approche, inquiet, la serviette à la main.
- « Madame ? Ça va ? Je dois appeler un médecin ? »
- « Non ! »
Je crie presque. Si un médecin vient, il verra. Il saura.
- « Juste... de l'eau. »
Mon téléphone vibre. Élodie.
« Tu as vu les infos ? Marie a eu un accident. Rien de grave, juste des égratignures, mais Raphaël a fait un scandale à l'hôpital pour qu'elle ait la suite VIP. Il a même engagé une infirmière privée. »
Je relis le message. Les mots dansent devant mes yeux.
Des égratignures.
Quand j'ai eu ma pneumonie l'année dernière, il m'a dit de prendre un Uber pour aller aux urgences parce qu'il avait une réunion.
Pour elle, il court. Pour moi, il ne marche même pas.
Je bois l'eau d'un trait. Le froid me réveille, me purifie.
C'est fini. La dernière illusion vient de mourir sur le carrelage de ce café.
Je me lève. Je marche jusqu'au cabinet d'avocats de l'entreprise, situé deux rues plus loin. Chaque pas est plus léger que le précédent.
Je pose l'enveloppe sur le bureau des Ressources Humaines.
- « C'est quoi ? » demande la responsable, surprise par mon irruption.
- « Ma démission définitive. Et ça... »
Je pose le deuxième document, celui qu'il n'a pas signé.
- « C'est la procédure de divorce. Raphaël la signera. Il ne la lira même pas, il est trop occupé. »
- « Mais... ça prend effet quand ? »
- « Dans un mois. »
Un mois. Le temps de disparaître. Le temps de devenir introuvable.
Je sors dans la rue. L'air est pollué, bruyant, mais je respire à pleins poumons pour la première fois depuis des années.
Je mets la main sur mon ventre, protectrice.
- « Ton père est mort aujourd'hui, mon ange. »
Je marche vers la poste la plus proche. Je poste le double des documents. Le bruit du clapet métallique de la boîte aux lettres résonne comme un coup de feu libérateur.
Je ne suis plus Claire, la fiancée de Raphaël.
Je suis Claire, et ma vie m'appartient enfin.